Le véritable séisme est politique. L’oligarchie européenne connaît aujourd’hui son plus grand désaveu, on ne pourra pas dire qu’elle n’était pas prévenue !
Les marchés, comme toujours, ont suréagi. Qui peut voir dans les humeurs de la bourse (-8% sur le Footsie) et la baisse de la livre, des comportements rationnels ? La stupeur est l’exacte réplique des menaces que les « experts » avaient fait peser sur les partisans du Brexit. Ces derniers n’ont pas cédé, ils n’ont pas obéi et surtout, n’ont pas cru à l’apocalypse. A moins qu’ils n’aient eu le sentiment que l’Europe les y avait déjà livrés…
Faut-il donc, économiquement s’inquiéter pour la Grande-Bretagne ? La baisse de la livre rendra les produits britanniques moins chers mais pour le Brent, par exemple, pétrole coté et vendu en dollar, le problème n’est pas d’ordre économique, il est politique, puisqu’il s’agit d’un pétrole écossais ! Le paradoxe étant que les britanniques sont entrés dans l’union pour des motifs économiques qu’ils en sortent pour des motifs politiques et qu’ils ne sont jamais entrés dans l’euro ! Aussi bien leur adhésion était-elle demeurée conditionnelle et les britanniques ne s’étaient pas fait faute de réclamer des mesures dérogatoires. On se souvient de Miss Thatcher en 1984 : « I want my money back »… Ils vont donc revoir la couleur de leur argent (et la France aussi par la même occasion puisqu’elle payait pour cette exemption).
Beaucoup de choses seront à négocier avec l’Europe dans les deux ans à venir. Mais sur le plan commercial, à l’heure où l’on ne cesse de nous dire que les barrières douanières n’existent plus guère, on appréciera de connaître les conséquences de leur éventuelle rétablissement, menace brandie par Bruxelles qui se montrerait vraiment mauvais perdant en rétablissant des droits en contradiction avec sa philosophie affichée par ailleurs et qui légitimerait malgré elle les demandes faites à l’intérieur de l’Europe.
Nouvelle crise financière ?
Si, d’aventure, une nouvelle crise mondiale financière devait survenir, la cause première n’en serait pas le Brexit. Il n’en serait que le catalyseur, tant l’économie mondiale est bâtie sur une montagne de dettes. Une action rapide et concertée des banques centrales devrait se produire, réunissant la Banque d’Angleterre, la Banque Centrale Européenne, la FED et la Banque Nationale Suisse. Elle pourrait, dans un premier temps, consister à racheter des GBP (livre sterling) sur le marché afin de stopper la chute de la monnaie. On ne peut exclure une dévaluation de la livre. La Grande-Bretagne pourrait perdre son triple A (Standard &Poors)… Elle s’en remettra ! Des mesures plus décisives (baisse des taux d’intérêt ou rachats d’actifs) pourraient être envisagées dans un deuxième temps si la panique n’est pas endiguée. Mais, à l’heure où nous écrivons ces lignes, nous ne pouvons pas conclure à une nouvelle crise et si l’apocalypse financière décrite par certains devait se produire, elle était, de toute façon, inscrite dans l’état de l’économie mondiale.
Du point de vue de l’Europe économique
L’UE est donc amputée de près de 12 % de sa population, 17 % de son PIB issu de la cinquième économie mondiale. Cette journée du Brexit est vue par certains économistes comme une réplique de même ampleur que la faillite de Lehmann Brother. À long terme, une défiance vis-à-vis de l’Europe, en matière d’investissements est à craindre. Il est encore un peu tôt pour estimer l’impact économique sur sa croissance, déjà très faible. Mais si la Grande-Bretagne réussit sa sortie, la tentation de l’oligarchie européenne sera de lui mettre des bâtons dans les roues pour éviter que d’autres pays suivent le même chemin. Là encore, la cause en sera politique.
La fin du sas d’entrée européen pour les capitaux américains ?
Europlace (organisme qui fait la promotion de la place financière de Paris) a renchéri dans la matinée de vendredi 24 en indiquant très clairement : « le Royaume-Uni, en dehors de l’Union Européenne, n’appartient plus au marché unique européen et doit être considéré comme un pays tiers. De ce fait, il perd le bénéfice du passeport européen pour l’accès aux marchés financiers ». Concrètement, aujourd’hui, grâce au « passeport européen », une banque américaine ou autre institution financière implantée à Londres peut opérer dans n’importe quel pays européen.
Et ce sont des milliards de transactions financières en euro et de gestion de produits financiers pour le compte de clients situés sur le Vieux continent qui s’opèrent, chaque jour, depuis La City. Avec le Brexit et le risque que le Royaume-Uni perde ce passeport, les acteurs financiers opérant dans l’Union européenne pourraient donc bien chercher à relocaliser certaines activités dans la zone euro. La concurrence s’annonce rude. Dublin, Luxembourg ou encore Francfort sont aussi en lice. Elles ont plus de chances que le Paris des casseurs et des défilés contre la loi travail.
Un choc économique pour la Grande Bretagne. Elle a toutefois les moyens d’y répondre
Certes, il y aura un choc de confiance. Les investissements pourraient en pâtir, notamment à la City. Pour la suite, il y a deux possibilités : soit le Royaume-Uni et l’Europe forment deux blocs indépendants, soit un processus de négociation bilatéral se met en place, comme pour la Suisse, avec des liens économiques possibles, les oligarques de Bruxelles balanceront entre représailles et intérêt économique. Actuellement, l’Union Européenne représente presque 500 milliard de livres d’investissements directs venant de l’étranger (IDE) en Grande-Bretagne, soit 50% du total des IDE, ce qui n’est pas négligeable. En termes d’échanges commerciaux, presque 50% des exportations britanniques vont à l’Europe, alors que dans le sens inverse, ce chiffre est de seulement 11% pour les autres 27 pays de l’Union.
Il y aura donc une perte partielle. Mais, un aménagement des droits de douanes étant fort probable (sauf irresponsabilité rancunière de Bruxelles) cette perte sera compensée par moins de dépenses fiscales réservées à la contribution du Royaume-Uni au projet européen, qui représente (en terme net) une épargne de presque 0.5% de l’activité économique. En conclusion, l’impact est non-négligeable, mais l’économie du Royaume-Uni va éviter une récession durable. Pour les britanniques résidents en France, pour les français travaillant à Londres, pour le tourisme, pour l’Eurostar, Ryan air etc., la presse met l’accent sur les problèmes posés aux uns et aux autres, visa contre carte d’identité, permis de séjour, autorisation de travailler etc. Tout cela, sans être négligeable, est l’écume de l’économie…
Et pour la France ?
La France ne sera pas le pays le plus touché. Le PDG d’EDF, JB Levy, affirme que le Brexit n’aura aucun impact sur la stratégie de l’entreprise ou de sa filiale britannique (EDF ENERGY, un sixième de la production britannique) : « Notre stratégie d’entreprise n’est pas liée à l’appartenance politique de la Grande-Bretagne à l’Union européenne, donc nous n’avons pas de raison de changer cette politique. » Peut-être allons nous perdre quelques dixièmes de point de croissance, mais compensés par une récupération de la cote part fiscale reversée aux britanniques. Les plus touchés seront surtout l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et les pays de l’est de l’Europe.
Même si la Grande-Bretagne ne faisait pas partie de la zone euro, il y a un vrai problème de crédibilité concernant l’euro. Celui-ci a tenu jusqu’à présent par le Quantitative Easing et la politique de Mario Draghi, qui produit des taux négatifs extrêmement préjudiciables à une saine économie. La Grèce de son côté n’a rien résolu, et l’Allemagne entre dans les taux négatifs pour les emprunts à maturité longue… La sortie britannique amoindrit encore le caractère de zone monétaire optimale. Une vague de scepticisme va s’abattre sur l’Europe. Une hausse de la prime de risque sur les pays les plus fragiles est hautement probable (retour des PIGS).
Ce sera sans doute, la fin des taux bas, le danger de loin le plus considérable. Pour l’heure, un peu de flegme britannique paraît nécessaire, mais le réalisme aussi ! Les quatre derniers mois de l’année vont être fort agités, on sera tenté de penser qu’ils le seront plus de ce côté du Chanel (Paris Bruxelles Berlin) qu’outre-Manche.
Olivier PichonPolitique magazine