Comment Macron
a dragué toutes les minorités,
l'une après l'autre
Un article de Capital
Le candidat d’En Marche reprend à son compte la recette qui avait permis, en 2012, à François Hollande, de réunir dans l’isoloir les bobos des métropoles et les habitants des cités de banlieue. L’édito de Patrick Fluckiger.
A Orléans, il célèbre Jeanne d’Arc… non sans narcissisme, puisque son discours est un long parallèle entre le destin de la Pucelle et sa propre trajectoire. Au Puy-du-Fou en Vendée, il s’affiche avec le très droitier Philippe De Villiers, parangon du roman national. Mais à Alger il accuse la France coloniale de « crime contre l’humanité » et à Lyon, il affirme qu’il « n’y a pas de culture française », seulement « une culture en France » qui est « diverse ».
Dans L’Obs il déplore que les adversaires au mariage pour tous aient été « humiliés ». Mais dans son programme, il veut aller plus loin encore en ouvrant aux lesbiennes le droit à la procréation médicale assistée (PMA). Ce que François Hollande avait prudemment évité pour ne pas provoquer (et humilier à nouveau ?) les opposants.
Lors du débat sur TF1 il s’attaque vivement à Marine Le Pen qui s’en prend au burkini. Tout en précisant que « le burkini est un problème » et que certains arrêtés municipaux antiburkini étaient « parfois justifiés ».
Segmentation des cibles
En bon candidat à la présidentielle, Emmanuel Macron s’adresse à tous les Français. Mais il le fait à sa manière : non pas comme un De Gaulle sublimant la Nation une et indivisible mais à l’inverse, en segmentant minutieusement ses cibles. Les catholiques, les musulmans, les femmes, les minorités sexuelles : il y en a pour tout le monde… successivement.
Le think tank Terra Nova, proche du Parti socialiste, avait formalisé cette stratégie en 2011, en prônant la constitution d’une majorité « progressiste » par l’amalgame de toutes les minorités possibles et imaginables. Voyant partir l’électorat ouvrier de plus en plus massivement vers le Front National, Terra Nova conseillait, non sans cynisme, au candidat socialiste de 2012 de faire une croix sur ce vote traditionnel de la gauche et de s’appuyer sur des électorats ciblés façon « marketing » : les enfants d’immigrés, les jeunes, les minorités sexuelles et religieuses, les femmes.
L'alliance des bobos et des banlieues
François Hollande avait parfaitement appliqué la stratégie terranovienne en 2012, en réalisant notamment l’alliance inattendue des bobos des métropoles et des habitants des cités de banlieue. La gauche, pourtant loin d’être majoritaire dans le pays, raflait la mise comme l’avait raflée en 2008 aux Etats-Unis un Barack Obama qui avait réussi, lui aussi, à segmenter les électorats. Les noirs, les hispaniques, les musulmans, les homosexuels, les femmes avaient massivement voté pour le premier président métis.
Aujourd’hui, le candidat socialiste ne peut plus refaire le coup : Benoît Hamon traîne comme un boulet le bilan du quinquennat (il s’en plaint) et, au sein de ce bilan, le mariage homosexuel, qui a mis fin au mythe de l’alliance des « progressistes ». Ca, il n’en souffle mot. On a beaucoup écrit sur l’opposition des catholiques au mariage pour tous, mais celle des musulmans est au moins aussi profonde. Et elle ne se restreint pas à une minorité, comme chez les catholiques…
Devenir milliardaires
Hamon plombé, c’est donc Macron qui reprend (avec brio) la stratégie de Terra Nova. Il sait parler aux bobos, bien sûr, et tout autant aux jeunes des banlieues. « Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires », explique-t-il en janvier 2015 depuis le salon high-tech de Las Vegas. Rien que le mot milliardaire, soigneusement choisi, fait tilt, tout particulièrement dans les cités où le chômage règne en maître. Et Macron refait tilt chez le même électorat des cages d’escalier quand il désapprouve « l’humiliation » imposée aux opposants au mariage pour tous. Bien sûr, il n’oublie pas l’association LGBT pour autant, et jure quelques jours plus tard : « La communauté homosexuelle trouvera toujours en moi un défenseur. » Il vient de cocher toutes les cases du sceptre sociétal…
La volonté de ne fâcher personne risque parfois de mécontenter tout le monde. François Hollande en sait quelque chose. Emmanuel Macron, s’il est élu, pourrait vite en faire l’expérience et d’abord sur la « mère des réformes », le marché du travail. Il promet – comme Hollande – de favoriser le dialogue social, tout en annonçant qu’il passera par des ordonnances pour simplifier le code du travail et pour rendre la loi El Khomri « beaucoup plus radicale ». La carotte et le bâton, mais attention : tenu par une main gantée de velours. Toujours est-il que le 49-3 si contesté sous Valls pourrait passer pour une aimable taquinerie face aux ordonnances d’Emmanuel Macron.
A propos de Hollande, Martine Aubry avait lancé : « Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup. » Avec Macron, le loup est déguisé en mère-grand, comme dans le Petit chaperon rouge.
Patrick Fluckiger, journaliste, sillonne la vie politique depuis 40 ans. Il fut notamment rédacteur en chef adjoint du bureau parisien des journaux du groupe EBRA (L'Est républicain, Dernières Nouvelles d'Alsace, Le Progrès...). Il a également signé les éditos politiques du quotidien l'Alsace de 2000 à 2012.