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  • 25 février 1994 : le jour où la députée Yann Piat a été assassinée

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    Il y a 27 ans, le 25 février 1994, Yann Piat, député Front National puis député UDF, était assassinée sur une route du Var. Lisez le texte de ce reportage qui en dit long sur certaines meurs politiques... ! Ont-elles changé ?

     

    "Elle n'avait aucune chance d'échapper à la mort" 

    "C'est fini." Georges Arnaud, le visage pâle et perclus de douleurs, s'évanouit, une balle fichée dans la jambe gauche. Quelques minutes auparavant, il est entré en trombe au volant d'une Clio noire dans la cour de la caserne des pompiers située au pied d'un quartier résidentiel, le Mont des oiseaux, sur les hauteurs de Hyères (Var). Il est environ 20 heures, ce vendredi 25 février 1994 quand la voiture pénètre dans la caserne. Le conducteur klaxonne sans discontinuer. Sa passagère est inanimée, du sang coule de sa poitrine. Les pompiers extraient la femme du véhicule et tentent de la ranimer. Quelques minutes plus tard, vers 20h10, le médecin du Smur déclare le décès de la députée UDF, Yann Piat, abattue par deux hommes à moto. Elle avait 44 ans. Mère de deux filles, elle est la première femme députée assassinée en France et la deuxième élue abattue, en douze ans, dans le Var. Crime politique ? Mafieux ? Les deux ? Si la justice a tranché, vingt-cinq ans plus tard, des zones d'ombre persistent encore pour sa fille.

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    La députée de la 3e circonscription du Var, Yann Piat, en 1988, l'année de sa réélection pour un second mandat sous l'étiquette UDF. (PHILIPPE LE TELLIER/GETTY IMAGES)

     

    "Une journée comme les autres"

    Ce matin du 25 février 1994, Georges Arnaud, ami et chauffeur de la députée, l'attend au volant de sa voiture. Yann Piat est rentrée la veille de Paris où elle passe tous ses mercredis à l'Assemblée nationale pour les questions au gouvernement. Ponctuel, il l'emmène tous les matins du quartier résidentiel des Mont des oiseaux au centre-ville de Hyères où Yann Piat a son bureau depuis 1986.

    Installée côté passager, elle parcourt la revue de presse que son attaché parlementaire, Lionel Royer-Perreaut, à ses côtés depuis 1990, lui a faxée vers 9 heures. Après un passage chez le coiffeur, confie Lionel Royer-Perreaut à franceinfo, Yann Piat arrive vers 10h30 à sa permanence, avenue des Iles d'Or. Pour son jeune assistant, à peine 21 ans à l'époque, "c'était une journée comme les autres, il n'y avait aucun signal qui pouvait laisser penser qu'il y aurait un passage à l'acte ce jour-là".

    Yann Piat a entamé son troisième mandat de députée dans la troisième circonscription du Var depuis un an. Elle a été réélue avec plus de 42% des voix au second tour après une triangulaire. Pourtant, rien ne semblait prédestiner Yann Piat à la politique. Après des études aux Beaux-Arts, puis en sciences humaines et graphologie, la jeune femme, déjà maman de Laetitia, née en 1974, monte une entreprise de décoration en Bretagne. Sa seconde fille, Angélique, née en 1978, raconte, à franceinfo, qu'à l'époque "elle chantait, écrivait, avait une ligne de vêtements. C'était une artiste très loin de la politique." Et plus loin encore du Front national qu'elle rejoint au milieu des années 1980. Angélique se souvient qu'elle a toujours eu des idées sociales très prononcées.

    "Elle était d’ailleurs plutôt de gauche, dans sa famille d’accueil, son “père” était communiste, elle avait sa carte au PC."

    Angélique, fille cadette de Yann Piat à franceinfo

     

    Yann Piat, née Yannick Marie le 12 juin 1949 à Saïgon (Hô-Chi-Minh-Ville au Vietnam), a peu connu son père, mort au combat. Sa mère, militaire, l’abandonne à son retour d’Indochine. Agée d’à peine 7 ans, Yann Piat grandit dans une famille d’accueil à Saint-Raphaël (Var). "Cette quête pour retrouver sa mère l’a tenue toute sa vie, se souvient Angélique. Par le biais de Jean Marie Le Pen qui fut l’ami de sa mère, elle cherche à se rapprocher d’elle. Le Pen était attentionné, il l’a prise sous son aile et à un moment où ma mère s'ennuyait profondément dans sa vie, il lui a proposé de le représenter dans le Sud où il n’avait personne."

    De retour dans sa région d’enfance, séparée du père de sa seconde fille, Yann Piat fait une entrée en politique couronnée de succès en 1986. A 37 ans, elle est élue députée dans le Var sous l’étiquette FN. Deux ans plus tard, des divergences intellectuelles séparent Yann Piat de son "parrain spirituel", Jean-Marie Le Pen, qui l’exclut du parti.

    En juin 1988, elle se rapproche de l’UDF, le parti de Raymond Barre, qui "tient" le département du Var. Elle gagne un troisième mandat de député en 1993, sous l’étiquette UDF-RPR, le parti de François Léotard et Gérard Longuet. 

    "Peu importe l’appartenance politique, elle était appréciée de tous bords. Elle écoutait vraiment les gens et avait à cœur d’aider ceux qui venaient la voir. Et quand elle s’engageait, elle allait jusqu’au bout."

    Angélique, fille cadette de Yann Piat à franceinfo

     

    Elle est d’ailleurs réputée pour maîtriser ses dossiers, dont elle ne sépare jamais, ou presque. Ce jour-là, certains sont restés à son domicile. C’est donc à son retour de déjeuner avec des élus locaux et son ami Patrick Heintz, le directeur de cabinet de Maurice Arreckx, le président du conseil général du Var, que Yann Piat demande à son chauffeur d’aller lui chercher les dossiers oubliés. A son arrivée, Georges Arnaud trouve le portail de la maison entrouvert et croise deux hommes à moto qui prétextent chercher la maison de retraite, située à plus de 25 km de là.

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    Yann Piat, lors de différents moments de sa vie politique, en compagnie notamment de François Léotard (en haut à gauche), de Jean-Marie Le Pen (en haut à droite), de Maurice Arreckx (en bas à gauche) et lors de la campagne électorales de 1988 (en bas à droite). (MAXXPPP / GETTY IMAGES / AFP)

     

    "Yann d'Arc", une élue menacée

    L'après-midi défile. Affairée, Yann Piat ne remarque pas l’arrivée de sa fille cadette. La députée et son assistant parlementaire font un dernier point avant de se quitter. Il doit la représenter à une assemblée générale du comité de Giens en fin d'après-midi. Parfois, Angélique passe après les cours embrasser sa mère. Son lycée est à deux pas. Elle lui demande si elle peut aller au cinéma avec une amie qui est en vacances à la maison. Yann Piat accepte et propose de les retrouver plus tard. 

    Yann Piat souhaite profiter de sa fille. Son agenda n'est pas encore saturé. C'est une période relativement calme politiquement pour l'élue, après l’annonce de sa candidature à la mairie de Hyères à la fin 1993. “Nous sommes à mi-chemin entre la législative qu’elle a brillamment remportée en mars alors qu’elle était donnée perdante, et les municipales qui allaient avoir lieu en mars 1995. Elle se préparait pour entrer en campagne à la rentrée. Elle était confiante, mais bien que légitimée par trois mandats successifs de députée, ce n’était pas gagné d’avance.” se souvient son assistant parlementaire.

    Car, sur l’échiquier politique varois, Yann Piat dérange. Surnommée "Yann d’Arc" en référence à sa croisade contre certains politiques dont les relations avec le milieu varois sont jugées douteuses, la députée a fait de la lutte contre la drogue et la corruption son combat politique. Son combat personnel également. Laetitia, sa fille aînée, se drogue. Elle l’a envoyée en cure de désintoxication dans la communauté du Patriarche, une association qui accompagne les toxicomanes qui veulent décrocher, à l’étranger.

    La députée est sur tous les fronts. Hyères-les-Palmiers est très prisée par les promoteurs immobiliers. Elle s’oppose au projet d’extension de l'aéroport. Elle avait d’ailleurs rendez-vous le 1er mars avec le directeur général de l'Aviation civile pour exposer ses griefs sur ce projet, se rappelle Lionel Royer-Perreaut. Elle se bat contre la fermeture des salines de Hyères, dont le terrain est convoité en vue d’en faire une marina. Elle souhaite faire fermer le casino de la ville et imposer un couvre-feu dans les bars du port où la drogue circule. Son implication à vouloir "nettoyer la ville" lui vaut des inimitiés.

    D’ailleurs, deux ans auparavant, elle transmet à son notaire et à une amie une lettre dans laquelle elle met en cause en cas de mort suspecte cinq personnes qu’elle accuse de vouloir l’écarter du paysage politique : Maurice Arreckx, président du conseil général du Var, Bernard Tapie, député des Bouches-du-Rhône, le parrain Jean-Louis Fargette, Jean-François Barrau, ex-conseiller général du Var et Daniel Savastano, un truand marseillais.

    Lors du procès des assassins de Yann Piat, en mai 1998, les témoins n’ont de cesse de citer ses conflits avec Maurice Arreckx. Le président UDF du conseil général du Var s’affiche souvent avec son ami Jean-Louis Fargette, parrain du milieu varois, fiché au grand banditisme. "C’était vu et su de tous" affirme à franceinfo Claude Ardid, journaliste et ancien reporter pour Var-Matin à l’époque.

    Hyères, à l’époque, c’est une république bananière. Il y a un mélange des genres qui est d’une visibilité absolue. Fargette et Arreckx s’entendent sur les marchés publics de la région. Pots-de-vins et spéculations financières s’effectuent dans un climat d’impunité absolu.

    Claude Ardid, journaliste à franceinfo

     

    Yann Piat est également en conflit avec Joseph Sercia, conseiller général UDF de Hyères, à qui elle était notamment opposée à la dernière législative. Durant toute la campagne, elle règle ses comptes avec celui qui bénéficie des hommes de main du parrain varois. "Les gens de Fargette sont venus pourrir notre meeting de clôture à l’Espace 3000 [le 16 mars 1993], se remémore son attaché parlementaire. Ces gens ont des mines qu’on n’oublie pas, on les avait vus dans la salle. On savait qu’ils étaient là. A la fin, quand Yann est descendue de l’estrade, ils l’ont encerclée et insultée." 

    Elle m’a dit ce jour-là : j’ai eu la peur de ma vie. J’ai vraiment cru qu’ils allaient me tuer.

    Claude Ardid, journaliste à franceinfo

     

    Son attaché parlementaire souligne également que ce jour-là aucun cadre de sa formation politique n’est là pour la soutenir. "Les ténors du Parti républicain ne l’aident pas. Même s’ils l’apprécient, ils ne veulent pas voir ni savoir. Elle est sympathique, intelligente, c’est une belle femme appréciée. Mais de là à se battre pour l’imposer, non."

    Yann Piat porte plainte, mais ni le préfet et ni le procureur ne bougent. "C’est là que tout déraille", selon Claude Ardid. Les menaces de mort se multiplient et les appels anonymes s'enchaînent, jusqu'à devenir incessants la semaine de sa mort. Sa permanence est plastiquée. Des cercueils au nom de ses deux filles lui sont adressés. "Elle avait très peur, elle dormait mal. Mais même menacée, elle n’aurait jamais renoncé. Oui, elle dérangeait parce que c’était une femme libre, indépendante qui se battait pour ses idées" affirme sa fille Angélique.

    Sa candidature à la mairie de Hyères attise les tensions. Pour le journaliste, Claude Ardid, c’est même une véritable déclaration de guerre. "Un maire est dix fois plus puissant qu’un député. Les sondages la donnent gagnante dans tous les cas. Elle pourrait alors faire cesser tous les trafics d’influence et les spéculations financières."

    Quelques jours avant son assassinat, Yann Piat réclame auprès de Bernard Tomasini, le chef de cabinet de Charles Pasqua, le ministre de l'Intérieur de l'époque, un renforcement des forces de police à Hyères, surnommée depuis quelques temps "Hyères-les-Bombes". Rackets, bars qui brûlent, voitures qui explosent, règlements de comptes en série font la une de la presse locale.

    Mais à cet instant, face à sa fille, Yann Piat ne veut pas penser à ce climat de tensions. L’heure de la séance de cinéma approche, Angélique s’apprête à retrouver son amie. Sa mère lui dit en souriant : "Adieu ma fille". Angélique lui répond : "A ce soir". Comme pour se rassurer. Sa mère promet de les rejoindre après la séance pour aller manger une pizza.

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    Reconstitution de la scène de l'assassinat de la député Yann Piat, en 1994 (en haut à gauche), route du mont des oiseaux barrée le soir du meutre, le 24 février 1994 (en haut et bas à droite) et le véhicule accidentée de la députée.   (MAXXPPP/AFP/FRANCE3)

     

    "Jo, on nous flingue ! "

    La pendule affiche 19 h 30, son ami Patrick Heintz, qui est repassé à la permanence, propose à Yann Piat de la raccompagner, mais elle décline l’invitation. Il la quitte sans penser qu'il ne la reverra jamais vivante. Elle éteint les lumières de son bureau avant de tourner la clé dans la serrure de la porte de sa permanence. Il est 19h45. Georges Arnaud, dit "Jo", l’attend au volant de sa Clio. Non loin de là, deux hommes planqués dans leur voiture font le guet. Ils surveillent le départ de Yann Piat, qui monte à côté de son chauffeur. La Clio démarre. Elle est immédiatement prise en chasse par les guetteurs. Quelques mètres plus loin, au rond-point Godillot, une moto Yamaha rouge, sur laquelle sont juchés deux autres hommes, prend le relais.

    Après quelques kilomètres, la Clio s’engage sur la route panoramique qui mène à la résidence des Mont des oiseaux. Georges Arnaud ne remarque pas les phares de la moto dans le rétroviseur. La villa de Yann Piat est à 900 mètres, perchée en haut de la colline. Dans le dernier virage, en tête d’épingle, la voiture ralentit, la moto se rapproche. Le passager du deux-roues vise le véhicule un .357 Magnum à la main. Et commence à tirer.

    Les deux premières balles explosent la lunette arrière. "Jo, qu’est-ce que c’est que cette moto ? crie Yann Piat. Jo, on nous flingue !" Une troisième pulvérise la vitre arrière gauche au moment où la moto déboîte. Arrivé à la hauteur du chauffeur, le passager de la moto tire une quatrième balle qui traverse la portière et touche Georges Arnaud à la jambe. L’engin finit de doubler la voiture quand un cinquième coup de feu retentit. Yann Piat est mortellement touchée à la poitrine.

    Son corps est venu sur moi, je l’ai embrassée et je l’ai remise sur la banquette.

    Georges Arnaud, ami et ex-chauffeur de Yann Piat lors du procès en mai 1998

    Le pilote du deux-roues perd le contrôle. La moto fait une embardée et termine sa course couchée contre le trottoir de gauche. Les deux hommes sont à terre, le tireur se relève et envoie une sixième balle qui traverse le pare-brise et vient se loger dans le tableau de bord.

    Après un instant de panique, Georges Arnaud, blessé, reprend ses esprits. Il comprend alors que les tireurs veulent finir leur travail. Il enclenche la marche arrière et repart en direction de la caserne des pompiers située en bas de la colline. Sur 150 mètres et en à peine quelques secondes, la députée du Var est tombée dans un guet-apens mortel à quelques mètres de chez elle.

    A une dizaine de kilomètres de là, Lionel Royer-Perreaut ne se doute de rien. "Au début de la réunion, l’ambiance était tendue, les participants étaient agressifs, ça parlait beaucoup. Puis vers 20h45, d’un coup, il y a eu des murmures, l’assemblée est devenue agréable comme baignée d’empathie. Mais personne ne m’a rien dit." Il apprend la terrible nouvelle en rentrant chez lui.

    Il est 22 heures. Le quartier est bouclé, chaque centimètre carré est fouillé. Un barrage est mis en place et tous les voisins sont interrogés. La moto endommagée est retrouvée quelques heures plus tard, en plein centre du village de La Garde, à quelques kilomètres du lieu du crime. Abandonnée dans leur fuite par les deux motards, ils sont revenus l’incendier. Elle a été volée quinze jours auparavant dans la cité de la Blocarde à Hyères. L’arme du crime reste introuvable. Vers minuit, Lionel Royer-Perreaut arrive au commissariat. Il ne veut toujours pas y croire.

    J’ai craqué une fois arrivé au commissariat. J’étais dans le déni, cela ne pouvait pas être vrai. Et puis est venue la terrible prise de conscience de sa mort. Que tout ça, c’était la réalité.

    Lionel Royer-Perreaut, ex-attaché parlementaire de Yann Piat à franceinfo

    "Dès l’annonce de sa mort, le temps s’est retrouvé comme suspendu. Un calme s’est abattu sur Hyères jusqu’au jour des obsèques" se souvient avec émotion son collaborateur.

     

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    Le jour des obsèques de la députée Yann Piat, le 1er mars 1994 à la salle des fêtes de La-Londe-les-Maures (83). (MAXPPP)

    Assassinée par une bande de voyous

    "Victime d’un contrat exécuté par des professionnels, l’élue n’avait aucune chance d’échapper à la mort." A l’instar du présentateur du 19/20 sur France 3, Eric Cachart, le 26 février 1994, tous les journaux télévisés ouvrent leur édition avec la même nouvelle : l’assassinat de Yann Piat.

    Aucune piste n’est écartée. L’élue avait beaucoup d’ennemis. La police judiciaire se focalise sur les querelles internes de la droite varoise et sur le désir de revanche du milieu local. Quatre jours après l’assassinat, le 1er mars 1994, 26 personnes, des élus locaux et des membres du milieu varois proche de Jean-Louis Fargette sont interpellés à l’aube. Joseph Sercia, bras droit de Maurice Arreckx au conseil général, est soupçonné d’être le commanditaire, aidé de Epifanio Pericolo et Denis Labadie, ses hommes de main. Ils seront finalement tous relâchés.

    Le même jour, les obsèques de l’élue ont lieu devant 2 500 personnes, à la salle des fêtes de La Londe-les-Maures. Là même où elle avait fêté l’année précédente sa victoire aux élections législatives. A la fin de l’office religieux, les hommages s'enchaînent. François Léotard, ami de Yann Piat, maire RPR de Fréjus et alors ministre de la Défense, se fait le porte-parole d’une classe politique ébranlée.

    Dans la nuit, sur cette petite route du mont des Oiseaux, nous avons tous été visés. Les citoyens, les élus, les policiers, la justice, une certaine idée que nous avons de la démocratie, du droit, de la liberté.

    François Léotard, ex-ministre de la Défense et ex-maire de Fréjus à franceinfo

    Trois mois plus tard, une nouvelle piste s’ouvre. Sept hommes sont arrêtés. Parmi eux, Lucien Ferri et Marco Di Caro sont identifiés comme les deux motards. Romain Gressler et Olivier Tomassone, eux, sont accusés d’avoir pris l’élue en filature à la sortie de sa permanence. Tous, âgés d’une vingtaine d’années, font partie de la bande du Macama, une brasserie branchée sur le port de plaisance de Hyères tenue par Gérard Finale. Ce patron de bar, surnommé "Le Grand tout mou" par les policiers qui l'interrogent avait pour ambition, depuis la mort de Jean-Louis Fargette, en mars 1993, de devenir un des parrains de la pègre du Var. Il semblait voir en Yann Piat un obstacle à son ascension, si elle devenait maire. Il est accusé d’être le commanditaire de l’assassinat.

    A leur procès, qui s’ouvre le 4 mai 1998, Lucien Ferri, qui se présente comme le chef de la bande du Macama, ne donne aucune information, mais affirme que les commanditaires sont des hommes politiques et des voyous. Les jeunes "bébés killers", comme les surnomme la presse, reconnaissent leur participation. Gérard Finale, lui, nie tout en bloc. Après six semaines d’audience, le verdict tombe le 16 juin. La thèse d’un assassinat politique est enterrée. Pour la justice, il s’agit d’un crime mafieux commandité par un patron de discothèque et exécuté par deux petits voyous locaux. Gérard Finale et Lucien Ferri, le tireur, sont condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité. Marco Di Caro, le pilote de la moto, à vingt ans de réclusion. Romain Gressler et Olivier Tomassone, chargés de faire le guet et de s'occuper des armes, à respectivement quinze ans et treize ans. Stéphane Ali Guechguech, l'incendiaire de la Yamaha rouge pour masquer cette preuve matérielle, à six ans de prison. Le septième homme est acquitté.

    Un nouveau rebondissement a lieu en octobre 1997. Deux journalistes d’investigation, André Rougeot et Jean Michel Verne relancent la piste du complot politique et incriminent deux anciens ministres, François Léotard et Jean-Claude Gaudin. Ils sont condamnés pour "diffamation".

    L’affaire Yann Piat a eu des conséquences dans le milieu politique varois. Juste après sa mort, le ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua, lance une vaste opération “mains propres” dans le département. Maurice Arreckx et Joseph Sercia sont finalement condamnés pour "abus de biens sociaux".

    Aujourd’hui, vingt-sept ans plus tard, le meurtre de Yann Piat suscite toujours des questions. Gérard Finale et Lucien Ferri ont emporté certaines des réponses dans leur tombe. Mais pour la fille cadette de Yann Piat, Angélique, ce n’est pas possible que cela ne soit que le patron du Macama, Gérard Finale, qui soit le commanditaire. "Il y avait d’autres réseaux. La politique, c’est vraiment un milieu écœurant , une fois dans le système ils perdent toute humanité."

     RECIT FRANCEINFO

    Texte : Guillemette Jeannot

    Illustrations : Jessica Komguen

  • Affaire Darmanin : l’écran de fumée de la présomption d’innocence, par Julie Klein

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    Gérard Darmanin se permet tous les excès, dont la dissolution de Génération Identitaire est un des exemples récents. Mais au lieu de chercher dans l'œil autres (surtout celui de droite, dont il est issu) la paille qu'il ne trouve pas, il serait bien inspiré de s'intéresser, avec un minimum de dignité, à la poutre qui est dans le sien. Sur le plan de la simple logique juridique, cet article, d'un professeur de Sciences Po remet les pendules à l'heure.

     

    Attaquée de toute part, la nomination de Gérald Darmanin au poste si stratégique de ministre de l’Intérieur en dépit des accusations de viol, d’harcèlement et d’abus de confiance dont il est l’objet, n’en finit plus de susciter la controverse.

    En réaction, le Gouvernement a convoqué la présomption d’innocence. Nicolas Sarkozy vient à son tour de suivre un même argumentaire, non sans emphase, pour défendre la promotion de Gérald Darmanin : « sans la présomption d’innocence, il n’y a pas de démocratie ». L’argument délivre une vérité d’évidence : le ministre – qui au demeurant peut se prévaloir de deux classements sans suite et d’un non-lieu prononcé dans cette affaire, avant que la chambre de l’instruction ne décide de rouvrir l’information judiciaire – doit, comme tout citoyen, être tenu pour innocent. Les infractions sexuelles ne sauraient, en raison de leur gravité, relever d’un droit d’exception qui se verrait amputé des principes les plus fondamentaux de la défense. Aucune accusation, aucune dénonciation, aucune plainte, aucune enquête préliminaire, aucune ouverture d’information judiciaire ne peut valoir reconnaissance de culpabilité. Le respect de la parole des victimes, qu’il n’est évidemment pas question de mettre en cause, n’impose pas d’ériger une déclaration ou un témoignage en vérité judiciaire. La récente relaxe d’Ibrahim Maalouf par la Cour d’appel de Paris des faits d’agression sexuelle qui lui étaient reprochés, après trois ans de purgatoire médiatique, vaut à nouveau mise en garde : l’opinion publique ou la rumeur ne peuvent se substituer aux décisions de justice.

    Mais la présomption d’innocence a ici trop bon dos. Voilà bien longtemps qu’elle n’est plus ce rempart dont les hommes politiques pourraient se prévaloir face aux accusations. Richard Ferrand, contraint à la démission après l’ouverture d’une enquête préliminaire sur sa gestion des Mutuelles de Bretagne, François Bayrou, Marielle de Sarnez et Sylvie Goulard, écartés du gouvernement en raison de l’ouverture d’une information judiciaire sur de possibles emplois fictifs au Parlement européen, François de Rugy, démissionnant à la suite de révélations sur ses repas à l’Assemblée, n’avaient pas fait l’objet d’une condamnation définitive, ni même été mis en examen. Le juridisme du Gouvernement ne doit pas faire illusion : en politique, le curseur n’est pas celui de la reconnaissance de culpabilité mais celui de l’exemplarité. La présomption d’innocence est en réalité ici hors sujet.

    Ce qui ne l’est pas en revanche, c’est en premier lieu la nature très spécifique du ministère de l’Intérieur que Gérald Darmanin pilote désormais et, avec ses nouvelles fonctions, le lien hiérarchique qui l’unit aux officiers de police chargés d’enquêter sur les faits dénoncés. Le ministre a beau jeu de se réfugier derrière une « lettre de déport » qu’il aurait rédigée pour éviter que les informations le concernant ne remontent à son cabinet. Aucune muraille de Chine ne protégera jamais de l’autocensure un corps chargé d’enquêter sur son supérieur hiérarchique. Et, en toute hypothèse, le doute est à présent là, qu’aucune déclaration de déport ni présomption d’innocence ne pourront lever. Entendons-nous : n’importe quelle plainte ne doit pas automatiquement fermer l’accès à toute fonction ministérielle, au risque de la multiplication des constitutions de partie civile abusives. Mais le ministère de l’Intérieur n’est ni celui du Budget, ni celui de l’Aménagement du territoire ou encore de l’Agriculture. Le conflit d’intérêts qu’emporte la promotion à la tête de la police d’un ministre visé par une information judiciaire a aussi pour effet de nourrir une méfiance envers la classe politique, qui n’avait pourtant guère besoin d’être ainsi alimentée.

    Surtout, dès lors que le curseur n’est pas la culpabilité mais l’exemplarité, Gérald Darmanin ne peut s’abriter derrière une argutie purement juridique pour échapper à la discussion. Sur ce point, le ministre, qui ne conteste pas la relation sexuelle avec la plaignante mais l’affirme librement consentie, a choisi un étrange slogan pour défense : « j’ai eu une vie de jeune homme ».

    Diantre ! Qu’est-ce qu’une « une vie de jeune homme » ? L’expression fleure bon le romantisme du XIXe siècle. Elle convoque L’Éducation sentimentale (dont le sous-titre n’est autre qu’« Histoire d’un jeune homme »), elle fait surgir Frédéric Moreau, héros romantique en pleine initiation amoureuse, elle fait apparaître les personnages croqués par Gavarni, portraits flamboyants d’une jeunesse insouciante, celle d’avant l’engagement matrimonial. Ah le jeune homme ! Il y aurait donc un Darmanin d’hier et un Darmanin d’aujourd’hui, le jeune homme et le ministre, et ce dernier ne saurait se voir reprocher celui qu’il fut hier. Subtile argument temporel. À rebours de celui qui prédomine toutes les fois qu’il est question de relire le passé à l’aune de la morale présente, il ne repose pas sur un quelconque changement des mœurs entre hier et aujourd’hui, qui pourrait éclairer une inconduite passée ; il se prévaut du cycle de la vie humaine, qui rendrait légitimes certains comportements parce que tenant à la jeunesse. Mais c’est un peu court.

    À supposer qu’une vie de jeune homme s’incarne dans la soirée décrite par la plaignante, entre visite de club libertin et chambre d’hôtel, ce qui, reconnaissons-le, n’est pas avéré, on ne peut occulter que le chargé de mission au service des affaires juridiques de l’UMP, qu’était alors l’actuel ministre de l’Intérieur, a bénéficié des faveurs sexuelles d’une femme venue solliciter son intervention dans un dossier judiciaire. Son âge ou son statut matrimonial ne change rien à l’affaire. La question n’est pas de savoir ce que la frivolité d’une « vie de jeune homme » justifierait, mais ce que doit être le respect de l’éthique en politique.

    Julie Klein

    Professeur à l’École de droit de Sciences po
  • MEDIAPART, CONDAMNÉ À PAYER 1,4 MILLION AU FISC

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    LE MÉDIA QUASI TOUT EN LIGNE EST UN SUCCÈS FINANCIER, CE QUI N’EMPÊCHE PAS QUELQUES ENTOURLOUPES AVEC LE FISC.

    TU AIMES LE FISC ? MON NON PLUS

    Vous payez des impôts ? Vous considérez que vous en payez trop ? Rien de plus facile, vous faites comme Médiapart, vous décidez vous-même de ce que vous devez payer. Résumé : les médias en ligne payent (plus exactement payaient) 20% de TVA sur leurs abonnements contre 5,5% pour la presse écrite. Médiapart et Arrêt sur images ont considéré la mesure injuste et se sont auto attribués une TVA à 5,5%. Un peu comme si, imposé à 20% de votre revenu déclaré, vous décidiez que la somme justement due correspondait à seulement 5% et non 20% ; oui, Monsieur le percepteur, c’est comme ça et pas autrement ! Vous pouvez essayer…

    PREMIÈRE CONDAMNATION ET AMNISTIE

    L’histoire a duré de 2008 à 2015, condamnation des deux médias par le fisc, un peu plus de 4 M€ (arriérés et amende inclus) à payer pour le plus gros et 500 K€ pour le plus petit.

    Bonheur, au moment des élections régionales une amnistie est votée par les députés pour les deux médias qui se voient dispensés provisoirement de payer le différentiel de TVA. Un peu comme en 2013 lorsque L’Humanité avait reçu un cadeau fiscal de 4 M€ (oui, 4 millions d’euros). Mais l’affaire de la TVA a continué devant les tribunaux.

    PAIERA ? PAIERA PAS ?

    L’administration fiscale, revenue à la charge, réclamait 3,3 M€ d’arriérés plus 1,4 M€ supplémentaires pour manquement caractérisé et mauvaise foi. Manquement caractérisé cassé par un tribunal administratif en 2018. Mais le tribunal administratif d’appel vient de rétablir l’amende en novembre 2020. Médiapart a réglé les 3,3M€ et fait appel pour le reste au Conseil d’État. Avec un bénéfice supérieur à 2 M€ en 2019 et des réserves, le média peut voir venir. La TVA à taux réduit a été uniformisée en 2015 pour la presse en ligne.

    Observatoire du journalisme