Le site Dreuz info republie une lettre adressée le 12 mars 2020 à l'Union des Étudiants juifs de France par le Rabbin Alain Michel. Cet historien n'est pas n'importe qui. Docteur en histoire (Paris - Sorbonne), Rabbin diplômé du séminaire théologique Shecher à Jérusalem, il a créé et animé pendant de nombreuses années les séminaires en français de Yad Vashem et enseigne l'histoire de la pensée juive à l'institut Albert Decourtray à Jérusalem.
Alors que "les dictateurs de haine" se lancent, avec une inculture abyssale, dans des critiques grossières à l'encontre de certains propos d'Éric Zemmour sur la question, il est sain et réjouissant de constater que des spécialistes brillants et sérieux historiens éclairent, avec une courageuse objectivité, les complexités de l'Histoire.
Ci- dessous, un de ces commentaires caricatural :
Préambule – Il est important de faire une distinction, selon nous, :entre la dimension historique, c’est-à-dire la recherche historique sur un sujet qui ne fait pas consensus entre les historiens, et l’usage politique des propos émis par Zemmour sur Pétain. Si historiquement, Pétain a fait une distinction entre les juifs vivant en France, selon qu’ils furent français ou étrangers, l’amalgame politique consistant à innocenter la France, Pétain ou les Français qui ont collaboré, dénoncé les juifs à la police française et participé à leur déportation, est irrecevable. A ce titre, les propos de Zemmour, à supposer qu’ils soient un jour historiquement non-disputés, sont et seront toujours politiquement inacceptables, et Zemmour est fautif de ne pas le relever. – Jean-Patrick Grumberg.
Réponse d'Alain Michel :
Chère Madame, c’est bien sûr en tant qu’ancien membre de l’UEJF [Union des Étudiants Juifs de France] dans les années 1970, ainsi qu’ancien proche du Rabbin Léon Askenazi, Manitou, président de l’UEJF au début des années cinquante, et dont j’ai dirigé le centre d’études à Jérusalem pendant 4 ans, que je vous écris.
Mais c’est surtout en tant qu’historien, spécialiste de la Shoah, ainsi qu’amoureux de la vérité et de la liberté. Je viens d’apprendre que vous avez attaqué en justice le journaliste Éric Zemmour pour avoir affirmé que le gouvernement du Maréchal Pétain avait sauvé les Juifs français.
Cette décision de l’UEJF est doublement scandaleuse :
1 - Même si les propos d’Eric Zemour étaient erronés, ce qu’ils ne sont pas, en quoi cette affirmation est-elle une négation de la Shoah ? Eric Zemmour a-t-il dit que des Juifs qui habitaient en France n’avaient pas été déportés et n’avaient pas été gazés à Auschwitz ? Pas du tout. J’ai attentivement écouté l’émission de CNEWS, et il a même parlé de « l’extermination et des camps nazis », ce qui paraît étrange pour qui est accusé de négation de crime contre l’humanité par l’UEJF.
En réalité, l’UEJF a une attitude liberticide qui consiste, en détournant une loi anti-négationniste, d’interdire tout débat historique et d’imposer une vérité historique concernant une question importante, l’attitude de Vichy vis-à-vis des Juifs, mais question qui n’a rien à voir avec la réalité de l’existence de la Shoah.
Lorsque dans les années 1970, l’historien israélien Yéhuda Bauer a affirmé que le nombre de victimes au camp d’Auschwitz-Birkenau était beaucoup moins important que les 4 millions qui étaient affirmés à l’époque, de nombreux historiens ou encore porteurs de mémoire, notamment au Mémorial de la Shoah à Paris, se sont levés pour dénoncer les propos de Bauer qui réduisaient soi-disant l’importance de la Shoah.
Tout le monde sait très bien aujourd’hui qu’il y a eu au plus un million 200.000 victimes à Auschwitz-Birkenau. Si la loi Gayssot avait existé à l’époque, l’UEJF aurait-elle traînée le Professeur Bauer devant les tribunaux ? Voilà pourquoi, au nom de la défense de la liberté, il faut dénoncer la démarche de l’UEJF.
2 - Dans son livre «Le Suicide français*», Eric Zemmour, affirmait que Pétain avait sauvé les Juifs français.
Remarquons tout d’abord que l’UEJF, qui faisait déjà du confusionnisme en étendant la loi contre le négationnisme à toute forme de débat historique, en remet une couche, puisqu’il semble qu’elle reproche dans sa plainte au journaliste d’avoir « réaffirmé sa théorie selon laquelle Pétain aurait sauvé les Juifs de France ». Or ce n’est pas ce qu’affirme Eric Zemmour et j’ai noté dans le débat sur CNEWS que celui-ci a tout de suite précisé « les Juifs français », et non les Juifs étrangers qui étaient alors en France.
On peut être choqué par l’affirmation de cette différence, mais c’était la décision du Vichy de 1940, pas celle des commentateurs et historiens de 2020.
Dans son livre, Zemmour résume mon propre ouvrage «Vichy et la Shoah*» sur deux pages et dès la première présentation de son livre, dans l’émission « on n’est pas couché », le journaliste s’était « défendu » face aux attaques de la journaliste Léa Salamé en se plaçant sous mon « autorité » d’historien qui, par ailleurs, a travaillé avec Yad Vashem depuis 1987, et avec la Marche des Vivants depuis 1990 (et même avec l’UEJF jusqu’à la parution de mon livre).
Si affirmer que le gouvernement de Vichy (c’est plus exact que Pétain) a protégé les Juifs citoyens français, en en sauvant ainsi un grand nombre, est une affirmation négationniste, je demande donc à l’UEJF de bien vouloir également me traîner devant les tribunaux, ainsi que d’autres historiens français actuels, comme le professeur Antoine Prost ou le professeur Jean-Jacques Berlière, et que l’UEJF demande également que l’on brûle les ouvrages de Léon Poliakov, qui affirmait la même chose dans le «Bréviaire de la haine*» dès 1951, ou encore ceux de l’Historien américain Raul Hillberg, qui écrivait la même chose dès le début des années soixante. Si l’UEJF agit comme l’inquisition, qu’elle le fasse jusqu’au bout.
Au nom de la défense du libre débat sur la vérité historique, il faut dénoncer la démarche de l’UEJF.
Avec tout le respect que j’ai pour les tribunaux, français ou autres, les palais de justice ne sont pas les lieux où l’on peut trancher de la vérité historique et de sa complexité.
Les magistrats ne sont pas formés pour cela, et ils n’en ont pas la compétence professionnelle. Le jour où l’Union des Etudiants juifs de France le comprendra, elle pourra peut-être commencer à admettre qu’on ne peut à la fois combattre pour la démocratie et la liberté, et en même temps refuser le débat sur l’histoire et la mémoire.
© Alain Michel