La Grande mosquée de Lyon. Plus qu'une foi, l'islam est une loi qui creuse son trou dans la société française. © KONRAD K./SIPA
Pour Claude Valleix, préfet honoraire, et Pierre Mérand, ancien procureur général d'Aix-en-Provence, les demandes grandissantes de l'islam rappellent la façon dont le christianisme s'était introduit dans le système politique et judiciaire de la fin de l'ère romaine.
Alors que le débat sur la place qu’occupe la religion musulmane dans notre société s’enflamme, nous devrions nous souvenir du processus par lequel la chrétienté a progressivement dissous la civilisation d’un empire romain en pleine décadence.
Cela a commencé dès le IVe siècle quand, devenue légale puis obligatoire, la religion chrétienne infiltra sa morale dans les vaisseaux juridiques d’un monde qui s’écroulait, et se sécularisa en pénétrant les institutions politiques et administratives romaines. Ce fut un changement si irréversible que Clovis, par un geste politique sans précédent, se soumit à la loi du peuple qu’il venait de vaincre pour mieux en assurer la domination. La France naquit avec un baptême.
Quand la morale chrétienne infusait les institutions politiques occidentales
Rome avait déjà perdu la partie, disloquée par les invasions, en perte de spiritualité, submergée par le doute, sans ressources morales. Elle s’était livrée à une vérité révélée qui avait déterminé de nouveaux comportements sociaux partout où s’appliquaient ses lois. C’est ainsi que les règles canoniques s’imposèrent dans le mariage ou le règlement des successions, dans les litiges impliquant un principe religieux comme les contrats jurés, que le droit d’asile s’établit dans les églises, que la rigueur réservée aux agresseurs fut tempérée par l’innovation de la légitime défense, que le défenseur des droits de la cité fut élu parmi les catholiques, etc. Les dieux romains furent oubliés et pour s’en assurer, des croix se substituèrent aux emplacements des cultes païens pour en effacer les pratiques ; elles sont partout sur nos chemins. On pourrait multiplier les exemples d’une substitution réussie en moins d’un siècle.
Ce fut une formidable transfusion religieuse qui permit, sans détruire l’architecture administrative romaine, de construire un monde nouveau. Mais ce ne fut pas sans conséquence. La spiritualité chrétienne stérilisa les ressources de la pensée jusqu’à ce que s’établisse, au XIIe siècle, la compatibilité de la Vérité révélée avec le raisonnement. Alors, libre de penser, de chercher et de comprendre, le monde chrétien construisit une société triomphante, riche de ses découvertes et de ses prouesses industrielles qui ouvrirent à sa culture les portes du monde entier.
Or, depuis une centaine d’années, épuisée par les guerres, en perte elle aussi de spiritualité, éprouvée par des idéologies marxisantes, harcelée par des idées progressistes contestataires, notre société occidentale n’inspire plus. Elle est à l’arrêt, immobilisée sur le chemin de ses conquêtes intellectuelles et, incapable de donner un sens vertueux et transcendantal à sa supériorité technologique, elle doute et devient vulnérable. Ni richesse, ni force militaire ne suffisent à garantir la survie d’une civilisation qui ne se donne pas d’avenir. La difficulté de l’Europe marchande à gravir la marche de l’Europe politique n’est que l’illustration de cette réalité. Sans communauté de destin, le rêve qui nourrit le désir n’existe pas. Nous sommes dans la situation de l’empire romain décadent et à la merci, comme lui, d’une autre vérité révélée.
Plus qu'une foi, l'islam est une loi
Ouvrons donc les yeux sur cet islam qui pénètre notre société et alimente nos tristes querelles. Cessons de voir sous le prisme laïque une religion si différente des autres. L’islam est plus qu’une foi, elle est une loi qui rythme la vie de la société musulmane. Une loi conquérante qui a pu s’assouplir à certaines époques mais est toujours prête à se durcir, en revenant à ses sources, comme aujourd’hui en Turquie après un siècle d’ouverture et au Moyen Orient, détruit par la folie djihadiste. L’originalité technocratique française est de croire qu’une adaptation de l’islam à la France résoudra le problème. L’islam ne sera jamais français parce qu’il est universel.
Vouloir éliminer les influences extérieures sur nos compatriotes musulmans par la mise en place d’une gestion verticale du culte, autoriser un financement par redevance sur les produits halals, contrôler la formation des imams par nature incontrôlables, cela fait frémir. On ne fera que favoriser le développement d’une religion qui fera croire à son respect des valeurs républicaines jusqu’au moment où elle leur opposera ses propres valeurs, immuables. Cela se fera progressivement comme la morale chrétienne a su le faire en son temps. Le port du voile, la prière dans l’entreprise, les revendications halal, les contestations scolaires, etc. sont autant d’assauts que notre laïcité peine à contenir.
Elle cédera, comme elle le fait déjà pour l’enseignement de l’histoire, le bail emphytéotique cultuel ou la finance islamique. Et ce ne sont pas des lois d’opportunité, pour s’opposer à telle ou telle exigence, qui régleront le problème. Notre République, repliée dans une position défensive, est déjà en situation d’échec. Il faut être clair, la France n’est pas et ne sera pas une terre d’islam ou alors elle ne sera plus celle née du baptême de Clovis. De nombreuses préconisations pour renforcer le bouclier laïc sont d’une réelle pertinence mais la progression démographique et les facilités accordées au regroupement familial et à la naturalisation donneront à la communauté musulmane un poids qui ne permettra pas de contenir ses revendications sans risque de crise grave.
La nation doit faire front d’une manière claire et massive pour faire échec à une sécularisation rampante de la charia. Le défi est colossal et le droit n’y suffira pas. Il faut manifester une volonté telle que ceux qui ne l’admettront pas devront en assumer les conséquences.
On peut continuer à nier la réalité d’un conflit civilisationnel, on peut toujours s’imaginer qu’il existe un islam non politique qui pourra se mouler dans un cadre républicain alors que l’histoire et l’actualité en font pour le moins douter. Nous ne serons jamais à l’abri de ces vagues fondamentalistes qui ébranlent la communauté des croyants depuis le VIIIe siècle. Un jour peut-être, la foi musulmane s’accommodera du libre arbitre en s’inspirant d’Augustin, ce Berbère qui distingua la cité de dieu de la cité des hommes, mais alors que la chrétienté administrée a su donner à ses interrogations fondamentales des solutions dogmatiques, l’islam consciemment inorganisé ne s’y résout pas.
C’est sa faiblesse, qui compromet son adaptation au monde en perpétuelle évolution, mais aussi sa force, car l’impératif de sécularisation de sa loi est sans concession. Dès lors ce n’est pas une solution bricolée à la française qui pourra s’y opposer. La nation doit faire front d’une manière claire et massive pour faire échec à une sécularisation rampante de la charia. Le défi est colossal et le droit n’y suffira pas. Il faut manifester une volonté telle que ceux qui ne l’admettront pas devront en assumer les conséquences.
Hélas, l’éternelle division de notre société ne s’apaise que dans les moments les plus dramatiques de son histoire. Prenons garde de ne pas en arriver à cette extrémité pour imposer ce que nous avons de plus cher : la liberté de penser dans une société laïque.
Claude Valleix et Pierre Mérand
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