G-BDQD17ZWM0

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

MALÉDICTION VERTE

Hidalgo.jpg

Les guérilleros de la justice sociale,bien partis pour être les pires ennemis de la gauche en 2022

 

Christophe Girard, l'adjoint chargé de la culture à la mairie de Paris, vient d'être poussé à la démission par des féministes et des écologistes. Cette crise laisse-t-elle présager des tensions pour l'avenir de la gauche en vue des élections présidentielles en 2022 ?

Atlantico.fr : L'adjoint chargé de la culture à la mairie de Paris Christophe Girard vient d'être poussé à la démission par des féministes et écologistes de la majorité d'Anne Hidalgo. Cet événement laisse-t-il présager de règlements de compte violents à suivre au sein de la gauche en vue des élections présidentielles en 2022 ?

Édouard Husson : Ce sont deux générations de la révolution hyperindividualiste issue de 1968 qui se succèdent. Soutenir Matzneff, à une certaine époque, c'était être progressiste. Et il faut se rappeler comme ceux qui disaient la vérité sur Matzneff dans les années 1970 ou 1980 étaient eux-mêmes réduits au silence. Ne préjugeons pas de ce qu'a fait réellement Christophe Girard. Mais force est de constater qu'il est aujourd'hui contraint à la démission au nom d'un point de vue non moins progressiste - le progrès ça change régulièrement de contenu. Alice Coffin, qui a vingt ans de moins que lui, l'attaque avec le sérieux d'une gauchiste qui a décidé de se débarrasser d'un autre gauchiste dépassé par l'évolution historique. On est replongé dans l'atmosphère des grandes purges idéologiques. Christophe Girard a été en pointe dans la promotion du "mariage pour tous". Et Alice Coffin est elle aussi une militante "LGBT". Cela n'empêche pas une haine entre les deux comme la gauche en a le secret depuis la Révolution Française. 

Nous sommes en effet, dans le monde entier, dans une phase de poussée gauchiste avec la constitution des cadres d'une nouvelle révolution culturelle. Et la révolution dévore ses enfants.

Arnaud Benedetti : Cest un révélateur surtout. Une grande partie de la gauche a troqué le social - la matérialité collective de la lutte - pour le sociétal - un irénisme de lindividu. Mutadis mutandis elle a oublié le socialisme, la nation, les classes populaires, tout ce qui fait sur le fond son histoire politique pour se concentrer sur des revendications de minorités, de communautés. Cet " après - socialisme " pour reprendre le titre d’un ouvrage d’Alain Touraine a entraîné un effet d’évictions des classes populaires et de larges segments des classes moyennes. Cette américanisation de la gauche française est au principe de la crise de cette dernière, et des fractures que lon y rencontre. Lironie ou le paradoxe cest que l’épisode de l’éviction de Christophe Girard se déroule à l’intérieur d’une majorité municipale, celle de Madame Hidalgo, qui illustre jusqu’a l’incandescence ce poids du sociétal sur le politique. À vouloir capter la moindre secousse sociétale, sous réserve qu’elle participerait à la réalisation d’une émancipation individuelle, la maire de Paris est elle-même devenue, par le biais entre autres de son alliance avec les Verts, l’otage de minorités radicalisées qui en viennent à s’en prendre à des figures issues pourtant de cette même gauche écolo-sociétale. La révolution finit toujours par dévorer ses propres enfants ! 

D'un point de vue historique, que laisse présager cette tendance à la radicalité pour l'avenir de la gauche ? L'alliance avec les mouvements écologistes qui comptent en leurs membres de nombreux radicaux est-elle une stratégie électorale gagnante ?

Édouard Husson : Ce qui se passait le plus souvent dans le monde occidental, au XIXe et au XXe siècle, c'était un "confinement" de l'extrême-gauche et l'émergence d'une gauche de gouvernement. Lorsque François Mitterrand s'est allié aux communistes français, d'obédience post-stalinienne, ceux-ci étaient sur le déclin. Avec ce qui se passe à la mairie de Paris, nous avons affaire à une alliance avec un mouvement écologiste en pleine radicalisation idéologique. Pendant longtemps les Verts français ont été connus pour leur modération, au plan international. Ce n'est plus le cas. Ils participent pleinement de la radicalisation internationale du mouvement Vert qui tire de la crise engendrée par les mutations du capitalisme des conclusions erronées. Pour gagner électoralement, Emmanuel Macron ou Anne Hidalgo passent alliance avec ces Verts-là. Il est cocasse de voir le Maire de Paris s'offusquer des conséquences de son pacte électoral.

Arnaud Benedetti : Il y aura dautres tensions à nen pas douter mais force est de constater que lécolo-sociétal pousse à une transformation du logiciel républicain et social de la gauche. Lécolo-sociétal nest pas national, il est post-républicain, individualiste bien plus que social, ce qui l’éloigne toujours plus de la gauche historique. C’est là un facteur de blocage non seulement à une dynamique unitaire mais à un retour à la crédibilité pour incarner une culture de gouvernement. À nouveau une partie de la gauche fait peur, ne rassure pas, incarne l’aventure. On a vu lors des dernières municipales des alliances parfois entre la droite et les marcheurs, y compris aussi avec le soutien des républicains pour des figures socialistes comme à Lille avec Martine Aubry, s’effectuer contre cette menace d’une gauche écolo-sociétale. Cette dernière, par ses éléments les plus radicaux, entrave les conditions d’une unité, car elle se situe par son caractère ultra hors des principes libéraux de libre-confrontation démocratique des convictions et à l’extérieur d’un arc républicain fondé sur l’universalité de la citoyenneté. Les porosités avec le communautarisme qui travaillent également la France insoumise pose la question de la désaffiliation républicaine d’une partie, certes encore minoritaire, de la gauche. L’effet de loupe provoqué par la victoire surestimée, à bien des égards, des écologistes dans un certain nombre de grandes métropoles a libéré le dogmatisme et la parole de certains des courants les plus radicaux de cet écologisme sociétal. Portés par une victoire, dopée par l’abstention massive, ce dernier entend imposer sa ligne dans un rapport de forces quasi inquisitorial. Et force est de constater que cela a marché à Paris puisque Christophe Girard s’est démis de ses responsabilités sur une simple logique du soupçon ! 

Il y aurait eu une personnalité susceptible de procéder à une dynamique unitaire ; c’est, quitte à vous surprendre, Jean-Luc Mélenchon : il dispose de l’épaisseur oratoire, de la connaissance fine de son écosystème, de la mémoire historique, de la culture politique, de son ancrage à gauche, du charisme incontestable mais ses atermoiements avec le communautarisme et la surestimation de ses forces l’en empêchent à ce stade. 

Le phénomène de dénonciation et de stigmatisation dépasse le champ de la gauche et s'observe également à droite. Quelle stratégie les partis traditionnels français doivent-ils adopter pour pouvoir exister en 2022 ?

Édouard Husson : Quand on est de droite, on pousse d'abord un immense éclat de rire. N'est-il pas profondément réjouissant de voir la gauche s'auto-dévorer ? Malheureusement la droite ne peut pas profiter politiquement de cette guerre civile à gauche. En effet, la droite ayant pour habitude - depuis la Révolution Française- de régulièrement adopter les idées de gauche, elle se paralyse elle-même et laisse la gauche au pouvoir malgré les dissensions internes à cette dernière.  Regardez LR: le parti est, majoritairement, l'alliance de ceux qui acceptent un oukase venu de gauche et interdisent à la droite de la dénoncer. Vous avez des LR qui disent à la droite qu'on ne peut pas s'opposer aux réformes dites sociétales; d'autres qui disent qu'on ne peut pas s'opposer à l'écologisme; d'autres qui défendent le dogme libre-échangiste de la gauche libérale; d'autres qui refusent le contrôle de l'immigration; d'autres qui jugent la lutte contre l'islamisme déplacée etc....Au bout du compte, ce cartel des droites rassemble un parti du compromis avec la gauche car il ne serait pas possible d'être à 100% de droite. C'est-à-dire de refuser toutes les idéologies qui paralysent la France. Regardez comme une partie de LR a bêtement tué Fillon. Ou comme l'UMP a été, entre 2007 et 2012, parjure vis-à-vis de l'électorat Front National sur les sujets de sécurité et d'immigration. Ou comme Rachida Dati a mené une campagne prudente contre Anne Hidalgo, n'osant pas l'attaquer sur le sujet des embouteillages - il ne fallait pas mettre en cause le "zéro voiture". 

La droite est actuellement d'autant plus mal en point, au plan national, que Marine Le Pen, elle-même, est atteinte du même syndrome que LR, celui de la "droite honteuse". Elle ne veut pas entendre parler d'union des droites. Elle révèle qu'elle est bien une femme de droite française en faisant tout pour ne pas avoir l'air de droite. 

Les exclusions dont vous parlez à droite sont donc déterminées par ce qui se passe à gauche. La droite ne se rend pas compte de combien la gauche est religieuse : gnostique, millénariste, héritière du catharisme. Les contenus peuvent changer mais l'attitude fondamentale est toujours la même. Il y a, pour la gauche stalinienne ou maoïste, "politiquement correcte' ou 'woke", les purs et les impurs, les initiés et les ignorants, le paradis terrestre à portée de main. C'est pour cela que la gauche est si fascinée par l'islamisme, qui est son cousin. 

La droite ne comprend pas qu'elle est le vrai espace de "laïcité", celui où l'on a pour devoir de refuser complètement les religions séculières que produit régulièrement la gauche. Et où l'on peut, l'on doit protéger le christianisme puisque l'Évangile est la matrice de la séparation du religieux et du temporel et de toute la modernité authentiquement émancipatrice : État de droit, démocratie, capitalisme etc....

Arnaud Benedetti : Les problèmes ne sont pas les mêmes pour la droite de gouvernement et la gauche de gouvernement. La première a un problème despace politique, du fait de la triangulation communicante à droite exercée par Emmanuel Macron, encore plus depuis la nomination de Jean Castex à Matignon. S’y greffe également un problème d’incarnation. Aucune personnalité ne semble en mesure pour le moment de se détacher. Le " sarkowashing" du macronisme depuis le changement de Premier ministre vise à poursuivre l’asphyxie des républicains. Tout ceci a certes un côté artificiel mais puisque la gauche, par son incapacité à clarifier sa position avec les segments les plus ultras de sa galaxie, suscite un sentiment d’inquiétudes, l’électorat conservateur peut être amené à considérer que Macron est le meilleur barrage à opposer aux excès des écolos-sociétaux. 

Pour la gauche de gouvernement, il s’agit d’inverser le rapport de forces à l’intérieur de son propre camp en ramenant les sociaux-démocrates à leur leadership. C’est loin d’être le cas, car le poids des verts a renversé les équilibres historiques de ce côté-là. 

Quant à l’hystérisation du débat public, ce n’est pas, hélas, un problème nouveau. La défiltration de la parole renforce et accélère un phénomène qui dégrade les conditions de l’exercice de la confrontation démocratique, en personnalisant toujours plus les critiques, en privilégiant le préjugé sur l’argumentation, en substituant à la culture générale qui était la marque des grands politiques du passé une culture de l’instantanéité sans autre profondeur que celle d’une com’ de l’émotion ou de la surréaction, en transformant l’opinion en tribunal bien plus qu’en acteur collectif du débat. Le cash et le clash sont les deux mamelles de la post-démocratie...

Edouard Husson, Arnaud Benedetti

Écrire un commentaire

Optionnel