Elton John et Emmanuel Macron, président de la République.
Fête de la musique au palais de l'Élysée
Il est des questions fondamentales qu’il serait utile de se poser si l’on veut en sortir.
Nos gouvernants sont-ils légitimes ? Grave autant qu’audacieuse question, à la limite de l’impertinence, dira-t-on. Selon l’usage actuel et dans la mentalité d’aujourd’hui, il semble saugrenu de se permettre de la poser. Sauf à s’apparenter dans l’opinion au terrorisme anarchique, ce qui ne saurait être ici le propos de pareille interrogation.
Il est ainsi admis par principe à la fois métaphysique, moral et juridique sur lequel il est impossible de revenir, et indépendamment de toutes les théories constitutionnalistes et de tous les discours des auteurs attitrés en sciences politiques, que la légitimité de nos dirigeants doit être et ne peut être que reconnue pour cette simple et unique raison qu’ils ont réussi le concours électoral approprié, car comment appeler autrement le système politique que la France subit en l’entérinant ? Il suffit que ce concours soit gagné au moment précis où il faut le passer ; c’est la condition sine qua non, la seule contraignante. Rien ne sert d’être majoritaire effectivement dans la population si, pour une raison ou pour une autre, ce choix ne peut se traduire concrètement à l’instant crucial. Évidence et tautologie, dira-t-on encore en haussant les épaules devant tant de truismes. Et qu’est-ce que ça prouve ? ajoute-t-on.
Absolutisme métaphysique
Continuons cependant : à partir de ce moment, le candidat qui l’emporte est estampillé pour la durée prévue avec tous les pouvoirs afférents. Le point important est donc de tout miser sur le moment-clé ou, plus généralement, sur les différents moments que fixent les échéances concernées. Mais c’est partout pareil dans le monde des démocraties avancées, rétorquera-t-on. Que non ! Il y a, bien sûr, force similitudes. Cependant il est une différence notable : les autres pays ont d’autres sources de légitimité qui leur viennent de leur propre histoire et qui aboutissent à des combinaisons et des équilibres : les pays anglo-saxons, les pays germaniques, ceux de l’Europe du Nord, de l’Europe du Sud, de l’Europe de l’Est, même la Russie constitutivement autocratique. Ils ont toutes sortes de contre-pouvoirs, pour parler le jargon actuel ; parlons plutôt de forces politiques et sociales naturelles et tout aussi bien religieuses, historiques et morales qui tempèrent un jeu démocratique nécessairement, en son mécanisme même, sommaire, brutal et totalitaire : ce « tout est à moi » puisque j’ai gagné l’élection et que je suis désormais et la légalité et la légitimité, le tout de la politique et la règle suprême de la société. Cet absolutisme métaphysique qui n’a rien à voir avec ce qu’il est convenu d’appeler la monarchie absolue, est la raison d’être même des institutions françaises, leur fondement idéologique – rousseauiste dans son essence – et leur caractéristique pratique. Il s’agit d’un schéma de pensée et d’action proprement névrotique qui induit à la paranoïa ceux qui s’y livrent ; notre histoire depuis plus de deux cents ans ne le prouve que trop. Et, parallèlement, s’en trouvent terriblement affectés les pays d’arriération politique qui se sont mis généralement, malgré leur configuration historique totalement différente, à l’école de la France républicaine et de ses prétendus sublimes principes révolutionnaires. Qui ne sait, pour peu qu’il ait étudié sérieusement, que les totalitarismes des deux derniers siècles, y compris le germanique, et jusqu’au fond de l’Asie, sont tous sortis historiquement, politiquement, idéologiquement de la matrice de la Révolution française. Des centaines de millions de morts, une barbarie sans nom, comme il a été prouvé, écrit, publié. Sans malheureusement que ça ne serve à grand-chose en France. Pas de quoi faire les fiers ! Et, pourtant on n’en sort pas. Le psittacisme est de règle du haut en bas de notre société, malgré tous les esprits libres qui protestent contre la bienpensance officielle. La France est enfermée comme un écureuil dans sa cage, condamnée à tourner indéfiniment dans sa prison idéologique. Qui l’en fera sortir ?
Les pays de l’Est retrouvent leur histoire ; les Anglais veulent rester anglais, même si on prétend le leur faire payer, ce qui évidemment n’aboutira pas ; l’Allemagne sera contrainte – d’abord pour des raisons économiques et financières – de se ressaisir, Europe ou pas Europe, euro ou pas euro ; l’Italie poursuit sa voie en dépit de Bruxelles. Tout sera de plus en plus à l’avenant dans le monde. Les États-Unis sont fondamentalement une fédération d’États. Le président ne prétend pas régenter les cinquante États qui la composent ; Donald Trump a beau s’agiter, son action se circonscrit à la politique étrangère, à la défense et à l’attaque commerciale, à la macro-économie et à l’exaltation de la puissance militaire avec les risques encourus. Ce qui est déjà considérable. Pour le reste, il ne peut que tenter d’influencer.
En France il en va différemment. Pas seulement en raison de la constitution de la Ve République qui, de fait, a abouti, avec ses évolutions quasi obligées, à l’hypertrophie de l’élection présidentielle ; et les réformes macroniennes ne font qu’aggraver le phénomène, ce que veut incontestablement le chef de l’État. Plus spécifiquement encore en raison de la structure fondamentalement jacobine du régime qui oppresse la France – ça commence à se dire – où la prétendue décentralisation ne fut jamais que des procédés juridico-administratifs pour permettre aux gens de pouvoir et aux partis de pouvoir de s’arroger encore plus de pouvoirs. Tous ceux qui se sont essayés en toute bonne foi à cette vaine et sotte partie ont parfaitement compris. Et il n’est même pas sûr que l’autorité préfectorale en soit sortie grandie et plus assurée.
La légitimité du caprice ?
Tout est faussé en France. Tout. Car il n’y a aucune autre source de légitimité que la pseudo-élection présidentielle qui résume et concentre toutes les autres et qui se réduit à un truc de manipulation électorale. Le savent bien les esprits politiques qui ont un tant soit peu réfléchi sur les évènements récents. Tous les instruments de pouvoir, tous les corps intermédiaires, et même les partis politiques, ont servi de dépouilles, au seul profit et à l’unique gloire du vainqueur. Et qui compte bien, pour sa part, accumuler encore d’autres trophées !
Pensez donc : vous gagnez l’élection au moment précis où il le faut, vous avez un socle électoral d’à peine 25 % des votants. Il suffit d’affoler, d’orienter l’électeur, d’user de tous les moyens, de mener la manœuvre à terme, de la reproduire à chaque élection et, c’est bon, vous voilà intronisé, légitimé, maître absolu des choses et des gens !
C’est comme si vous l’aviez emporté avec une majorité écrasante. Tout le monde en est persuadé et ne reste plus qu’à discuter avec ceux qui vont venir chercher des miettes dans votre main. Le gouvernement va se verdir, dit-on : admirable ! C’est-à-dire casser encore plus notre appareil industriel.
Ainsi, tout le pouvoir se concentre dans cette seule légitimité qui se qualifie de républicaine : il n’y en a pas d’autre. Rien n’existe en dehors d’elle. Mesurons bien l’étendue d’un tel pouvoir : c’est le droit de commander la France et les Français comme le prétendu vainqueur l’entend, d’exécuter tout son programme et nul ne sait jusqu’où il va, de faire voter ses lois dans tous les domaines sans exception, ne laissant à l’opposition que le maigre os d’un RIP aléatoire, d’encadrer la vie des citoyens de la naissance à la mort, de les éduquer, de les former, de les surveiller, de les administrer, de leur signifier le bien et le mal, car l’éthique – c’est énorme – est de son domaine, de donner des enfants gratuitement et selon le désir de chacun et de chacune, de gérer leur patrimoine commun, d’en décider souverainement, et de mettre la main sur leur patrimoine privé. Souvenons-nous des élections européennes, transformées habilement de défaite pratique en victoire théorique, voilà le Premier ministre qui ne représente plus guère que 20 % de 50 % d’électeurs, ô légitimité démocratique, refaisant un discours de politique générale comme pour repartir en chevauchée réformatrice, progressiste et républicaine. Au lendemain des élections municipales qui a vu la plupart des maires élus avec 20 % ou 30 % des électeurs inscrits, la même mascarade se reproduit ! Et il y a encore des gens qui croient à de tels artifices de duperie ! Et Macron s’imagine qu’il va mener l’Europe avec de pareils procédés.
On se souvient aussi du groupe d’invertis qui se fit photographier avec le couple présidentiel, à l’occasion de la fête de la musique, le chef du prétendu chœur tenant enlacée la première dame et faisant de deux doigts levés un signe obscène non équivoque qui n’était qu’un outrage de plus à la France : Emmanuel et Brigitte riaient ! Le 21 juin 2019, le président de la République, avant le concert où rien ne représentait la France ni la vraie musique française, décorait de la Légion d’Honneur le chanteur anglais Elton John, « devant son mari », précisaient les agences de presse. La photo officielle montre sur le perron du palais de l’Élysée Emmanuel Macron et Elton John avec sa croix, main dans la main, doigts dans les doigts. Et personne ne dit rien ! Franchement quel honneur reste aux Beltrame, Bertoncello et Pierrepont, et aux sauveteurs sacrifiés ?
Ce n’est pas seulement la France qui est bradée, c’est l’honneur de la France qui est outragé, ce qui est encore pire ! La légitimité de Macron se réduit à son caprice. Le problème, c’est qu’il est totalitaire. Il est la République. ■
Hilaire de Crémiers