Parmi les spécialistes francophones de l’Afrique se trouve Bernard Lugan, directeur de la revue L’Afrique réelle, qui vient de publier son 100e numéro. Une revue lue attentivement chaque mois par de nombreux militaires, officiers et personnalités français qui s’intéressent de près au continent africain.
L’actualité de ce continent étant chargée, et lourde de conséquence pour l’avenir de l’Europe, nous l’avons sollicité pour une interview, dans laquelle nous évoquons sa revue, la situation au Mali, le sort des Blancs en Afrique du Sud, la démographie, l’immigration en Europe.
Avant de conclure par une allusion sur son dernier ouvrage, « Mai 68 vu d’en face », qui devrait faire grincer les dents (il leur en reste sûrement quelques-unes) des gauchistes que Bernard Lugan a affrontés en mai 68.
Entretien accordé au site Breizh-info.com
Breizh-info.com : L’Afrique réelle sort son centième numéro. Quel bilan tirez-vous jusqu’ici de votre revue, unique en son genre, et de son lectorat ?
Bernard Lugan : Le bilan est particulièrement positif, notamment en raison du grand nombre et de la fidélité des lecteurs (80 % de réabonnement). Un public de très haute qualité, qui demande des informations précises. Moi je ne donne pas des informations de première main, pour cela il y’a les agences, les journaux… Moi ce que je donne ce sont des éclairages. Je donne des explications qui ne vont pas dans le sens de la doxa. Des explications qui parlent du réel, de la géographie, des ethnies, et des véritables rapports humains.
Breizh-info.com : La situation au Mali — thème de votre 100e numéro — est elle inquiétante ? Quelles répercussions possibles dans toute la région ?
Bernard Lugan : Oui c’est un gros numéro d’une quarantaine de pages uniquement consacrées au Mali. Je ne me contente pas d’expliquer la situation actuelle, comme dans tous les numéros de l’Afrique Réelle. Je pars de très loin. Je pars de quasiment la préhistoire, je remonte à travers le temps long africain, je montre que les phénomènes que nous observons aujourd’hui sont la résultante de constantes historiques présentes depuis 2000/2500 ans. Avec notamment la question du rapport entre les populations du Nord, prédatrices, et les populations du Sud, souvent victimes.
Je montre que la colonisation avait mis entre parenthèses ces rapports conflictuels et que depuis la fin de la colonisation, les grandes constantes (les marxistes auraient dit les lignes de force) historiques reviennent.
Je montre surtout que le djihadisme n’est qu’un aspect totalement secondaire de la question. Selon une formule que j’utilise régulièrement, je dis que le djihadisme n’est que la surinfection d’une plaie ethnoraciale.
Imaginons que nous puissions détruire tous les groupes islamistes, cela ne résoudra absolument pas la question du Mali, car la question du Mali n’est pas une question djihadiste. Elle réside dans l’impossibilité de faire vivre dans le même État des nordistes qui ont une tradition prédatrice et des sudistes qui ont une tradition victimaire. À partir de ce moment là, même si les djihadistes étaient éliminés, le problème touareg continuerait de se poser.
Breizh-info.com : Quid de la situation des fermiers blancs en Afrique du Sud ? Il semblerait que contrairement à l’Australie, l’Europe ne jette même pas un coup d’œil dans le pays de Nelson Mandela ?
Bernard Lugan : L’Afrique du Sud est sortie de l’histoire, elle n’intéresse plus personne. Le pays n’est plus un pays stratégique et ne se trouve plus pour le moment sur un axe stratégique sauf si bien sûr demain les rapports devenaient conflictuels avec la Russie et la Chine et que le contrôle des mers soit de nouveau important. Quant aux Blancs ils sont sortis totalement de l’histoire.
Mais les Blancs d’Afrique du Sud sont responsables de ce qui leur arrive. Dans les années qui ont précédé la remise du pouvoir à l’ANC, le président De Klerk, qui a trahi son peuple, avait donné une dernière chance à son peuple de s’exprimer à l’époque où seuls les blancs pouvaient voter. Il avait organisé un référendum en demandant aux blancs d’Afrique du Sud : « Voulez-vous que je continue le processus de discussion avec l’ANC — qui aboutira à leur prise du pouvoir — ou alors êtes-vous opposé à cela ? » Si les blancs avaient voté non, le processus aurait été différent de celui qui s’est produit. Ils ont voté majoritairement pour que De Klerk continue à négocier. Ils ont mathématiquement aujourd’hui les résultats qui se produisent.
Il était évident qu’un jour ou l’autre, l’ANC dont le programme contenait la reprise des terres allait reprendre les terres. C’était inéluctable. Je l’ai annoncé depuis 1985.
Breizh-info.com : Mais qu’est-ce qui explique que les Pays-Bas, l’Angleterre, ferment les yeux sur le sort de ceux qui, génétiquement, appartiennent à leurs peuples ?
Bernard Lugan : Nous vivons dans le monde de la repentance, de la culpabilité. Ce terme génétique, pour les Européens, ne veut rien dire. L’Afrique du Sud est un nouveau paradis par définition. C’est le pays arc-en-ciel, celui de Mandela, nouveau Dieu vivant, nouveau Gandhi, donc rien ne peut arriver. Nous vivons dans un monde d’aveugles, d’idéologues et d’ethnomasochistes.
Breizh-info.com : La démographie de l’Afrique est un des enjeux majeurs du 21e siècle. Est-ce que cela vous inquiète ? Quelles solutions pour éviter l’explosion démographique qui pourrait conduire à la ruée vers l’Europe ?
Bernard Lugan : Il n’y a pas de solution. Absolument aucune. Les résultats de la médecine coloniale et de la coopération ont fait que la démographie africaine a bondi. La planète entière a fait sa mutation démographique sauf l’Afrique. L’Afrique continue à faire des enfants comme dans les conceptions que l’on pourrait qualifier d’Ancien Régime d’un point de vue démographique.
Elle avait par le passé des enfants pour compenser une mortalité très importante. Aujourd’hui la mortalité infantile a diminué, les Africains continuent à faire des enfants. La situation va aller en s’aggravant à partir du moment où le vaccin contre la Malaria va être répandu. L’Afrique va doubler sa population. À l’heure actuelle, le seul frein à la surpopulation africaine, c’est la Malaria qui tue, malheureusement des jeunes enfants. Mais le vaccin est quasiment prêt à sortir, et mis dans les 10 années qui viennent sur le marché et distribué par les ONG, ce qui fait que l’Afrique va encore doubler sa population.
Donc il n’y a pas de solution, car l’Afrique est partagée entre deux grandes religions, l’Islam et le Christianisme, qui sont deux religions contre les politiques de natalité, de contrôle.
Breizh-info.com : Mais justement, est-ce qu’écologiquement parlant, puisqu’il s’agit d’écologie humaine mondiale, une politique de l’enfant unique imposée à l’Afrique ne pourrait pas être envisageable en persuadant les gouvernants africains ?
Bernard Lugan : C’est impossible, car il n’y a pas un État africain, mais 52 États. Chacun a sa politique. Dans les pays musulmans par ailleurs, le poids de la religion est tel que ce n’est même pas envisageable. Dans les zones chrétiennes idem.
Nous sommes enfin dans des sociétés africaines d’ethnomathématique électorales, donc il est bien évident qu’aucune ethnie ne va accepter de diminuer sa population, ce qui la mettrait en faiblesse par rapport aux ethnies qui ne la contrôleraient pas. Donc tout concourt pour la course à la démographie.
Ajoutez à cela les catastrophes écologiques, il n’y a pas de solution. Un pays comme le Niger, qui est un désert total, avait moins de 500 000 habitants en 1900, moins de 800 000 à l’indépendance, et bientôt 40 millions d’habitants. Et c’est un désert, sans production ni rien. Où vont aller ces gens ? Pas vers le sud, forcément vers le Nord. Donc la seule solution, et nous n’avons qu’une seule marge de manœuvre, c’est d’établir des partenariats avec les pays d’Afrique du Nord, qui eux, sont en première ligne. Ce n’est pas l’Europe qui est en première ligne, mais bien eux.
Ces pays sont des pays que nous devons renforcer au maximum. C’est pour cela que la guerre déclarée par Sarkozy et Bernard Henry Levy contre la Libye est une entreprise profondément criminelle, car la seule lucarne d’émigration qui soit véritablement généralisée en Afrique du Nord, c’est la Libye. Alors que du temps de Khadafi, cette émigration était contrôlée. L’Afrique va continuer à se déverser inéluctablement en Europe avec la complicité des autorités européennes.
Breizh-info.com : Vous avez évoqué la Libye, mais ne doit-on pas s’inquiéter également de l’Algérie à la chute de Bouteflika ?
Bernard Lugan : Oui et non. Il n’est pas sûr que le pire arrive en Algérie. Il y’a un an je vous aurai dit que le pire allait arriver, maintenant je suis à 50/50. Parce que les oligarques qui tiennent le pays n’ont pas intérêt à ce qu’il y’ait anarchie, ce serait mauvais pour leurs affaires, pour leurs trafics. Il est possible que la situation — bien que ce pays s’enfonce dans le néant — ne soit pas dans le futur apocalyptique comme elle l’est en Libye.
En plus, l’Algérie sort d’une guerre civile, je la vois mal replonger dedans.
En revanche, le danger serait une guerre avec le Maroc. On sent à l’heure actuelle une crispation très forte sur la frontière à propos du Sahara occidental et il ne serait pas impossible que l’Algérie ait besoin d’un dérivatif guerrier pour ressouder sa population. Il y’a ce danger qui est latent, qu’il ne faut pas grossir, mais qu’il faut avoir à l’esprit. L’Algérie se surarme. Et pas avec du matériel pour lutter contre sa guérilla islamiste résiduelle. Elle s’arme avec des armes lourdes. Du blindé, de l’aviation… C’est forcément pour lutter contre le Maroc.
Breizh-info.com : Ce n’est pas réjouissant pour l’Europe à moyen terme tout cela.
Bernard Lugan : Non d’autant plus que nous n’avons plus de Marine. La priorité des priorités à l’heure actuelle c’est d’en recréer une. C’est fondamental, car tout va se passer sur la Méditerranée. Nous allons devoir défendre nos positions avancées dessus. Ce n’est pas avec le Charles de Gaulle qui est en réparation six mois par an que nous allons faire quelque chose. Il nous faudrait plusieurs porte-avions, une Marine puissante pour pouvoir aider éventuellement tel ou tel point d’appui sur le littoral nord-africain.
Il y’a une véritable politique méditerranéenne à avoir, et nous ne l’avons pas.
Breizh-info.com : Un peu plus positif, et pour sortir de l’Afrique, vous revenez du colloque de l’Iliade, qui a attiré plus de 1000 personnes, vos impressions ?
Bernard Lugan : C’est remarquable. On sent un immense courant d’air, un grand nettoyage intellectuel. Nous sortons de la vieille politique, des vieux combats obsolètes. Moi qui ai une grande expérience de ce genre de chose, j’ai eu l’impression d’avoir l’élite de notre famille qui était là. Une élite qui comprit le problème, qui réfléchit. La qualité des interventions était remarquable, le sérieux du public, tout était étonnant. C’est monté en puissance par rapport à il y a deux années quand je m’y étais rendu.
Breizh-info.com : Vous sortez par ailleurs un ouvrage sur Mai 68, « vu d’en face ». Parlez-nous de votre livre et de votre expérience de mai 68 ?
Bernard Lugan : Oui c’est un ouvrage différent de ceux que j’écris d’habitude. Rédigé, car nous arrivons à l’anniversaire de ce stupide mai 68 qu’on nous présente comme un évènement considérable. Il a eu des conséquences considérables, mais l’évènement en lui même était d’une nullité, d’une platitude, c’était une révolte de petits bourgeois nantis. Je savais qu’il y aurait des dizaines de bouquins écrits et évoquant la même chose, donc ce que j’ai voulu faire, c’est raconter des souvenirs montrant qu’il y a eu une guérilla, menée par des groupes minoritaires — j’étais responsable de l’un d’entre eux. Je raconte comment nous avons essayé de mener notre petite guerre face à la marée montante du conformisme et de la moutonnerie de tout ce mouvement.
Je raconte mai 68 à travers une dizaine d’anecdotes, d’épisodes assez décalés. Ce n’est pas du tout un livre d’ancien combattant. Je montre surtout à quel point ce mouvement n’a rien représenté sur le terrain. Si le gouvernement avait voulu le stopper, il l’aurait fait immédiatement. Il n’y a jamais eu d’affrontements directs entre la police et les manifestants, ils se battaient à distance — pavés contre gaz lacrymogène — il n’y a pas eu de prise d’assaut de barricades, il y a eu la volonté du gouvernement de ne pas intervenir en force contre ces gauchistes.
Au bout de quelques semaines, les syndicats et les partis de gauche ont voulu eux tenter la prise de pouvoir, mais ça, c’est une autre histoire.
Propos recueillis par Yann Vallerie