Qu’il s’agisse de la France, de l’Union européenne ou de l’Église, nous assistons à de petites apocalypses qui présentent le double visage de tribulations à venir et d’éclaircissements encore plus lointains. Selon qu’on s’ajuste à l’immédiat ou au futur, on se sentira enragé ou serein. Il va sans dire que ne considérer que le présent est désespérant mais de courte vue, et ne fixer que les horizons est confortable mais lâche. Nous voici donc condamnés à être sereinement enragés ou rageusement sereins.
Par Philippe Mesnard
Pour ce qui est de la France, nous ne savons que trop à quel point elle paraît s’évanouir, se dissiper, ses vieilles mœurs s’évaporant en même temps que ses vieux murs fondent, ses lois se multipliant en même temps que la Justice se retire, ses forces diminuant en même temps qu’elle refuse une puissance qu’elle prétend restaurer, son influence périclitant en proportion inverse des égosillements de nos dirigeants – curieux capitaines d’un bateau dont ils ont abattu les voiles et scié le gouvernail.
Mais il reste la quille. Ce peuple qui a bien compris qu’il fallait déclarer être d’accord mais qui en fait n’en fait qu’à sa tête. On lui a dit que voter est la preuve de sa souveraineté ? Il ne vote plus. On lui présente des hérauts et des champions ? Il les dédaigne et porte ailleurs ses faveurs. On lui a dit qu’il pense mal ? Il affirme à chaque sondage ce qu’il pense. On lui supprime toutes ses libertés ? Il applaudit et, en même temps – lumineuse leçon venue d’en haut –, désobéit. Il se débrouille. Certains recréent même des petites patries hasardeuses puisqu’on ne leur parle plus de la grande, à laquelle on a substitué le mot République, comme si ce vocable universel avait absorbé la France. Ils les recréent en dehors de la République, qui a d’ailleurs officialisé la chose : Gérard Collomb avait créé en février 2018 les Quartiers de reconquête républicaine, QRR. L’administration est si contente de la formule qu’elle en a triplé le nombre en deux ans… Ces sécessions sont-elles dangereuses ? Oui, assurément, et en même temps révélatrices : on peut empiriquement vérifier que la République a eu tort et s’enferre dans l’erreur. Ce régime ne peut plus, aujourd’hui, prétendre être le gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple. La France dérive mais on pourra lui redonner un gouvernail. En attendant, il faut résister à ceux qui préfèrent détruire le vaisseau plutôt que d’infléchir sa route.
Despotisme de l’UE
Pour ce qui est de l’Union européenne, elle démontre chaque jour son impuissance extérieure et son despotisme intérieur. La Pologne en est le dernier éclatant exemple. L’UE préfère s’exciter contre un pays martyr du communisme, en lui reprochant son peu de goût pour les libertés ! que de résister aux États-Unis, qui la pillent et la soumettent, financièrement et politiquement, ou à la Chine, qui la pille et l’efface, financièrement et politiquement. Elle refuse, elle aussi, d’être puissante, n’aspirant qu’à être une plateforme ouverte à tous les flux, argent et gens. Mais justement les Hongrois, les Polonais, les Anglais et d’autres, aux marches de l’UE, qui ont des accords avec elle mais refusent ses folies, comme le Danemark, résistent à son expansionnisme légal et culturel et rejettent soit ses politiques, soit son imperium déréglé. L’Union menace de se déchirer de son propre mouvement.
Quant à l’Église, on voit qu’elle aussi s’efforce de liquider l’héritage millénaire au profit d’un petit troupeau enivré par ses propres vertus et qu’elle nous promet, sur de si beaux décombres, qu’on verra enfin fleurir une humanité nouvelle, amazonienne et fraternelle. Elle aussi a suscité une fière résistance, dont la vigueur l’inquiète au point qu’elle lui réserve toutes ses rigueurs.
Le point commun à François, Macron et Ursula von der Leyen est qu’ils conjuguent un prophétisme exalté, une incapacité opérationnelle et une mesquinerie active envers leurs contradicteurs. Tout attachés à leurs futurs grandioses et à leurs horizons fuyants, ils s’énervent d’un présent rétif et ne trouvent de satisfaction que dans le châtiment de ceux qui ne partagent pas leurs visions et même, horreur, les dénoncent et s’y opposent. Ces opposants leur sont d’autant plus odieux qu’ils espèrent : au milieu des ruines, alors que les destructions font rage, ils persistent à dire que le spectacle est navrant mais que l’avenir n’est pas écrit. Ils consacrent tous leurs efforts à gêner les destructeurs prophétisant à vide et ils comptent sur le bon sens, la nature, l’ordre des choses et celui de la Providence pour assurer un avenir radicalement différent et meilleur. Rageusement sereins, ils ne sont pas résignés. ■
Article paru dans Politique magazine. Cliquez sur l'image