À propos des rapports de plus en plus conflictuels entre certains Français musulmans et le reste de la communauté nationale, Michel Houellebecq, affirmait, dans Valeurs actuelles, en novembre 2017 : « Au fond, l’intégration des musulmans ne pourrait fonctionner que si le catholicisme redevenait religion d’État. Occuper la deuxième place, en tant que minorité respectée, dans un État catholique, les musulmans l’accepteraient bien plus facilement que la situation actuelle. Ils n’arrivent pas à se faire à l’État laïc, porteur d’une liberté de religion qu’ils ne comprennent pas. » On a déjà lu plus saugrenu.
Dans un registre moins calotin, le Comité Laïcité République vient de commander un sondage à l’IFOP sur le même sujet. Pour Jean-Pierre Sakoun, président du CLR, les résultats n’ont rien de réjouissant, 57 % des jeunes musulmans estimant que la charia est plus importante que la loi de la République, soit 10 % de plus qu’en 2016. Plus rassurant, 88 % des sondés se « déclarent attachés à la loi de 1905 qui garantit le libre exercice des cultes et impose le principe selon lequel l’État ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte ».
Bref, si tout le monde est pour la laïcité en tant que contenant, personne ne tombe véritablement d’accord sur son contenu. D’ailleurs, soyons honnêtes, ce reproche pourrait également être fait aux catholiques, ce qu’Alain de Benoist rappelait récemment en ces colonnes : « Pour les chrétiens, qui placent la “loi naturelle” au-dessus de la loi civile, l’avortement ne saurait être légitime au seul motif qu’il est devenu légal. »
On objectera encore que le terme de « charia » est souvent synonyme de lapidation et de mains coupées… Or, il s’agit d’un tout : des règles sociales, cultuelles et relationnelles selon la loi de Dieu. Elles sont susceptibles de varier d’une société à l’autre, d’une époque à l’autre, d’un contexte historico-politique à l’autre ; la charia, loin d’être gravée dans le marbre, est donc évolutive par essence.
Cette confusion transparaît d’ailleurs dans les commentaires que Jean-Pierre Sakoun, interrogé par Le Point, tire de ces 88 % de Français attachés à cette même laïcité : « Cela signifie qu’un siècle et demi après le travail entamé en 1880, les catholiques, qui n’étaient franchement pas favorables à la laïcité, ont compris la nécessité de la laïcité comme fondement de la paix sociale. »
Voilà qui appelle au moins deux remarques.
La première, c’est que la loi de 1905 était une loi, non point de « paix sociale », mais de guerre contre le catholicisme et que, si elle a fini par entrer dans les mœurs, ce fut plus par coercition que franche adhésion.
La seconde, c’est que les catholiques alors concernés par cette loi étaient des Français de souche ancestrale et qui, par nombre d’aspects, partageaient la même culture que leurs adversaires laïcs. Ce qui n’est évidemment pas le cas des musulmans, Français de jeune branche et souvent pétris d’une culture extra-européenne.
Il est vrai que de par sa nature même – il a été fondé en 1991, à l’initiative du Grand Orient de France –, le CLR est susceptible de ne pas être totalement objectif en matière religieuse. Ce qui l’empêche peut-être de faire le lien entre désaffection des jeunes musulmans vis-à-vis des lois de la République et promulgation concomitante des lois de cette même République. Mariage homosexuel, par exemple, ou encore prolongement du délai légal de l’avortement à quatorze semaines – en attendant de le faire passer à neuf mois ? –, toutes avancées sociétales qui ne sont sûrement pas pour rien dans l’aggravation de ce désamour.
Les grands prêtres de la laïcité auraient sûrement beaucoup à gagner à lire Michel Houellebecq.
Nicolas Gauthier