G-BDQD17ZWM0

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Les feuillets perdus de Louis-Ferdinand Céline, enfin retrouvés

Céline.jpg

Crédits photo : Céline photographié par Henri Manuel (années 1930), domaine public.

Quelques jours à peine avant sa mort, Céline écrivait ces mots poignants : « On m’a assez pris, on m’a assez dévalisé, emporté tout ! Hé, je voudrais qu’on me rende ! ». Par « tout », il entendait de nombreux manuscrits dont Casse-pipe, imaginé comme la suite chronologique de Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit. Des feuillets de la main de l’auteur, volés en 1944 à la Libération pas des « pillards », qui seraient entrés dans son appartement à Montmartre, profitant de la cohue…

Les archives disparues depuis bientôt 80 ans de l’écrivain auront de quoi secouer le monde littéraire. Ces feuillets inédits, par milliers, avaient longtemps été considérés comme de simples fragments. Et pourtant, il n’avait cessé de le répéter : « Il faut le dire partout si Casse-pipe est incomplet c’est que les Epurateurs ont balancé toute la suite et fin, 600 pages de manuscrit dans les poubelles de l’avenue Junot. »

Les espoirs de retrouver un jour ce trésor de littérature se sont éteints le 8 novembre 2019, à la mort de Lucette Destouches, veuve de l’auteur. Un évènement qui en déclencha d'autres : le premier se déroula quelques mois après, avec Jean-Pierre Thibaudat, critique dramatique et auteur, et sa décision de prendre contact avec un avocat.

« Il y a de nombreuses années, un lecteur de Libération m’a appelé en me disant qu’il souhaitait me remettre des documents », a expliqué le critique. « Le jour du rendez-vous, il est arrivé avec d’énormes sacs contenant des feuillets manuscrits. Ils étaient de la main de Louis-Ferdinand Céline. Il me les a remis en ne posant qu’une seule condition : ne pas les rendre publics avant la mort de Lucette Destouches, car, étant de gauche, il ne voulait pas "enrichir" la veuve de l’écrivain. » Interrogé sur l’identité du donateur, Thibaudat s’est contenté de répondre : « Secret des sources ».

Une histoire de vol, jusqu’au tribunal.

Suite à cette rencontre, contact fut pris avec les deux ayants droit de la veuve de Céline : François Gibault, auteur de la biographie du romancier, et Véronique Chovin, une amie de Lucette Destouches. « Voilà soixante-quinze ans que l’on se demandait où étaient passés les manuscrits de Céline disparus à la Libération : l’annonce de leur redécouverte a été un véritable choc pour nous », a confié François Gibault.

Un rendez-vous s’est organisé, sans conclusion satisfaisante. Véronique Chovin s’est sentie indignée, si bien que début 2021, elle mandatait un avocat, Jérémie Assous, avec François Gibaut, avant de porter plainte pour recel de vol devant le tribunal de grande instance de Paris.

Jean-Pierre Thibaudat s’est alors vu convoqué au siège de l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC) à Nanterre. Là encore, il n’a pas dévoilé aux autorités l’identité de son mystérieux donateur – à la place, il leur a simplement remis les archives en question. Il s’est décrit comme « le dépositaire accidentel » de ces feuillets. « Ma seule crainte était qu’ils disparaissent dans un incendie. Mon plaisir a été de les retranscrire pendant des années et des années. Cela n’a pas de prix. »

Après une expertise menée par Isabelle Le Masne de Chermont à la Bibliothèque nationale de France, qui rassure sur l’origine de ces manuscrits – du Céline, pas de doute –, Véronique Chovin et François Gibault sont repartis avec les feuillets en juillet 2021.

« Ce fut un moment très particulier », a expliqué Véronique Chovin. « Tout le monde pensait que ce trésor avait définitivement disparu. Enfin, non, pas tout le monde. Lucette me disait souvent : “Tu verras, après ma mort, des choses vont ressortir !” Elle avait raison. »

Des manuscrits à la valeur inestimable

D’après Le Monde, Thibaudat a passé des années entières à trier et à retranscrire l’œuvre de Céline, soit « des milliers de pages, un peu en vrac, et il m’a fallu des mois uniquement pour les classer ». Un travail de longue haleine, grâce auquel il obtiendra, au bout de quelques mois, l’équivalent de 600 pages.

« On y trouve plusieurs blocs inédits d’une importance capitale », a-t-il expliqué. « Dans une lettre à son éditeur Robert Denoël du 16 juillet 1934, Céline disait travailler à un projet divisé en trois parties : “Enfance, Guerre, Londres”. L’enfance, il l’a traitée dans Mort à crédit, la première guerre mondiale au début de Voyage au bout de la nuit et Londres dans Guignol’s band. Mais les manuscrits retrouvés semblent être des projets distincts, qui pourraient être destinés à ce triptyque. »

Les archives sont composées de 600 feuillets inédits de Casse-pipe, roman jusqu’alors incomplet. Céline y transcrivait « sa vie au 12e régiment de cuirassiers de Rambouillet dans lequel il s’était engagé en 1912 ». On retrouve aussi La Volonté du roi Krogold, un autre récit presque totalement inédit du romancier. Enfin, des versions incomplètes de Mort à crédit et de Guignol’s band font aussi partie du lot. « Le manuscrit de Mort à crédit est fascinant », a indiqué François Gibault. « La première partie est plutôt fidèle au roman publié, mais toute la seconde partie présente de nombreuses variantes et repentirs. »

Enfin, au milieu de ces écrits, se cachent aussi des artefacts personnels du romancier : notamment « des photographies de sa fille, Colette, son livret militaire, des écrits médicaux, des lettres de femmes », mais aussi, détail peut-être plus sombre, de la « documentation antisémite », qui peut-être été une source d’inspiration pour l’écriture de ses pamphlets. On pensera notamment à L'École des cadavres, paru chez Denoël en 1938  : « Les juifs, racialement, sont des monstres, des hybrides, des loupés tiraillés qui doivent disparaître ».

Comme indiqué par Le Monde, François Gibault et Véronique Chovin caressent l’idée de donner l’intégralité de Mort à crédit à la BNF – un moyen comme un autre de « régler les frais de succession » qui découlent de la restitution de ces écrits. Concernant les autres manuscrits, rien n’a encore été décidé – quoiqu’on suppose un projet de publications.

Source : ActuaLitté

À lire également : rentrer dans l'intimité de Céline

Écrire un commentaire

Optionnel