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Livres - Page 2

  • Livre - Notre sélection : Les Morticoles

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    Léon Daudet, étudiant en médecine à la fin du XIXe siècle, ne supportait pas le monde des hôpitaux parisiens soumis au despotisme de professeurs agrégés des universités jouant les mandarins arrogants, prétentieux, bouffis d’orgueil et de bêtise. Il détestait ces roitelets, grands et petits pontifes en blouses blanches, utilisant leurs savoirs comme autant d’armes de domination, s’enferrant dans des querelles de soins absurdes, servant avant tout leurs intérêts de carrière, reléguant les malades au second plan. Léon Daudet décida de ridiculiser leurs comportements dignes de Diafoirus en publiant un roman : Les Morticoles.

    L’histoire se trouve simple à résumer. Un naufragé échoue sur une île entièrement commandée par les médecins. La société y prend la forme d’un gigantesque centre hospitalier gouverné par d’implacables lois sanitaires. L’ensemble des citoyens se voit présumé malade. Ceux en bonne santé sont déclarés dissimulateurs et subissent toutes sortes de traitements absolument farfelus. La population vit en cobayes permanents. Comprenant rapidement la situation, le nouvel arrivant décide d’entamer une carrière médicale. Il devient membre du personnel soignant puis, intriguant à merveille, s’élève vers les sommets. Il découvre, à cette occasion, les batailles « savantes » où les théories les plus sérieuses se trouvent devoir affronter les pires élucubrations thérapeutiques. Il apprend surtout qu’en ce lieu, le plus sûr moyen d’obtenir une promotion ne tient pas en la compétence mais en l’art de lécher les orteils des supérieurs.Capture.JPG

    Léon Daudet, écrivant cet ouvrage, n’imaginait certainement pas la crise du Covid-19 que la France allait traverser, 125 ans plus tard. Mais il connaissait les hommes. Il savait les moquer. Surtout, il n’ignorait rien des risques et dangers des mécanismes de pouvoirs. Quels que soient leur bonne foi ou leur sincérité, leur sérieux ou leur moralité, leur bassesse ou leur noblesse, les médecins, lorsqu’ils gouvernent une société, ne peuvent que la réduire à un territoire de morticoles. Que leurs diagnostics s’avèrent vrais ou faux, que leurs recommandations soient bonnes ou mauvaises, là se situe la discussion médicale, mais pas le débat politique. Le constat politique fondamental est que notre société accepte de se soumettre, mois après mois, à un pouvoir scientifique imposant sa loi. Nombre de nos droits ont été placés en situation de mort cérébrale. Notre démocratie subsiste, mais en apnée. Chancelante, elle joue les infirmières dociles. Elle tend les compresses. Elle tient les fichiers, contrôle les formulaires. Mais elle ne commande plus. Notre Parlement, depuis bien longtemps, a déposé les armes de la souveraineté qui lui ont été confiées par le suffrage universel. Les députés vivent à plat ventre devant quelques satrapes de la haute administration sanitaire.

    Et chacun peut constater, jour après jour, le regard ironique, combien la pratique du léchage d’orteil, si chère aux morticoles, domine notre pays.

    Olivier Barrat

     

  • Livre - Notre sélection : Cartel des fraudes

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    Jamais, depuis la Seconde Guerre mondiale, la France n'a traversé une telle crise politique, sociale, morale et financière. La pandémie de coronavirus a fini d'achever les finances publiques du pays, conduisant l'État à une incapacité de réagir efficacement dès le début d'une crise majeure.

    Charles Prats, magistrat qui fut en charge au niveau national de la coordination de la lutte contre les fraudes fiscales et sociales, nous livre une explication : 5 millions de fantômes bénéficiant indûment des prestations sociales françaises représentant des dizaines de milliards d'euros volés chaque année...

    Le juge Prats, en brossant le catalogue des fraudes sociales qui gangrènent notre pays, prononce un réquisitoire cinglant, étayé de documents et rapports d'État édifiants occultés depuis des années : comment " Abu Allocs ", un des fondateurs belges de Daech en Syrie, est venu s'inscrire frauduleusement à la Sécu en France ; comment nous avons plusieurs centaines de titulaires de cartes Vitale actives âgés de plus de cent-vingt ans ; comment les retraités fantômes à l'étranger nous volent des fortunes ; comment un tiers des 21 millions de personnes nées à l'étranger et immatriculées à la Sécu l'auraient été sur la base de faux documents ; comment, finalement, l'État reconnaîtra du bout des lèvres à l'été 2020 qu'il ne connaît pas l'identité de près de 2,5 millions de bénéficiaires de prestations sociales dans notre pays.
    À l'heure des hausses des impôts et taxes imposées à tous les citoyens pour relever la nation, une urgence absolue : reprendre l'argent public de la poche des fraudeurs avant de chercher à en prendre plus dans celle des contribuables français.

    Charles Prats est aujourd'hui vice-président au tribunal de Paris après avoir été inspecteur des douanes, juge d'instruction et magistrat chargé de la lutte contre les fraudes fiscales et sociales au ministère des Finances.

    ***

    Dans ces moments de résidence forcée nous disposons de plus de temps pour lire ou visionner des documents qui demandent de se poser. Vous ne regrettez pas les 17 minutes d'entretien avec ce magistrat très au fait de la question. 

    L'entretien est ICI

    et la présentation de son livre ICI

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  • Livre - Notre sélection : "La compagnie des ombres"

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    Il y a des notions qui ne sauraient être exposées en quelques mots. Cet entretien, que certains estimeront un peu long devrait cependant être lu dans son intégralité par tous ceux qui ont une appétence particulière pour l'enseignement de l'histoire si malmené aujourd'hui et qui souhaitent sortir des impasses qu'une gauche idéologique referme sur la voie d'une réflexion salutaire.

    Directeur de la rédaction du Figaro Histoire, Michel de Jaeghere a publié en 2016 La Compagnie des ombres. À quoi sert l’histoire ? (Les Belles Lettres). Il a bien voulu accorder au Rouge & le Noir un entretien fleuve dans lequel il revient longuement sur l’utilité de l’Histoire et fait le point sur la légitimité du « roman national », ses limites et sa différence avec la recherche historique.

     

    R&N : Le travail des historiens a évolué vers une recherche de plus en plus rigoureuse et spécialisée. Cela a-t-il modifié notre propre rapport à l’Histoire ?

    2869.1485439310.jpgMichel De Jaeghere : L’évolution de l’Histoire vers une plus grande rigueur scientifique est, en soi, un progrès. Le problème est qu’elle a débouché sur une spécialisation qui paralyse quelque peu les chercheurs lorsqu’il s’agit de transmettre leurs connaissances au public. De passer de la recherche au récit. Ceux-ci répugnent désormais à sortir de leur sphère, de leur spécialité la plus étroite. Ils ont parfois tendance à considérer que leur savoir est tellement pointu qu’il en est devenu incommunicable. L’art de la synthèse a été parallèlement frappé d’un certain discrédit. Il apparait comme le propre de l’amateur, de l’historien du dimanche, considéré avec condescendance par des professionnels qui s’enorgueillissent du caractère technique qu’à donné à leur discipline leur maitrise des sciences auxiliaires. Jacques Bainville avait pu publier, entre deux-guerres une Histoire de France qui est restée une référence jusque dans les années 50 (c’était l’Histoire de France en livre de poche !). Sa démarche n’était pas celle d’un chercheur, d’un chartiste, mais il y développait des vues fulgurantes de clarté et de lucidité. C’est, aujourd’hui, un exercice déconsidéré (sauf quand il s’agit, comme l’Histoire mondiale de la France de Patrick Boucheron, d’une œuvre collective dont les auteurs sont de gauche, et qu’en outre, elle ne raconte justement pas l’Histoire de France), parce que l’on estime que personne n’est capable de cumuler les compétences nécessaires pour parler à la fois de Clovis, de Louis XVI et de la cinquième République. On conteste la légitimité d’un travail consistant à s’appuyer sur les travaux des chercheurs pour réaliser une synthèse qui ait un certain degré de généralité et permette de jeter sur l’Histoire un regard qui ne soit pas seulement le regard du spécialiste mais d’abord celui de l’honnête homme, qui essaie de tirer des leçons des évènements. Ce travail me parait pourtant nécessaire. C’est à lui que doit aboutir, in fine, l’Histoire, puisque son intérêt est de nous permettre d’aiguiser notre discernement, de nous aider à nous déterminer face aux incertitudes du présent. Ce travail est complémentaire de celui des chercheurs. Il y a quelque chose de vain à les opposer comme s’il s’agissait de deux démarches antagonistes.

    R&N : La ’légende’ ou l’ombre immense des grands personnages et événements du passé a-t-elle encore un rôle à jouer aujourd’hui ? Quel rôle donner au roman national dans l’enseignement de l’Histoire ?

    Michel De Jaeghere : L’enseignement de l’Histoire à l’école, au collège, au lycée pose des problèmes spécifiques. Il est évident que dans le travail des historiens, des chercheurs, de ceux qui étudient les sources, qui se livrent à leur recoupement, leur contextualisation, leur critique, pour tenter de reconstituer au plus près les évènements, la légende n’a pas sa place, si ce n’est comme objet d’étude. Il est normal et légitime que les historiens cherchent à distinguer les évènements de la trace, toujours déformée, qu’ils ont pu laisser dans la mémoire, de cerner la réalité des faits derrière les faux semblants de la légende. C’est même le coeur de leur mission. Il est tout aussi évident que l’on ne peut pas, à l’école primaire, faire découvrir notre passé aux enfants en les faisant accéder aux recherches les plus spécialisées, qui aboutissent souvent à des remises en question de vérités que ces enfants ne connaissent pas encore. C’est dans le cadre de ce premier accès au passé, de cette première initiation à l’Histoire que ce que Pierre Nora a appelé le « roman national » a été conçu par Ernest Lavisse aux lendemains de la défaite de 1870. Il s’agissait dans l’esprit de « l’instituteur national » de donner aux jeunes Français l’amour de la France, en leur présentant une histoire quelque peu téléologique, qui semblait faire de la France républicaine et de l’unité française l’aboutissement de toute notre Histoire. Ce « roman national » était, aux yeux de l’Histoire scientifique, un miroir déformant. Mais il n’en avait pas moins sa vertu puisqu’il permettait aux enfants de comprendre qui ils étaient, quel était leur passé, qui étaient leurs ancêtres, quels devoirs leur imposait l’héritage dont ils étaient les dépositaires. Pour autant, il n’avait pas vocation à être toute l’Histoire. Il ne s’agissait que d’un moment pédagogique appelé à être dépassé. Il y a un âge pour lequel la légende peut apporter un accompagnement qui parle à la sensibilité en entourant l’Histoire d’un merveilleux qui aidera à prendre conscience de la richesse et de la beauté du passé. Puis, il y a un âge pour dépasser la légende, répudier le merveilleux, et accéder, autant que possible, au réel, sans perdre de vue qu’il ne s’agit jamais que d’un état provisoire de nos connaissances, appelé lui-même à être affiné, complété ou remis en question. J’ignore à la vérité si Bayard a toujours été sans peur et sans reproche et je suis sûr qu’aucune fleur ne parsemait la barbe de Charlemagne qui, autant qu’on le sache, ne portait que la moustache. Je sais aussi que l’évolution des techniques de l’agriculture, l’apparition d’un nouveau type de soc de charrue, ont pu avoir une plus grande influence sur la vie des hommes que les exploits, vrais ou faux, de quelques-uns de nos grands hommes. Mais croit-on qu’on aura beaucoup progressé quand après avoir déconstruit tous nos mythes fondateurs, on aura rendu l’histoire aussi attrayante aux jeunes enfants que le mode d’emploi d’un motoculteur ou un tableau de statistiques sur les variations du climat ? En réduisant l’histoire des hommes à un jeu de phénomènes gouvernés par un froid matérialisme, on sera passé, en outre, à coté de vérités qui ne s’y réduisent pas.

    Prenons un exemple, dont je parle dans un chapitre de la Compagnie des ombres : le baptême de Clovis. Il s’agit d’un thème central de la mémoire catholique et nationale de la France. Le baptême de Clovis est à ses yeux l’événement fondateur de la France chrétienne. Il est tout à fait vrai que son histoire a été enrichie au fil des siècles de nombre de détails légendaires (Laurent Theis les a savamment décryptés dans son excellent Clovis). C’est à Reims, sous le règne de Louis Le Pieux qu’ont été ajoutés des épisodes comme celui de la sainte ampoule apportée par le Saint-Esprit sous la forme d’une colombe pour faire de ce baptême une sorte de sacre, alors même que le sacre n’existait pas encore du temps du roi mérovingien, mais parce que l’on souhaitait, justement, donner un illustre précédent à celui des rois Francs, par quoi Pépin le Bref et ses descendants avaient suppléé à leur absence de légitimité dynastique, sanctifié leur récent coup de force. Lorsqu’on examine le baptême de Clovis avec le regard d’un historien (ce que je m’efforce de faire dans ce chapitre de mon livre), on s’aperçoit cependant que les détails surajoutés ont certes été inventés, mais qu’ils correspondent, en même temps, à une vérité profonde dans la mesure où ils sont venus souligner le caractère fondateur de ce baptême pour la France chrétienne. Contrairement à ce qu’ont cru des générations de petits écoliers, la France n’est pas devenue chrétienne par le baptême de Clovis puisque la Gaule avait été christianisée sous l’empire romain et que lorsque Clovis a été baptisé, celle-ci était déjà très majoritairement chrétienne (notamment depuis la prédication de Saint Martin au IVe siècle). La France n’existait pas alors, au surplus, comme telle ; la Gaule serait, au cours des siècles suivants démembrée entre des royaumes concurrents, et il faudrait attendre au moins sept cents ans (si l’on prend comme point de référence le règne de Philippe Auguste et Bouvines) ou près d’un millénaire (si l’on préfère attendre l’épopée de Jeanne d’Arc) avant que sa population prenne conscience de former une seule nation. Il n’en reste pas moins vrai que ce baptême a marqué ce moment où, au contraire des autres peuplades barbares, qui avaient adopté l’hérésie arienne, les Francs, peuple païen, choisirent avec Clovis, sous l’influence de l’épiscopat (lui-même issu de l’aristocratie gallo-romaine tardive, avec des personnalités telles que Saint Rémi, Sidoine Apollinaire, Avit de Vienne) la foi catholique, qui était la foi des élites sociales et culturelles en même temps que celle de l’immense majorité de la population. Et que ce choix eut pour l’avenir une influence considérable puisque d’une part, il consacra l’alliance des Francs avec l’Église, avec un épiscopat formé de lettrés qui assureraient, autant qu’ils le pourraient, la transmission de la civilisation gréco-latine dans les ténèbres des siècles obscurs ; que, d’autre part, il procura aux Francs des appuis qui leur permirent de rassembler sous leur autorité tous les peuples de la Gaule (c’est l’alliance des Mérovingiens avec l’Église qui légitima ainsi la guerre de conquête du royaume wisigoth arien, qui dominait au sud de la Loire, en faisant de cette guerre une guerre de libération pour des populations qui avaient souvent été opprimées dans leur foi par les rois barbares) ; qu’enfin et peut-être surtout, le catholicisme qui leur serait désormais commun déboucherait sur des mariages mixtes entre gallo-romains et Francs et assurerait, par-là, la fusion de la population en un seul peuple, qui se considèrerait tout uniment comme Franc, alors même que les guerriers d’origine germanique n’en représentaient probablement pas plus de 10 % . C’est la raison pour laquelle on peut véritablement dire, avec le regard de l’historien, que le baptême de Clovis marque bien la naissance de la France chrétienne, quand même il fallut attendre longs siècles pour qu’il développe toutes ses conséquences. Racontée dans toute sa complexité, cette histoire serait inassimilable par de jeunes enfants. Écartée au profit d’une dissertation sur la condition paysanne, qui était après tout celle de 90 % de la population, elle laisserait dans l’ombre une dimension essentielle de la destinée du peuple français. Le roman national en faisait, en revanche, connaître les grandes lignes, assimiler la signification d’ensemble. Il n’interdisait nullement, plus tard, de déconstruire les éléments surajoutés par la légende.

    R&N : Parler de « roman national » n’est-il pas en réalité devenu dépréciatif, particulièrement dans la bouche de certains journalistes ou hommes politiques, dans ce sens ou cela sous-entendrait qu’il est finalement une invention, une fiction du passé, que l’on peut sélectionner ou réécrire au gré des idéologies ?

    Michel De Jaeghere : Il y a effectivement un risque puisque dans “roman”, il y a mention d’un genre littéraire qui repose sur l’invention. Et il est bien vrai qu’il y avait dans l’histoire conçue par Ernest Lavisse une part de reformatage du passé sous la forme d’un grand roman historique. Mais si le roman a ses limites, il a aussi sa vérité. D’une certaine manière, le cardinal de Richelieu des Trois mousquetaires a une existence autonome, qui dans nos esprits de Français est probablement plus prégnante que le Richelieu de l’Histoire, dans la mesure où il fait partie de l’imaginaire national. La littérature est porteuse de certaines vérités que l’histoire scientifique n’est peut-être pas capable de nous transmettre. Encore une fois, le « roman national » prenait certes des libertés avec la vérité comptable, mais il lui arrivait aussi d’exprimer des réalités essentielles. On peut certes raconter l’épopée de Jeanne d’Arc en écrivant un traité sur la condition paysanne, la religiosité populaire, les techniques de siège et les procédures judiciaires de l’Inquisition, plutôt qu’en lisant l’Alouette. Il est probable qu’on passera à côté de certaines dimensions de l’évènement.

    La question se pose maintenant de savoir s’il faut continuer à utiliser ce concept, s’il faut le défendre, dans la mesure où les intellectuels de gauche sont parvenus à le frapper de discrédit et où il est devenu sous leur plume une arme de guerre pour disqualifier finalement tout récit historique qui ferait quelque place à l’action des grands hommes, à la liberté humaine, à la dimension spirituelle de l’homme comme une fiction approximative, étrangère au véritable esprit scientifique : celui qui ne veut voir dans l’histoire que le jeu de forces matérielles, de facteurs économiques et, en définitive (même s’ils ne l’avouent pas ouvertement), un produit de la lutte des classes.

    R&N : N’est-ce pas le patriotisme qui est en réalité visé par cette critique du roman national ?

    Michel De Jaeghere : Il y a certes l’idée que l’école n’a pas à former, comme le souhaitait Lavisse, des patriotes prêts à faire s’il le faut le sacrifice de leur vie à leur patrie (la boucherie de 1914 a définitivement disqualifié cet idéal aux yeux des censeurs de tout nationalisme) mais bien plutôt des individualistes acquis à la philosophie des droits de l’Homme et au relativisme. Mais il faut reconnaitre que la gauche intellectuelle est parvenue, au-delà, à déconsidérer le terme même de roman national en faisant de lui un miroir inversé de ce qu’a pu être l’historiquement correct de Jean Sévillia. De même que Jean Sévillia a montré qu’une partie de l’historiographie de gauche (telle au moins qu’elle était reprise par la vulgate médiatique) était marquée par les préjugés de ses auteurs, qui les avait amenés à déformer l’histoire pour la faire correspondre à leurs présupposés idéologiques, les adversaires du roman national sont parvenus à accréditer l’idée qu’il incarnait au fond l’historiquement correct de droite. Or, aucun historien de droite n’a jamais prétendu en réalité que le « roman national » était le tout de l’Histoire. Le roman national a été un moment de l’histoire de la pédagogie française. Aucun historien contemporain (sauf peut-être des conteurs comme Lorant Deutsh ou des essayistes comme Dimitri Casali, mais leurs livres n’ont aucune prétention scientifique) ne se donne comme objectif d’écrire ou de participer à l’écriture du « roman national » (Pierre Nora s’est contenté d’en étudier, dans ses Lieux de mémoire, les thèmes constitutifs). En revanche nombre de personnes pensent que le roman national a sa légitimé à l’école primaire (pas à l’université, bien sûr) parce qu’il y a un moment dans le développement de la sensibilité où le merveilleux peut jouer un rôle positif.

    Parmi les catastrophes pédagogiques de ces dernières décennies, figure en bonne place l’idée que l’on peut, que l’on doit s’adresser aux élèves du primaire comme s’ils étaient à l’université. Je n’ai aucune objection à l’histoire thématique, à la longue période, à l’histoire économique et à celle des mentalités telles que les a réhabilitées l’école des Annales. Le récit chronologique n’est pas le dernier mot de l’Histoire. Mais il en est la base. Lorsque les élèves arrivent à l’université, la chronologie est sensée être acquise et peut dès lors être dépassée. Dans ce cadre, l’histoire thématique et l’histoire sociale répondent à des objectifs tout à fait légitimes pour la transmission et le progrès des connaissances. En revanche, au CP, au cours élémentaire, cette histoire thématique ou sociale est source de confusion parce que le cadre chronologique n’a pas encore été assimilé. Lorsque l’on dit cela, on est considéré non seulement comme un réactionnaire, mais comme un ignorant qui voudrait s’en tenir au récit chronologique en toute circonstance. Il s’agit là d’une caricature.

    R&N : Le Monde dénonçait récemment le retour de « l’histoire identitaire » comme « conception mémorielle et nationaliste de l’histoire ». Êtes-vous d’accord avec une telle analyse ? Cette vision de l’Histoire est-elle réellement « aujourd’hui majoritaire dans la plupart des médias » ?

    Michel De Jaeghere : J’ai lu ce prône, cette leçon d’histoire donnée par un historien dont j’ai oublié le nom et dont l’ampleur de l’œuvre ne m’avait pas jusqu’à ce jour écrasé et qui, sur une page entière du Monde, a expliqué à ses lecteurs, et à moi-même puisque j’étais cité comme l’un de ses représentants, à quel point cette histoire était condamnable.

    Toute histoire nationale n’est pas forcément nationaliste, mais s’agissant de mon livre, où je parle aussi bien de l’antiquité gréco-romaine, que de l’histoire juive, des Incas, de la guerre du Golfe, de la Chine, l’imputation me semble porter à faux. Au-delà, l’article pointait cependant chez les auteurs mis en cause (dont parmi d’autres Jean Sévillia) une conception “mémorielle” de l’histoire. L’accusation revenait à dire que les historiens qui étaient ainsi confraternellement dénoncés faisaient plus place à la mémoire qu’à l’histoire. Autant dire : à une relecture subjective qui choisit les faits pour réécrire l’histoire de manière qui soit conforme à ses préjugés. S’agissant de mon propre livre, je ne me sens pas non plus visé puisque je n’ai pas écrit un livre d’Histoire mais un livre de réflexion sur l’Histoire. Mais de manière plus générale, j’observe que cette personne s’est abstenue de donner, chez les auteurs qu’il met en cause, le moindre exemple permettant d’étayer sa dénonciation. Il me semble donc que du seul point de vue de la méthode, elle tombe elle-même sous le coup de sa propre critique.

    L’idée se répand, de fait, à gauche, qu’une histoire réactionnaire dominerait en France dans les médias : ce n’est pas le cas par exemple du Monde, le grand journal d’information du soir, le grand journal de référence, qui, que je sache, n’est pas entre les mains des historiens de droite puisque l’on n’y rend que très exceptionnellement compte des œuvres des historiens qui ne font pas partie de la chapelle, qui ne sont pas dans la ligne, même pour en dire du mal. Des auteurs qui ne sont pas particulièrement engagés politiquement, mais qui ont le tort de n’être pas à gauche, n’ont parfois jamais bénéficié de la moindre recension, même critique, dans Le Monde alors qu’ils ont écrit des livres par dizaines, obtenu une audience auprès du public, été consacrés à l’occasion par des prix. Ce sont des livres qui, aux yeux du Monde, n’existent pas. Nous sommes en présence d’un petit monde qui vit en circuit fermé et, aux yeux duquel, comme chez Molière, « nul n’aura de l’esprit hors nous et nos amis », les autres n’existent pas — ou en tout cas, ils ne devraient pas exister. Or avec cet article, nous sommes devant le spectacle intéressant d’une gauche qui se rend compte qu’en dépit du blackout qu’elle a elle-même organisé sur l’œuvre de ceux qu’elle considère comme des adversaires, cette œuvre a tout de même un certain impact, une certaine résonance dans le grand public parce qu’elle est intéressante et agréable à lire, parce qu’elle propose — quelle horreur ! — des histoires, des personnages, des récits. On comprend que la gauche s’en indigne. Elle n’en traite pas comme d’une œuvre à critiquer, mais comme d’un phénomène (détail significatif : aucune indication ne donne, à la fin de cet article, comme c’est l’usage, les références des livres critiqués : ils ne sont cités que comme objet d’étude, comme symptômes d’une dérive inquiétante et l’on n’imagine pas, au Monde, qu’un lecteur du journal pourrait avoir l’idée saugrenue de les lire ou seulement de les consulter !) Cet article est en quelque sorte un aveu de reconnaissance de la fin de la toute puissance de l’hégémonie intellectuelle de la gauche sur l’Histoire. Elle y dénonce une hégémonie imaginaire parce qu’elle constate, avec effarement, la fin de la sienne.

    R&N : Loin de vous arrêter à l’Histoire de France, votre ouvrage remonte justement jusqu’à l’Égypte ancienne et s’étend sur d’autres continents. Ces histoires si lointaines dans le temps et dans l’espace ont donc quelque chose à nous apprendre ?

    Michel De Jaeghere : Je n’ai pas écrit un manuel d’histoire à destination des enfants des écoles, mais un livre assez personnel où nombre de chapitres très intéressants de l’histoire ne figurent pas. J’y ai évoqué des épisodes qui m’ont personnellement marqué ; qui m’ont permis de développer ma réflexion, ma sensibilité et que j’ai souhaité donner en exemple pour montrer ce que peut nous apprendre l’histoire. Je n’ai pas voulu écrire un livre théorique sur l’utilité de l’histoire ; j’ai voulu en faire la démonstration concrète. Ce n’est ni le programme que je propose pour l’école primaire ou secondaire, ni une histoire universelle, c’est une sélection, un florilège d’épisodes de l’histoire qui ont nourri ma vie et dont je propose à mes lecteurs de partager la méditation.

    J’ai essayé de réhabiliter dans ce livre une disposition d’esprit que je crois en recul voire en voie de disparition : je voulais renouer avec l’idée, qui nous vient de Cicéron, que l’histoire est maîtresse de vie : que son objet n’est pas de nous faire accumuler des connaissances inutiles mais de mettre à notre disposition un certain nombre de faits, d’évènements, de personnages qui puissent nous servir d’exemples et de modèles, desquels nous puissions tirer des leçons qui nous soient utiles parce que nous partageons avec eux la condition humaine, parce qu’il y a entre eux et nous quelque chose de commun qui nous rend leurs expériences précieuses ; que c’est l’intérêt même de la discipline à laquelle les hasards de la vie m’ont fait consacrer l’essentiel de mon temps.

    J’ai eu le sentiment, peut-être de façon exagérée, que la spécialisation dont nous parlions il y a quelques instants a débouché du côté de la recherche, du côté des universitaires, sur une histoire de plus en plus précise, de plus en plus fine mais de plus en plus limitée dans son champ de vision. Qu’au fur et à mesure que les spécialistes accumulaient avec de plus en plus de précision des connaissances dans des domaines de plus en plus étroits, partiels, ils devenaient de plus en plus méfiants envers toute idée de généralisation, toute analogie, toute leçon à tirer d’une histoire connue dans ses détails mais dont l’économie d’ensemble leur semblait désormais trop complexe pour devenir matière à réflexion. Il s’agit là d’un phénomène naturel. Lorsque vous regardez une foule de loin, vous voyez des silhouettes, des personnes qui se ressemblent par leur aspect et leur comportement. Si vous examinez au contraire une infime partie du corps de chacun d’entre eux au microscope, vous allez vous rendre compte de la multitude de leurs différences, vous aurez le sentiment que ces individus ont peu de choses en commun. Il me semble que nous assistons en Histoire à un phénomène de cet ordre. La spécialisation a débouché sur un profond scepticisme de nombre d’historiens à l’idée que l’histoire puisse nous être utile parce qu’elle serait porteuse de vérités éternelles. Ils se sont peu à peu, je le crains, convaincus que les hommes du passé tels qu’ils étaient parvenus à les reconstituer (avec, encore une fois, une précision dont je ne méconnais pas les mérites) nous étaient tellement étrangers, qu’ils étaient tellement différents par les mœurs, par les coutumes, par les pensées, par le mode de vie, qu’il était vain d’essayer de faire entre eux et nous le moindre lien ; de se demander si leurs expériences pouvaient être une nourriture pour nos âmes, si leur modèle pouvait nous servir d’exemple, si la réflexion sur leurs malheurs pouvait nous tenir lieu d’avertissement.

    Nous nous retrouvons donc avec ce paradoxe d’une histoire qui est de plus en plus précise, de plus en plus scientifique, mais qui s’est proclamée elle-même inutile, qui nous dit qu’elle n’a aucune leçon à nous donner. Mais alors pourquoi la pratique-t-on ? Serait-elle vouée à n’être qu’un pur divertissement, une distraction ? S’il ne s’agit que de nous distraire, la technique moderne nous en offre de nombreuses autres occasions, beaucoup plus accessibles, plus faciles, plus spectaculaires. Il me semble donc que ces très estimables savants sont en train de scier avec beaucoup de méthode la branche sur laquelle ils sont assis, d’assassiner leur propre discipline. Ils continuent à la pratiquer en mettant au jour des connaissances de plus en plus précises, de plus en plus fouillées et en proclamant que ces connaissances ne doivent en aucun cas être utiles. Qu’elles ne servent à rien. Certains affectent en outre d’écrire dans un sabir de plus en plus incompréhensible avec un souci de moins en moins évident de diffuser leurs connaissances. C’est un phénomène d’auto-admiration, un monde où l’on écrit pour ses pairs, pour leur faire part de la découverte d’une nouvelle donnée qui remet en question ce que l’on croyait à la génération précédente (idéalement : ce qu’on croyait sur la foi des recherche d’un maître appartenant à une chapelle universitaire concurrente, sur laquelle on prend ainsi une revanche). Tel est certes l’un des objectifs de l’Histoire, celui du chercheur : remettre en question ce qui était cru auparavant par la découverte de nouveaux documents, l’analyse plus fine ou plus serrée des sources. C’est évidemment nécessaire, mais ce n’est qu’un moyen ou une technique. Le but de l’histoire n’est pas l’accumulation de connaissances inutiles, son but est d’offrir ces connaissances à la méditation de nos contemporains. Quelle est l’utilité de la mémoire individuelle ? De nous faire bénéficier de notre propre expérience, et d’en enrichir notre esprit pour guider nos comportements. Pourquoi l’enfant ne met-il plus la main dans le feu ? Parce qu’un jour, il s’est brûlé et qu’il a le souvenir que c’était douloureux. Il en va de même pour l’histoire, qui est l’expérience des peuples. Sans doute est-elle pour une part, toujours différente du présent. Mais il y a aussi en elle des permanences qui sont sources d’enseignement. De la même façon que l’expérience des individus est la source de leurs jugements moraux dans la suite de leur existence, de même, l’Histoire est-elle pour les peuples une école de discernement.

    R&N : Ce désintérêt pour les exempla ne vient-il pas aussi justement d’une sorte de refus de juger ; de juger par exemple la valeur des différentes civilisations ? Vous évoquez dans votre livre la conquête arabe comme le déferlement des “cavaliers de l’Apocalypse”, dénoncez l’incamania avec une vision assez noire des peuples d’Amérique du Sud avant leur évangélisation. N’êtes vous pas en train de faire ce qu’il est, pour la gauche, interdit de faire, c’est-à-dire de juger les civilisations ?

    Michel De Jaeghere : Mon livre, j’y insiste, n’est pas un livre d’Histoire, mais un livre de réflexion sur ce que l’Histoire a à nous dire. Parmi les leçons qu’elle nous donne, l’une d’elles est, à mes yeux, qu’il existe à l’évidence une hiérarchie entre les civilisations, dans la mesure où certaines contribuent, par leurs institutions, leur système éducatif, leur religion, leur modèle social ou économique, leurs arts, à aider l’homme à accomplir sa nature, à tendre au beau, au vrai au bien, tandis que d’autres les en éloignent en l’entraînant à la bestialité et à la violence. Je pense cependant qu’il faut, là-encore, distinguer deux temps dans la démarche historique. Il y a d’abord le temps de l’établissement des faits, où il est nécessaire d’étudier le passé avec la plus grande objectivité possible (sans perdre de vue cependant que celle-ci est sans doute un idéal inaccessible, et que le plus honnête et le plus sourcilleux des chercheurs restera marqué par une subjectivité qui se manifestera dans le choix et la hiérarchisation des données qu’il étudie). Une fois les faits établis (ou en tout cas approchés le mieux possible : comment parler de certitude en Histoire, s’agissant d’épisodes dont nous sommes séparés par des siècles, et dont nous n’avons que des témoignages partiaux, partiels, lacunaires, provenant de témoins qui n’avaient ni le même mode de vie, la même langue, les mêmes mœurs, les mêmes références, les mêmes idéaux que nous, quand nous ignorons souvent toute une part des vies de ceux que nous fréquentons quotidiennement, quand deux témoins d’un même évènement auront, deux jours plus tard, du mal à accorder leurs versions ? L’historien doit garder cela en permanence en tête pour rester modeste quant à la pertinence de ses conclusions) il y a second temps où rien n’interdit, à mes yeux, de poser un jugement moral sur les évènements. Si l’on exclut la possibilité d’un tel jugement (l’établissement d’une hiérarchie entre les civilisations, par exemple), encore une fois, à quoi sert l’histoire ? La neutralité est nécessaire dans l’établissement des faits. Mais elle n’est qu’un moyen, et, partant, un moment. Dans un procès, le juge d’instruction instruit normalement à charge et à décharge. C’est la démarche du chercheur. Mais vient ensuite la juridiction qui porte le jugement. Ce que j’ai souhaité faire, dans mon livre, c’est m’appuyer sur mes lectures, et donc, sur le travail des chercheurs qui ont écrit les livres que j’ai lus depuis environ quarante ans, pour passer à la deuxième phase, et donc porter des jugements. Ce que Jean Sévillia a très justement dénoncé comme l’« historiquement correct » consiste en fait à procéder à une inversion des phases : à commencer par rendre d’abord un jugement, pour ensuite instruire seulement à charge, ou au contraire à décharge, en cherchant à mettre en évidence les faits qui correspondent à un verdict rendu d’avance. Je refuse cependant l’idée que ces dérives ne puissent être combattues que par une histoire qui se contente de mettre les faits sur la table, et s’interdise, au nom d’une objectivité largement illusoire, de porter sur eux la moindre appréciation. J’ai voulu réhabiliter l’idée que l’histoire sert au contraire à nous aider à choisir entre l’utile et l’inutile, l’efficace et l’inefficace, le bien et le mal, le vrai et le faux, le beau et le laid. C’est par là qu’elle peut contribuer à notre accomplissement.

    R&N : Vous évoquez la propension occidentale à déprécier notre passé en contestant qu’elle procède, comme on le dit souvent, de la haine de soi. Vous donnez notamment en exemple l’incamania qui est désormais le fait, en Amérique latine, non seulement des Indiens mais des descendants des colons espagnols…

    Michel De Jaeghere : Il me semble en effet que tout ce qui nous est étranger est désormais susceptible d’être magnifié (voyez l’emblématique Musée des arts premiers), jusqu’aux sanguinaires civilisations précolombiennes, qui associaient à une tyrannie totalitaire une religion qui faisait en permanence couler le sang des captifs sur les autels. Tout ce qui nous vient de nos pères fait en revanche l’objet de criminalisation et finalement de repentance. On prétend effectivement souvent que ce réflexe relèverait chez les Occidentaux de la haine de soi. Or il suffit d’observer le comportement des élites qui sont, depuis la fin des années soixante, en situation d’hégémonie culturelle, pour voir qu’elles ne se haïssent nullement, qu’au contraire, elles s’adorent ; que leur idéal est un individualisme absolu, qui fait de l’accomplissement de leurs désirs, de l’accumulation des biens de consommation, de l’abolition de toute limite à leur soif de plaisirs immédiats, le but même de leur existence. Il y a en revanche chez elles une haine profonde de l’idée d’héritage, une haine de l’idée que l’homme soit (pour reprendre la belle expression de Jean Madiran) un « débiteur insolvable » de ceux qui l’ont précédé et qui lui ont remis en dépôt, avec la civilisation, un trésor qui ne lui appartient pas, mais qu’il lui revient d’enrichir et de transmettre. Cette conception des choses, qui fait de nous des sujets de devoirs (dont nos droits ne sont que les conséquences, les reflets) en même temps que les maillons d’une chaîne, les protagonistes d’une aventure qui nous dépasse, est tellement opposée à l’hédonisme contemporain qu’il lui est nécessaire pour la disqualifier, de discréditer tout ce qui nous vient de nos pères, en répétant ad nauseam que ceux dont nous sommes issus n’ont été qu’une collection de bandits, de criminels et d’incapables avec lesquels nous n’avons, heureusement, rien de commun.

    R&N : Pourquoi cette insistance particulière sur le thème du déclin (ou de la décadence) des civilisations, thème présent dans nombre de chapitres mais aussi dans votre ouvrage précédent : Les Derniers jours. La fin de l’Empire romain d’Occident (Belles Lettres) ? L’histoire nous indique-t-elle quels sont les invariants qui permettent à une civilisation de durer ?

    Michel De Jaeghere : Parce qu’il n’y a guère de question plus intéressante que celle de comprendre pourquoi, comment vivent, prospèrent et meurent les civilisations !

    Je n’ai étudié en détail qu’un seul cas : celui de l’empire romain d’Occident. Je n’ai donc pas compétence pour tirer une conclusion générale susceptible de s’appliquer à toutes les civilisations. Étant parti à la recherche des causes (comment une civilisation aussi éclatante que la civilisation gréco-romaine avait-elle pu s’effondrer brutalement ?), je suis arrivé à la conclusion qu’on pouvait dégager un ensemble de causes internes et de causes externes, mais qu’il était vain de tenter de réduire les faits à une cause unique : que nous étions bien plutôt en présence d’une dynamique mortifère où les causes s’étaient enchainées les unes aux autres dans un processus que j’ai tenté de mettre en évidence.

    Dans ce processus, l’un des facteurs qui m’a paru le plus frappant est le caractère irréaliste, pour une civilisation, d’avoir l’ambition de perdurer dans la prospérité au milieu d’une zone de chaos, de misère et d’anarchie. De telles situations ne se prolongent que tant que les populations vivant dans ces périphéries anarchiques sont peu nombreuses, lointaines, et qu’elles ignorent tout de la zone de civilisation. Lorsqu’elles en apprennent l’existence, ces populations sont naturellement amenées à tenter de venir partager le bien-être qui y règne. Elles sont invinciblement attirées par elles. Le malheur est qu’il arrive que le résultat soit qu’elles apportent avec elles le chaos et la barbarie qu’elles tentaient de fuir : qu’elles détruisent, par leur intrusion, cela même qu’elles étaient venu chercher, condamnant à la misère les pays qu’elles ont envahis, elles-mêmes, et jusqu’à ceux de leurs congénères qui ne les ont pas suivies dans leur migration, et qui cessent, du fait de l’effondrement de la civilisation dominante, de bénéficier des échanges qui faisaient pénétrer un peu de prospérité dans les périphéries. C’est ce qui s’est passé avec l’empire romain d’Occident, dont la chute a fait retourner certains peuples au niveau de vie qu’ils avaient connu pendant la préhistoire.

    L’histoire de Rome a tous les ingrédients d’une tragédie, parce que Rome a forgé elle-même les instruments de sa perte. C’était bien sûr une illusion de penser qu’elle pourrait exercer une domination universelle. Je ne suis pas mondialiste et je pense qu’un État doit être nécessairement limité pour continuer à correspondre à la mesure humaine, pour rester capable d’entretenir, entre ses citoyens, une certaine solidarité, pour permettre l’accord, au moins tacite, des gouvernants et des gouvernés. Il était donc nécessaire que Rome mette un jour un terme à l’expansion qui l’avait condamnée, semble-t-il, à mener une guerre de conquête perpétuelle. Pour autant, la décision d’arrêter, au IIe siècle, la conquête de l’immense forêt germanique pour jouir désormais sans contrepartie des avantages de la paix romaine, s’est révélée catastrophique à long terme (mais les Romains avaient-ils vraiment le choix ? Avaient-ils les moyens matériels et humains d’aller plus loin ? De coloniser le vaste Barbaricum pour y faire naître une civilisation urbaine ?), parce qu’elle a maintenu une zone d’anarchie à la périphérie de l’Empire. Rome a renoncé à coloniser la Germanie, et s’est contentée d’entretenir, avec ses tribus, des liens commerciaux et militaires, en faisant des échanges d’or contre des matières premières (les fourrures, l’ambre), et en engageant leurs guerriers comme mercenaires. Elle a substitué à la colonisation qui aurait fait des Germains des sujets et des partenaires, un jour des citoyens, une mondialisation qui leur faisait entrevoir la lumière de la civilisation sans être réchauffés par elle. C’était enclencher le fatal engrenage d’où ont procédé les grandes invasions, contre lesquelles l’Empire a dû mener, pendant près de trois siècles, une épuisante guerre défensive. Laisser le Barbaricum dans le chaos et la misère, tout en entretenant, avec lui des relations, en lui fournissant des subsides, c’était s’exposer en effet à ce que les plus entreprenants ou les plus agressifs de ses chefs se dotent des moyens nécessaires pour engager, le jour venu, contre Rome, l’offensive. « Les sociétés en dissolution, écrit Fustel de Coulanges, sont toujours un dangereux voisinage. Si faibles qu’elles soient, elles ont toujours la capacité de nuire. Incapables de rien fonder chez elle, elles peuvent détruire ce qui est à leur portée. Il n’est pas d’empire, si fortement constitué qu’il soit, qui puisse vivre en sûreté à côté d’elles. Entre civilisés et barbares, la lutte n’est pas égale. Les nations civilisées appliquent neuf dixièmes de leurs forces à la paix et au travail ; les barbares appliquent à la guerre tous leurs bras et toute leur âme. Il peut donc arriver que des sociétés très fortes soient matériellement vaincues par des sociétés très faibles. » (L’invasion germanique). Il est significatif que ce ne soit pas de la confrontation avec l’empire Parthe devenu l’empire Perse, le grand ennemi de Rome tout au long de l’histoire romaine, qu’ait procédé sa chute, mais de ces obscures tribus qui n’avaient d’autre consistance que celle qu’elles avaient reçue de Rome lorsque celle-ci avait aidé leurs chefs à constituer des bandes guerrières pour les utiliser comme auxiliaires. Si l’empire universel est une utopie, je pense cependant qu’une frontière ne peut être solidement tracée que devant le désert, ou devant une autre frontière, face à un autre État, une autre civilisation, un autre empire. Avec eux, on a toujours la possibilité de faire la guerre, mais aussi de négocier, de faire la paix, d’enregistrer des avancées ou des reculs. Face à l’anarchie, rien n’est possible : comme dans le Désert des Tartares, on a simplement une immense frontière à défendre, face à un ennemi qui peut venir de partout, n’importe quand ; avec lequel on ne peut pas négocier — parce qu’il n’y a chez lui ni chef stable, ni respect des traités, ni conscience claire des rapports de forces ; qu’on ne peut même pas vaincre définitivement, puisqu’il est toujours susceptible de renaître sous une autre forme.

    Gabriel Martinez-Gros montre, dans un livre publié à peu près en même temps que le mien, Brève Histoire des empires : Comment ils surgissent, comment ils s’effondrent (Seuil, 2014, 215 p.), qu’Ibn Kaldhun était arrivé à peu près à la même conclusion au XIVe siècle sans connaitre l’histoire de la fin de l’empire romain d’Occident. Il y était parvenu en étudiant les différents califats et principautés du monde musulman, et en mettant en évidence l’opposition entre nomades et sédentaires. Il montre que pour créer la prospérité et la paix chez les sédentaires, il avait fallu que l’État s’assure le monopole de la violence en désarmant ses sujets. Mais qu’en même temps, pour les défendre face aux menaces extérieures, il lui fallait constituer des armées. On les avait donc recrutées à la périphérie parmi les tribus nomades combatives et belliqueuses, à qui l’on avait confié la mission de garde-frontières. Mais il arrivait inévitablement un moment où ces tribus voulaient profiter de cette prospérité en faisant, contre les sédentaires, usage du monopole des armes qui leur avait été concédé imprudemment. Il y a un parallèle flagrant avec la fin de l’Empire romain, qui avait vu les empereurs du Ve siècle finir par confier aux barbares eux-mêmes leur défense.

    Un autre parallèle vient inévitablement à l’esprit, même s’il est, évidemment, imparfait et partiel (comme tout parallèle historique) : c’est celui que l’on peut tracer avec le grand ébranlement de peuples dont notre siècle est désormais le théâtre. La situation est très différente puisque d’un côté, l’invasion que subit l’Occident est, pour l’essentiel, pacifique, et que, d’un autre, elle met en jeu des foules infiniment plus grandes que du temps des invasions germaniques. Le parallèle tient à ceci que nous avons choisi, nous aussi, de jouir de la prospérité en choisissant de décoloniser l’Afrique. La colonisation souffrait de toutes sortes de tares et suscitait nombre d’injustices, mais elle était tout de même animée, in fine, par un idéal en même temps que par un calcul. Le calcul était celui d’obtenir, pour la puissance coloniale, un surcroît de richesse et de pouvoir. Mais l’idéal était en même temps de créer la prospérité par le courage et le sacrifice dans des pays restés à l’écart du développement. Or les Occidentaux se sont rendu compte que ce système leur coûtait en réalité très cher, et ils ont choisi le repli sur eux-mêmes, pour jouir dans la tranquillité et la bonne conscience de leur prospérité matérielle, en abandonnant les peuples sous-développés à l’anarchie. Ceux-ci se rappellent aujourd’hui à notre bon souvenir.

    Appréciations de la presse :

    La rigueur des faits s'allie à l'élégance de la formulation. La netteté de la pensée se conjugue avec le souci de la nuance. Cet ouvrage est un plaisir de lecture et un réconfort.
    Le Figaro magazine - 23/09/2016

    C'est dans ce grand livre que Michel De Jaeghere a fait courir sa plume. Une pointe fine, ferme et sensible, qui domine sa mélancolie par la grâce de quelques notes de musique, la force de l'admiration...c'est pour mieux poursuivre la méditation entamée dans son maître ouvrage : celle du temps qui passe, des pierres qui s'érodent, des hommes qui meurent et des enfants qui naissent. 
    Le Figaro Histoire - 01/10/2016

    Voici une Histoire méditative dont la lecture, agréable et aisée, s'avère aussi émouvante qu'enrichissante.
    Atlantico - 18/11/2016

    Passionnant (...) On retrouve la même étincelante intelligence, la même profondeur de vue... la qualité d'une plume où l'érudition et l'analyse se marient idéalement avec le souffle, l'ampleur et même l'émotion.
    Valeurs actuelles - 20/10/2016

    Tout à la fois revigorant et insolite (...). Il faut lire cet essai stimulant.
    Le Figaro littéraire - 27/10/2016

    Une étude magistrale consacrée a la fin de l'Empire romain d'Occident.
    la Nouvelle revue d'histoire - 30/01/2017

    En survolant quatre mille ans d'histoire de sa plume altière, Michel De Jaeghere n'a pas la prétention de nous livrer un abécédaire pour briller en ville, mais nous offre au contraire une leçon de modestie. Le vertige qui saisit à la lecture de ces pages est un vaccin contre l'ingratitude (...).
    Le Figaro - 20/10/2016

    Michel De Jaeghere par Mathieu Bock-Côté : un historien méditatif vu du Québec
    FigaroVox

    Michel De Jaeghere est directeur du Figaro Histoire. Il a publié aux Belles Lettres Le Menteur magnifique, Chateaubriand en Grèce, Les Derniers Jours, la fin de l’empire romain d’Occident et La Compagnie des Ombres, à quoi sert l’Histoire ?

  • Livre. Notre sélection : le génocide voilé

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    Le 10 mai dernier était consacré à la commémoration de l’esclavage en France, il eut été opportun de rappeler aux ethnomasochistes de tout poil, que la traite négrière n’est pas uniquement le fait des blancs (et des juifs) d’Europe vers les États-Unis. En effet, « les Arabes ont razzié l’Afrique subsaharienne pendant treize siècles sans interruption. La plupart des millions d’hommes qu’ils ont déportés ont disparu du fait des traitements inhumains ».

    Le génocide voilé, une enquête du chercheur Tidiane N’Diaye, éclaire un drame passé à peu près inaperçu : la traite des Noirs d’Afrique par le monde arabo-musulman. Cette traite a concerné dix-sept millions de victimes tuées, castrées ou asservies, pendant plus de treize siècles sans interruption. Les razziés étaient contraints de traverser le désert à pied pour rejoindre le Maghreb, l’Égypte ou la péninsule Arabique via Zanzibar, par bateaux… Pourtant, cette traite négrière a été minimisée, contrairement à la traite occidentale vers l’Amérique. Pourquoi ? Parce que seule la conversion à l’islam permettait d’échapper à l’esclavage. De nos jours, la majeure partie de l’Afrique est devenue musulmane. Un livre polémique et courageux selon Joachim Véliocas.

    Ecoutez l'émission du 5 mai 2017 vec Tidiane N’Diaye qui présente son livre « Le génocide voilé » :  ICI

    Source : Observatoire de l’islamisation

  • Notre sélection : "Châteaux anciens - Tours et métairies nobles"

    Il n'y a tout de même pas que de mauvaises nouvelles ! Nous avons le plaisir d'apporter notre contribution à la dernière souscription proposée par les éditions du Chameau Malin. Tous les amoureux de leur pays devront conserver précieusement ce premier tome Châteaux anciens - Tours et métairies nobles".

     

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  • Livre. Notre sélection : La super-classe en pleine lumière

    La super classe.jpgÉnarque, rédacteur pour le site de Polémia et suppléant de Jean-Yves Le Gallou à l’émission « I – Média » sur TV Libertés, Michel Geoffroy vient de publier une somme considérable à la convergence de la sociologie, de la politique, de la médiologie, de l’histoire, de l’économie et de la philosophie. Parue chez Via Romana, La super-classe mondiale contre les peuples (475 p., 24 €), agrémentée par une préface de Jean-Yves Le Gallou, fera date parce qu’elle révèle les mutations idéologiques en cours.

    En effet, Michel Geoffroy a longtemps suivi les travaux du Club de l’Horloge, ce cercle de pensée libérale-nationale-conservatrice pro-occidental « déviationniste » de la « Nouvelle Droite ». Il n’hésite pourtant pas dans cet essai à fustiger le libéralisme et à dénoncer, à l’instar des « Casseurs de pub » et des lecteurs de l’Internationale situationniste, l’emprise spectaculaire. Il observe que « l’interdit sanctionne aujourd’hui avant tout les domaines inaccessibles au marché (p. 217) ». « Le cercle financier de la superclasse mondiale, note-t-il ensuite, réussit la performance, avec la complicité des médias, de mettre en accusation les victimes de sa propre politique (p. 256). »

    Par « superclasse mondiale », l’auteur « désigne une véritable classe sociale – au sens sociologique du terme – présentant des caractéristiques communes, principalement celles d’être justement une classe transnationale de riches contre les nations et contre les peuples. Une super-classe, c’est-à-dire une oligarchie qui se prétend au-dessus des États, dont elle programme de toute façon le dépérissement (p. 14) ». Cette catégorie planétaire au comportement homogène, mais dont les intérêts financiers peuvent – le cas échéant – se concurrencer, d’où d’incontestables rivalités internes parfois féroces, s’organise autour de « quatre cercles ou réseaux transnationaux […] : le cercle de l’élite économique et financière, celui des médias et de la culture, celui des entités non gouvernementales, enfin celui des élites publiques (p. 30) ».

    Michel Geoffroy insiste sur la nocivité des ONG souvent financées par Soros et d’autres milliardaires d’origine « anglo-bancaire ». Il pointe aussi l’influence discrète et déterminante des « sociétés de pensée et de pressions » mondialo-atlantistes. Sans craindre d’être qualifié par les larbins du Système de « complotiste », il évoque par exemple le Council on Foreign Relations (CFR), l’Institut Montaigne, la fondation Terra Nova, Le Siècle bien sûr, la French-American Foundation, le Forum de Davos, le groupe Bilderberg ou la Commission Trilatérale. Toutes agissent en faveur d’un gouvernement mondial, au service d’une dangereuse illusion, car « le mondialisme n’est pas la solution, mais bien le problème (p. 340) »

    Georges Feltin-Tracol

  • Un beau cadeau pour les fêtes : La Bibliothèque monde - La Vaticane et les Archives secrètes

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    Entrez dans l’un des lieux les plus secrets au monde, conservatoire et mémorial de l’humanité.

    Des premiers manuscrits de la Bible à la dernière partition de Mozart, des premières relations épistolaires avec la Chine à la dernière lettre de Marie-Antoinette, mais aussi du procès de Galilée aux relations avec la République, relisez l’Histoire du monde grâce aux trésors de la Bibliothèque monde.

    Ancien Bibliothécaire de la Vaticane et de ses archives de 2012 à 2018, Mgr Jean-Louis Bruguès nous emmène avec lui dans ses promenades. Il nous invite à découvrir ces lieux d’exception et dévoile, en exclusivité, ses plus belles pièces : manuscrits rares, ouvrages remarquables, objets précieux. Tous ces documents racontent les événements et les personnages qui ont fait notre Histoire.

    Un album exceptionnel d’initiation à la chronique universelle en textes et en images.

    Mgr Brugues1.jpgAprès avoir enseigné la théologie morale fondamentale à Toulouse et à Fribourg, Jean-Louis Bruguès, dominicain, ancien évêque d’Angers et membre de la Commission théologique internationale, a été nommé archevêque et président de la Bibliothèque apostolique et des Archives secrètes du Vatican (2012-2018). Il a pris sa retraite à Béziers.

     

    Cet ouvrages est disponible

    à la librairie Le Chameau Malin 9 rue Montmorency 34500 Béziers.

     

     

    Format 16 X 24 - papier couché - 375 pages
    Prix public 35 €

     

    MGR JEAN-LOUIS BRUGUÈS :
    « Dans la rencontre entre le pape Nicolas V,
    son fondateur, et Fra Angelico, son décorateur,
    il y a l’ADN de la bibliothèque du Vatican :
    rigueur scientifique et splendeur esthétique. »

    Pouvez-vous en quelques phrases - exercice presque impossible -caractériser
    ce qu’est la "bibliothèque monde" ?

    On peut dire que la Bibliothèque du Vatican est l'une des plus vieilles du monde. On ne connaît certes pas la date exacte de sa création, mais on sait qu’elle a été fondée peu d’années avant 1450. L’une des plus anciennes donc, mais surtout l’une des plus riches. Bien sûr, d’un point de vue purement quantitatif, les bibliothèques de Washington, Paris ou Londres sont supérieures, quoique avec ses cinquante-quatre kilomètres de rayonnages et à peu près cent mille manuscrits, le moins que l’on puisse dire est qu’elle « présente bien ». Mais si je ne devais retenir qu’une seule caractéristique, c’est le mot "humaniste" qui me viendrait à l’esprit. Elle est humaniste bien sûr parce qu’elle a été créé à l’époque de l’essor de l’Humanisme, de la Renaissance. Elle est humaniste par ses fonds, puisqu’elle a eu très vite un fonds latin et grec, puis juif, puis arabe, puis au XVIIIe siècle des fonds asiatiques, de telle sorte que le meilleur de la culture du monde entier - d’où le titre de Bibliothèque monde - s’y trouve. Elle est humaniste aussi par sa destination, puisque le pape Nicolas V, qui a créé cette bibliothèque, voulait qu’elle s’adresse aux chercheurs du monde entier, et ce, quelles que soient leurs convictions personnelles. Un épisode est révélateur de cet état d’esprit particulier : au XVIIe et au XVIIIe siècle, les protestants n’avaient pas la possibilité d’acheter une maison à Rome. Mais le règlement de la Bibliothèque, à cette époque-là, est très explicite sur le fait que ces mêmes protestants étaient habilités à entrer chez nous et à y travailler exactement comme les autres.

     

    Nombre de pièces et oeuvres présentées dans le livre sont de caractère profane. En quoi nous ramènent-elles, in fine, au sacré et à la foi ?

    Le fait précisément que ce soit une bibliothèque humaniste, puisque le pape Nicolas V, son fondateur, avait voulu qu’y soit réuni ce que les hommes avaient fait de plus beau, de plus juste, de plus précis. Elle compte bien sûr de très nombreux ouvrages à caractère religieux - philosophie, théologie, droit canon - mais ce n’est pas une bibliothèque comme on peut en trouver dans les séminaires ou les facultés de théologie. Pour être clair, son fonds profane est beaucoup plus important que son fonds religieux. À preuve, nous avons là sans doute la meilleure bibliothèque au monde pour l’histoire de la médecine. Nous avons aussi un fonds exceptionnel pour les mathématiques ou pour l’astronomie. Sans parler évidemment des arts, pour lesquels le fonds est plus que riche. Beaucoup de profane avec beaucoup de religieux, donc. Et finalement, pourquoi opposer les deux ? Selon une phrase de Térence, l’auteur latin, "tout ce qui parle de l’homme nous enrichit". Pour le scientifique, comme pour l’artiste ou le théologien, tout cela contribue à la richesse et à la beauté de l’esprit humain. J’insiste sur le mot « beauté » qui me paraît être une bonne clef d’entrée. En effet, Nicolas V, avant d’être élu pape, était vu comme un scientifique et un érudit. La famille Médicis avait fait appel à lui pour créer à Florence une bibliothèque moderne. On lui donne le couvent Saint-Marc pour réaliser cette oeuvre et il va travailler là en même temps qu’un dominicain connu sous le nom de Fra Angelico, chargé de décorer les austères cellules de ce couvent - qui allait être un couvent de la Réforme dominicaine - de fresques magnifiques que nous admirons encore aujourd’hui. Ils ont travaillé ensemble. Ils se sont - en tout cas j’aime à le supposer - compris et appréciés réciproquement. Et lorsque Nicolas V est élu à Rome, il fait venir Fra Angelico et lui confie la décoration d’une partie des appartements pontificaux. Il y a dans cette rencontre entre ces deux hommes ce que je crois être l’ADN même de notre Bibliothèque : la rigueur scientifique et la splendeur esthétique. Et ces deux approches complémentaires, en tout cas intimement unies, ne relèvent ni de la foi, ni du religieux Mais elles sont sacrées parce qu'elles permettent d’aller au cœur de l’Homme.

    S’il n’y avait qu’une pièce dont vous voudriez faire partager l’amour au public ?

    S’il m’était donné de prendre chez moi une seule pièce - rêve impossible bien sûr - je crois que j’en prendrais… deux. Oh ! ce ne sont peut-être pas les plus importantes, mais ce sont celles qui sont les plus chères à mon cœur. D’abord, il y a le manuscrit Bodemer, c’est-à-dire le texte le plus ancien du Nouveau Testament, puisqu’il contient à peu près la moitié de l’Évangile de Luc et la moitié de l’Évangile de Jean. Il y a dans ce manuscrit un lien extraordinaire avec la personne même du Christ, puisque quelques années à peine se sont écoulées entre sa disparition et sa rédaction. Alors évidemment, on peut aller au Christ de diverses manières, mais il y a là une approche tout à fait propre à une bibliothèque. On a encore dans ce manuscrit qui date de la fin du IIe siècle comme un écho direct du Christ. Pour le second manuscrit… j’ai toujours aimé le courant de la devotio moderna, qui représente un peu la matrice spirituelle de ma formation. Ce courant est illustré dans le domaine de l’art par les « Livres d’œuvre », qui comportent les prières de la journée et qui sont magnifiquement illustrés. Pouvoir emporter la liturgie dans un livre de poche, cela me touche profondément. Et cela renvoie à la définition du livre que donnait Brigitte de Suède : un jardin que l’on mettrait dans sa poche.

  • Librairie "Le Chameau malin" : deux nouveaux ouvrages

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    Très bel ouvrage sur la vie sociale à Béziers entre 1850 et la Grande guerre.

    Il concerne tout autant les personnes de la société bitteroise généralement fortunées,

    que les artistes photographes grâce auxquels nous pouvons encore mettre un visage sur un nom,

    souvent prestigieux.


    Cette galerie de portraits permet de recenser les ateliers photographiques

    dont certains comme Reynouls connurent une pérennité de plusieurs décennies.


    On découvrira également avec ravissement les clichés réalisés par Louis Paul, cet artiste

    complet, cheville ouvrière du Béziers 1900, souvent dans le cadre familial ou amical,

    autre aspect de l'art photographique de cette seconde moitié du XIXe siécle.

    Format 16X 24 -papier bouffant - 426 pages

    Prix public 18 €

     

    Villeneuvette.jpg

    L'ouvrage déroule le fil de l'histoire de cette cité industrielle et ouvrière sur près de trois siècles. Tout d'abord depuis sa création, ensuite ses agrandissements sucessifs, lors de périodes fastes où 700 ouvriers s'activent, puis enfin l'industrialisation, la concurrence, les difficultés et la fermeture en 1954.

    Manufacture Royale, Impériale, entreprise familiale et capitaliste, le passé de ce microcosme reste inscrit dans cet ensemble architectural original.

    Format 16 X 24 - papier couché - 375 pages
    Prix public 35 €

     

    Ces deux ouvrages sont disponibles

    à la librairie Le Chameau Malin 9 rue Montmorency 34500 Béziers.

    Vous pouvez également les commander en laissant vos coordonnées à l'adresse 

    lechameaumalin@gmail.com Au prix du livre s'ajouteront les frais de port.

  • Livre. Notre sélection : Les Guerres d'Afrique de Bernard Lugan

     

    Guerres du Sahel.jpg

    Alors que nos héros de l’actualité récente reposent en paix, il peut ne pas être inutile de s’interroger sur la tectonique profonde de la région sahélienne, avec laquelle la France partage un peu de son histoire.

    C’est ce que fait Bernard Lugan, avec son érudition coutumière en matière d’histoire africaine, en remontant aux premiers empires de la région, s’attardant sur l’islamisation ou sur les tensions ethniques, livrant ainsi, page après page, toutes les clés de lecture nécessaires à la compréhension de la difficile situation à laquelle les décideurs de l’opération Barkhane – hier Serval – se trouvent aujourd’hui confrontés. Et si c’est la situation malienne qui a déclenché Serval, ce sont bien la complexité et l’interdépendance des pays du « G5 Sahel » qui ont justifié l’avènement de Barkhane, du nom de ce vent désertique qui se joue des frontières et des projets humains – et peut tout balayer dans un caprice du destin.

    Bernard Lugan, familier du monde militaire, n’est guère rancunier envers les chefsLugan1.jpg pusillanimes qui l’ont écarté de Saint-Cyr et de l’École de guerre, parce qu’il y disait la vérité. Il livre, en effet, à ceux qui s’engagent en terre africaine (mais pas seulement) un véritable trésor, le panorama clair et brillant d’une situation dangereuse et inconfortable qui, ici comme en Europe, met en jeu des dynamiques intemporelles, pour qui sait lire au-delà de l’immédiateté.

    Un livre à conseiller sans réserve, pour comprendre ce qui est en jeu, et pourquoi, dans ce désert qui, depuis longtemps déjà, absorbe le sang français dans la solitude des sables.

  • Livre. Notre sélection :« L’Islam à la conquête de l’Occident. La stratégie dévoilée »

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    Jean-Frédéric Poisson, président du Parti chrétien-démocrate (PCD), publie un livre « explosif » révélant un document stratégique adopté en 2000 par les États musulmans pour installer en Occident une « civilisation de substitution ». Explications.

    Votre livre examine un document intitulé « Stratégie de l’action culturelle islamique à l’extérieur du monde islamique », qui a été élaboré par l’ISESCO, département culturel de l’Organisation de la Coopération islamique (OCI), regroupant 57 États musulmans. Dans quelles circonstances avez-vous découvert ce texte dont personne ne parle et pour quels motifs avez-vous décidé d’en faire connaître le contenu au plus grand nombre ? 

    C’est en lisant un livre de l’universitaire libanaise Lina Murr Nehme (Tariq Ramadan, Tareq Obrou, Dalil Boubakeur – Ce qu’ils nous cachent, ed. Salvator) que j’ai découvert le titre de ce document auquel elle faisait référence. Ma curiosité a fait le reste : je suis allé le consulter sur internet (il est disponible sur le site isesco.org) et sa lecture m’a édifié. Il n’est pas fréquent que la deuxième plus importante organisation d’États au monde, en l’occurrence l’OCI, élabore un document stratégique visant purement et simplement à assurer la domination de sa civilisation sur le reste du monde, et le disant ouvertement. L’origine de ce texte, son caractère officiel et son objectif universaliste me sont apparus comme autant de raisons de le faire connaître au grand public… et aussi aux responsables politiques français ! On ne sait jamais… 

    Pouvez-vous esquisser rapidement les principes énoncés dans cette Stratégie ? 

    Chaque musulman a le devoir de protéger et de fortifier partout sa communauté (l’Oumma) et d’assurer la propagation de tous ce qui la constitue. Il y a une vingtaine d’années, les États islamiques constataient que les communautés musulmanes occidentales n’étaient plus en situation de transmettre l’Islam dans de bonnes conditions aux nouvelles générations, et donc de répondre à cette double obligation. La Stratégie culturelle islamique vise donc d’abord à ré-enraciner les musulmans occidentaux dans leur culture et leur foi, pour qu’ils soient acteurs de l’islamisation universelle. La déréliction actuelle de l’Occident, le vide que représente la société de consommation, ont évidemment, aux yeux des responsables musulmans, vocation à ouvrir la voie au seul projet de civilisation qui soit à la fois exigeant et profitable à l’homme : l’Islam. Le document que je commente dans mon livre planifie ce remplacement. Il évoque lui-même la volonté « d’installer une société islamique pure et saine » en Occident. Difficile d’être plus clair ! 

    Selon vous, pourquoi ce document, malgré son caractère officiel, n’a jamais été pris en considération par les dirigeants politiques occidentaux, français en particulier, et par les élites en général, depuis sa publication en 2000 ? 

    D’abord la majorité des responsables politiques français considèrent l’islam comme une sorte de christianisme des Arabes. Et qu’il évoluera donc comme le christianisme – à leurs yeux tout au moins – a évolué, c’est-à-dire dans le sens d’un adoucissement, pour ne pas dire d’un affadissement progressif de ses principes. En un mot, ils ne connaissent ni ne comprennent la nature profonde de l’islam. Ensuite, beaucoup d’entre eux sont tout de même biberonnés aux bienfaits du multiculturalisme, consciemment ou non. Et cette doctrine, qui est le premier moment de la conquête de l’Europe par l’Islam, entre facilement en résonance avec ce que souhaite ce dernier. Enfin, il y a le pire : la couardise, face à un phénomène – la progression de l’islam en France – qu’ils renoncent à traiter dans le débat public, à cause de la pression médiatique qui existe sur ce sujet. Tout cela est en train de changer un peu, mais très lentement. 

    Vous affirmez sans ambages, preuves à l’appui, que l’islam est porteur d’un projet conquérant. Votre position est rarissime chez les responsables politiques occidentaux. Comment expliquez-vous leur passivité face à cette menace, que je qualifierais volontiers d’« existentielle », alors que tant d’études sérieuses sur ce sujet ont été publiées par des experts ? 

    Aux raisons que je viens d’évoquer s’ajoute une stratégie de la réduction au silence menée par les Frères musulmans, en particulier contre leurs opposants. J’ai rencontré récemment un historien spécialiste de l’antisémitisme islamique qui subit procès sur procès dans le but de le faire taire : les musulmans français l’empêchent de dénoncer ce qui est une évidence pour tous. À l’intérieur même de la communauté musulmane, les promoteurs de l’islamisation de la France et de l’Europe exercent une forme de terreur, parfois physique, sur ceux qui voudraient les critiquer ou les empêcher de remplacer la loi française par la charia. Quant aux intellectuels musulmans, en France comme ailleurs, qui sont conscients des impasses de la doctrine islamique et du danger de son application politique, ils sont eux aussi réduits au silence, en particulier parce qu’en France, l’État ne les aide pas à prendre la parole et à promouvoir leurs travaux. 

    Vous estimez que le dialogue des responsables musulmans avec les non-musulmans s’inscrit dans le cadre d’un rapport de forces destiné à lever la méfiance des Occidentaux. Sur quoi repose cette conviction ? 

    Il n’y a pas à proprement parler de dialogue dans la conception islamique. Plutôt, l’islam ne reconnaît la légitimité du dialogue avec les non-musulmans que pour s’assurer leur conversion ou leur soumission. De sorte que, du point de vue de la doctrine islamique, il n’y a que deux issues au dialogue : l’islam (qu’on s’y convertisse ou qu’on s’y soumette) ou la mort (qu’elle soit purement et simplement physique ou qu’elle prenne la forme du bannissement). Tout cela s’explique d’ailleurs parfaitement : dans la mesure où l’Islam se perçoit comme la religion naturelle des hommes, la seule voulue par Dieu, on ne voit pas pourquoi ses fidèles perdraient leur temps à discuter avec des personnes qui croient dans des ersatz de religion, dépourvus de valeur. Le Coran est très clair sur le sujet : il appelle à combattre les adeptes d’autres religions ou les incroyants, pas seulement en situation de légitime défense mais du simple fait qu’ils ne sont pas musulmans.

    Le projet conquérant de l’islam est simple : dominer culturellement et juridiquement l’Europe et convaincre les Européens non musulmans d’agir en sa faveur. Il s’agit de rééditer la stratégie et l’œuvre de Mahomet, en sa double qualité de chef politique et militaire, qui sut utiliser les ressources des peuples conquis ou asservis. L’islam veut soumettre l’Occident à la dhimmitude, statut juridique qui autorise les juifs et les chrétiens à conserver leurs croyances moyennant le versement un impôt per capita. Tel est le sort des « mécréants » en pays musulman. En attendant que cette soumission s’instaure en Occident, nos pays sont très vivement priés de laisser s’installer sur leur sol les communautés musulmanes régies par leur droit propre et disposant de leurs écoles. Cette logique séparatiste n’est pas seulement destinée à conforter l’identité des musulmans occidentaux, elle vise aussi à fracturer nos sociétés pour permettre à l’islam de s’y installer plus facilement. Telle est l’essence même du projet politique de la Stratégie. 

    On est donc en train de passer du multiculturel au multi-juridisme ? 

    Oui, et c’est d’ailleurs ce passage qui fait la différence entre le communautarisme et le séparatisme. Indéniablement, il existe dans le projet de l’OCI la volonté d’installer une justice interne à la communauté musulmane, et par conséquent complètement séparée des institutions judiciaires françaises. Cette séparation existe d’ailleurs d’ores et déjà au Royaume-Uni. Avec elle, on transforme une communauté en un quasi proto-Etat, dont la vocation consiste à se débarrasser de la tutelle du pays-hôte. Cette transformation, à la fois juridique et politique, prouve que les motivations des musulmans – du moins leurs représentants et leurs militants - ne sont pas que religieuses mais qu’ils sont bel et bien dans une démarche de conquête du pouvoir. 

    Depuis quelques années, les souffrances endurées par les chrétiens ressortissants de pays musulmans, au Proche-Orient mais aussi en Afrique et en Asie (cf. le cas d’Asia Bibi au Pakistan), semblent avoir réveillé la conscience des Français sur des réalités de l’islam qu’ils ne voyaient plus. Ce réveil serait-il dû, selon vous, à la présence croissante de musulmans dans nos pays, ou bien lui attribuez-vous d’autres causes plus désintéressées ? 

    La générosité habituelle des Français lorsqu’il s’agit de soutenir des opprimés partout dans le monde se vérifie envers les chrétiens d’Orient. Mais si l’expansion de l’islam dans notre pays a pu favoriser la solidarité envers les chrétiens orientaux, je ne reconnais pas dans cet intérêt pour eux la cause que j’aimerais y voir : la conscience de partager un héritage civilisationnel commun et par conséquent le devoir strict de tout faire pour que ne disparaissent pas du Levant les traces de cette civilisation. Il reste, malgré tout, que les injustices et les cruautés que les chrétiens d’Orient ont subies dans l’histoire, et qu’ils endurent encore, sont très certainement une marque de ce dont l’islam est capable envers les non-musulmans. Cette dimension interroge sans doute nos compatriotes et accroît leur mobilisation. 

    En réfléchissant aux probables adaptations de la loi de 1905 envisagées par le président Emmanuel Macron, vous suggérez des révisions compatibles avec l’esprit de cette loi. Le contrôle des associations cultuelles que vous préconisez ne risque-t-il pas de conduire à un contrôle identique de l’Etat sur l’enseignement dispensé dans les institutions chrétiennes, si celui-ci contredit les évolutions législatives, notamment en matière de droit de la famille ou de bioéthique ? 

    Ce n’est jamais sans risque qu’on encadre une liberté. Toutefois, il existe une différence importante entre les associations cultuelles islamiques relevant par nature de la loi de 1905, et les écoles relevant par nature de la loi de 1901.
    Et par ailleurs, il est tout de même difficile, même avec la plus parfaite mauvaise foi, de considérer qu’une opinion différente de la pensée unique sur les questions de bioéthique, par exemple, a le même statut politique et représente pour la cohésion sociale le même risque qu’un discours ouvertement anti-occidental, fondé sur la violence et le mensonge comme des outils légitimes ! Le problème, pour la puissance publique française, n’est pas d’apprendre à traiter avec la plus grande fermeté les doctrines considérées comme adversaires. Elle le fait déjà. Le problème est de considérer que l’Islam comme doctrine fait partie de ces adversaires. Or, nous en sommes très loin. C’est pourquoi toutes les démarches pédagogiques portant sur le contenu et les stratégies de l’islam sont bienvenues : il s’agit d’éclairer autant que possible le peuple français comme ses responsables. 

    Poisson.jpgVous-même, en tant qu’homme politique, que préconisez-vous comme mesures politiques concrètes face à l’extension de l’islam en France ? 

    Le document de l’ISESCO montre que l’islamisation de la France relève d’une volonté stratégique portée par des Etats, agissant sur le champ culturel, et soutenue par des moyens financiers importants. Par conséquent, si la France veut y répondre, elle doit le faire sur ces trois plans.

    D’abord, faire de l’islamisation un enjeu de politique publique, porté par le gouvernement, et ne pas laisser les maires se débrouiller seuls. Il est aussi impératif de réinvestir le champ culturel par la promotion de notre civilisation, notamment à travers les réformes des programmes de l’Education nationale, en histoire comme en français. Il faut réapprendre à nos jeunes la fierté d’un héritage si beau malgré ses imperfections et ses dérives. Enfin, des moyens conséquents doivent servir cet objectif afin de répondre d’égal à égal aux pays musulmans qui, au moins sur ce plan, sont nos adversaires. Nous ne pouvons pas accepter que les Etats du Golfe continuent d’acquérir les plus beaux fleurons de notre hôtellerie et de nos châteaux, ou nos clubs de football – pour ne citer que ces exemples.

    Ensuite, l’islamisation relève d’un « gagne-terrain » favorisé par le renoncement de la puissance publique à appliquer la loi française, dans sa lettre et son esprit. Ainsi, même s’il n’est pas illégal de réserver des horaires de piscine aux musulmanes, une telle pratique est violemment contraire à l’esprit d’égalité et de confiance dans la personne humaine qui est la marque de notre civilisation. Il convient donc, là aussi, de réaffirmer la force de l’Etat.

    Enfin, tout doit être fait pour soutenir notre démographie. Il y a longtemps que, pour le bien commun de notre pays, nous réclamons un contrôle strict des flux migratoires, la suspension du droit du sol pour l’acquisition de la nationalité française et le renforcement de la politique familiale. Ces dispositions ne portent pas directement sur la contention de l’islam, mais leurs effets permettraient de lutter contre le déséquilibre démographique alimenté par sa progression. Evidemment, la dénonciation sans réserve du Pacte de Marrakech sur les migrations que la France a récemment signé, s’inscrit dans cette perspective.   

    L'ISLAM, Annie Laurent,
    Editions Artège, 285 p., 19,90 €

    Annie Laurent

    Annie Laurent.jpgSpécialiste du Proche-Orient, des chrétiens d’Orient et de l’islam, Annie Laurent est à l’origine de l’association Clarifier et est l’auteur notamment de L’Islam, pour tous ceux qui veulent en parler (mais ne le connaissent pas encore) (Artège, 2017), L’islam peut-il rendre l’homme heureux (Artège, 2012), Les chrétiens d’Orient vont-ils disparaître ? (Salvator, 2017). 

     

     

     

        L'ISLAL'Islam-Laurent.jpgM, Annie Laurent,
        Éditions Artège, 285 p., 19,90 €

  • Livre - Notre sélection : "Mes idées politiques" de Charles Maurras

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    Charles Maurras (1868-1952) fut homme politique, journaliste, essayiste et poète. En 1908, il fondait L’Action française, organe du nationalisme intégral, défenseur d’une monarchie traditionnelle, héréditaire, antiparlementaire et décentralisée. Elu à l’Académie française en 1938, il en fut honteusement exclu à la suite de sa condamnation inique en 1945 pour haute trahison et intelligence avec l’ennemi, lui dont l’antigermanisme était pourtant légendaire et dont Marcel Jullian disait qu'il avait toutes les intelligences sauf celle-là !  Ses idées ont influencé de nombreux intellectuels français comme étrangers, et continuent d’irriguer les différents courants nationalistes et contre-révolutionnaires. Les éditions Kontre Kulture ont donc fait œuvre utile en rééditant son ouvrage Mes idées politiques paru en 1937. Charles Maurras y développe des principes politiques pérennes avec une extraordinaire clarté et met à mal tout l’édifice républicain. Maurras commence d’emblée par démontrer que l’inégalité est au contraire protectrice et vertueuse. Il examine ensuite les principes de vérité, de force, d’ordre, d’autorité, de liberté, de droit et de loi, de propriété, d’hérédité, du devoir de l’héritage et de la tradition, mettant les idées au clair, par exemple sur les conditions de l’autorité vraie ou de la loi juste. Ensuite, en moins de cinquante pages, il pose les bases de la science politique. Puis il s’attaque à la démocratie, enfant bâtard du libéralisme, et en décrit les vices et les turpitudes. Il s’attèle également aux questions sociales, précise les rapports de l’économique et du politique et défend une organisation du travail basée sur la corporation. Enfin, il termine par un implacable plaidoyer pour le nationalisme intégral.

    Il s’agit là sans nul doute d’un livre indispensable à toute personne soucieuse d'approfondir sa formation politique et de trouver des remèdes aux causes du délitement de Notre nation.

    Mes idées politiques, Charles Maurras, éditions Kontre Kulture, 364 pages, 20 euros

    A commander en ligne sur le site de l’éditeur

  • Zemour à Béziers le 5 novembre : une excellente analyse du blog "Lafautearousseau"

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    Charles Mauras et Stephen Miller, l'Américain

     

    On a beau avoir voulu étouffer la pensée de Maurras sous des reproches d'infamie, avoir cru s'en être débarrassés en le réputant coupable d'une vilaine affaire de trahison à quoi personne n'a pu croire, sa pensée, comme une source dont on voudrait arrêter de force le jaillissement, ne cesse de se répandre, d'exercer, comme jadis, son influence sur les esprits les plus lucides, les mieux informés, les plus agiles et, finalement  les plus influents du moment parmi ceux qui refusent la perspective d'un dépérissement français définitif.   

    Il arrive même que l'impact des idées maurrassiennes atteigne les plus hautes sphères de l'appareil d'État, le sommet des rouages de la République, comme cela fut le cas sous la présidence de Nicolas Sarkozy, lorsque Patrick buisson fut son principal conseiller, en tout cas le plus écouté. En vain, mais la filiation maurrassienne de Patrick Buisson, pour qui l'a lu et a lu Maurras, est des plus évidentes. On sait que même Outre-Atlantique, de grands lecteurs de Maurras, Steeve Banon, Steffen Miller, ont entouré le président Trump, écrit ses discours ...

    Ce n'est pas un hasard si ces penseurs ou ces praticiens de la chose politique prennent les doctrines de Maurras pour l'une de leurs références. Ces gens-là ne sont pas issus des vieilles fidélités maurrassiennes qui, de toute façon, ont déjà quitté ou sont en train de quitter la scène du monde. C'est parce que ces doctrines sont une des clefs de lecture du monde actuel tel qu'il est réellement et non pas fantasmé. L'une des plus fécondes, des plus efficaces pour comprendre nombre de situations et de phénomènes contemporains.

    Zemour-Buisson-Villiers.jpgDe sorte que se reconnaître héritiers de la pensée de Maurras, comme nous-mêmes, ce n'est pas se raccrocher au passé, à une pensée d'un temps stupidement dit révolu, c'est parler de l'actualité. Et dans l'actualité.

    Les trois auteurs de livres politiques de très loin les plus lus, ceux qui font les plus grands tirages, les succès les plus spectaculaires, sont aujourd'hui Philippe de Villiers, Patrick Buisson et Éric Zemmour. Tous trois - quoique très différemment - pétris de culture et d'influences maurrassiennes et bainvilliennes. A en faire frémir d'horreur Raphaël Glucksmann et susciter ses larmes faciles. Lacrimae rerum .. ?

    Éric Zemmour, dans ses textes aussi bien que dans les innombrables débats auxquels il est invité parce qu'il est gage d'audience, ne cesse de se référer à l'Action française, au grand Bainville, à Maurras, reprenant ses analyses, ses expressions, implicitement ou explicitement. Il a même le courage de le défendre jusque dans ses aspects les plus contestés. Courage intellectuel et compétence historique qui manquent à beaucoup et jusque dans les rangs de l'Action française stricto sensu.

    Dans Destin français,  cette présence « Action Française » a aussi ému Laurent Joffrin qui s'est offert le luxe (il est né dedans, dit-on) de publier dans Libération, le 16 octobre, un article intitulé Charles Zemmour et Eric Maurras, reprenant ainsi une formule qu'il doit trouver spirituelle puisqu'il l'avait déjà utilisée en février de cette année. De cet article, la dernière phrase dit tout : « le livre s'appelle Destin français. Il y avait un meilleur titre : Action française. » Une obsession, décidément. Mais oui, pourtant, action française c'est très bien.  

    En somme, si nous parlions moins ou pas du tout de Maurras, comme on nous y invite parfois, nous finirions par être les seuls ... Qu'y gagerions-Livres Zemour.jpgnous ? Ni la bienveillance de nos adversaires, ni celle des médias, ni la considération de quiconque. Pas même la nôtre propre.

    Ignorer Maurras, ce pourrait être, après tout, une tactique. On aura compris que ce n'est pas celle que nous retenons.  

  • « Charles Zemmour - Eric Maurras » et ... Laurent Joffrin. Y a pas photo !

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    Entre Maurras et Joffrin, la différence est entre

    un maître de la pensée et un comique-troupier

    Libération étant plutôt en perdition - à vendre au premier milliardaire de passage - on est plus habitué à voir Laurent Joffrin sur les plateaux de télévision qu'à le lire dans son journal. Il y donne toujours l'impression de se payer la tête de son voisin, prend l'air supérieur, goguenard, dispensateur de leçons, définisseur du Bien et du Mal, distribue les bons et les mauvais points avec une autorité détachée des choses mineures et parle la langue de bois universelle des bobos friqués de la gauche fraternelle.  

    Nous ne commenterons pas cet article, archétype de polémique langagière et de mauvaise foi. Il faut le lire pour se faire une idée de la chose. Le lecteur appréciera, rectifiera !

    Lafautearousseau

     

    Charles Zemmour et Eric Maurras

     

    Le livre du polémiste favori de l’extrême droite se présente comme une contre-histoire. Il ressuscite en fait un récit nationaliste et autoritaire, remplaçant la haine des Juifs par la dénonciation de l’islam. 

    Cette fois la pensée de droite a franchi la ligne rouge. On le pressentait depuis que l’obsession de l’identité - que certains, hélas, encouragent à l’extrême gauche - a conduit au procès oblique de « l’idéologie des droits humains ». Avec Zemmour c’est chose faite. Son Destin Français, dernier opus du publiciste favori de l’extrême-droite, ne livre qu’un seul message : les libertés publiques sont désormais un obstacle au salut de la nation. Une phrase résume le livre (p. 191) : « Ignorant les leçons du passé et oubliant les vertus de son histoire, la France saborde son État au nom des droits de l’homme et l’unité de son peuple au nom de l’universalisme. » La liberté : voilà l’ennemie.

    Après une introduction personnelle, plutôt bien troussée, Zemmour livre un essai chronologique, de Clovis à nos jours. Le livre se présente comme une contre-histoire qui dégonfle les mythes officiels - ce qui se conçoit. Il déterre en fait l’histoire monarchiste nationaliste telle qu’elle fut diffusée par Maurras, Bainville et quelques autres entre les deux guerres. Une histoire cursive, soigneusement écrite, mais une histoire à œillères, outrageusement partisane.

    Pour Zemmour, l’histoire de France commence avec Clovis. Choix significatif. Bien sûr, le roi franc a étendu par la guerre son petit fief de Belgique à un territoire qui évoque l’actuel hexagone, il a choisi Paris pour capitale et, surtout, il s’est converti au christianisme. Pour le reste, le choix est arbitraire : Clovis n’a rien de français (il s’appelle Chlodowig et parle une langue à consonance germanique) et n’a aucunement l’idée d’un pays qui pourrait s’appeler la France. A sa mort, son royaume se désunit et il faut attendre deux siècles pour que Charles Martel reconstitue une entité hexagonale, elle-même englobée dans l’empire de Charlemagne - Karl der Grosse pour les Allemands, qui le revendiquent tout autant - puis de nouveau divisée après le traité de Verdun de 843. A vrai dire, les historiens s’accordent pour dater de Bouvines, ou de la guerre de Cent Ans, l’apparition d’un royaume qui annonce la future France, avec un début de sentiment patriotique. Le choix de Clovis n’a qu’une seule origine : la volonté de célébrer « les racines chrétiennes » du pays.

    « Pour moi, l'histoire de France commence avec Clovis choisi comme roi de France par la tribu des Francs qui donnèrent leur nom à la France...» 

    Charles de Gaulle, 1965

    Tout est à l’avenant : on met en scène un peuple catholique par nature patriote, opposé à des élites cosmopolites. Jeanne d’Arc mobilise le camp armagnac, plus conservateur, contre les Bourguignons alliés aux Anglais, pourtant tout aussi « français » que leurs adversaires. Louis XIII et Richelieu ont cent fois raison de réprimer les protestants, accusés de séparatisme ; Catherine de Médicis tente la réconciliation pendant les guerres de religion, mais bascule du côté des catholiques avec la Saint-Barthélémy que Zemmour justifie à mots couverts pour approuver ensuite l’instauration de l’absolutisme - éloge ému de Bossuet -, régime régressif qui a pour seul mérite d’unifier la future nation. Louis XIV, autre héros zemmourien, expulse les protestants, œuvre pie. Il a pourtant ruiné son peuple et mené des guerres incessantes et vaines. Pas un mot sur le Code noir et l’essor de l’esclavage organisé par Colbert au nom du Roi-Soleil.

    Louis XIV, des guerres incessantes et vaines ?

    Relire Louis Bertrand ! Et tous les historiens honnêtes … Le Roussillon, l’Artois, la Franche-Comté, l’Alsace … et surtout un prince français sur le trône d’Espagne. Louis XIV a reconnu avoir trop aimé la guerre mais les guerres qu'il a menées n'ont pas été « vaines » ...

    Les Lumières inoculent à la vieille France l’illusion universaliste qui corrompt l’identité française. Le chapitre sur Voltaire (qui avait certes des défauts) n’est qu’une démolition systématique ressuscitant le vieux réquisitoire réactionnaire contre le philosophe et son « hideux sourire ». Robespierre bénéficie d’un éloge paradoxal pour avoir incarné une République impérieuse et nationale. Sans craindre la contradiction, Zemmour porte aux nues l’insurrection vendéenne (classique de la littérature monarchiste) alors qu’elle fut massacrée sans retenue sous l’égide du même Robespierre. Bonaparte est célébré pour avoir mis fin à la Révolution et étendu sur l’Europe une tyrannie dont Zemmour passe sous silence les tares les plus évidentes. Les Anglais puis les Américains sont fustigés comme agents de la mondialisation sans âme. Le Front populaire disparaît, comme sont effacées du récit les conquêtes du mouvement ouvrier. Pétain est réévalué (réhabilité ?) parce qu’il a opposé aux Allemands son « bouclier » complémentaire du « glaive » de la France libre, vieille thèse maréchaliste qui revient à jeter aux orties le travail des historiens contemporains. La théorie du « bouclier » s’effondre d’elle-même quand on remarque que Pétain a poursuivi la collaboration jusqu’au bout pour finir à Sigmaringen après avoir prêté la main à la déportation des Juifs. Drôle de bouclier…

    Pétain a été emmené de force par les Allemands à Sigmaringen. Il y était prisonnier ...

    Bref, Zemmour ressuscite la vieille histoire maurrassienne, autoritaire, traditionaliste et antisémite, se contentant de remplacer la haine des Juifs par la dénonciation de l’islam. Le livre s’appelle Destin français. Il y avait un meilleur titre : « Action française ».   

  • Livre - Notre sélection : les vérités cachées de la guerre d'Algérie

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    Plus d’un demi-siècle après l’indépendance de l’Algérie, est-il possible de raconter sans manichéisme et sans œillères la guerre au terme de laquelle un territoire ayant vécu cent trente ans sous le drapeau français est devenu un État souverain

    La conquête et la colonisation au XIXe siècle, le statut des différentes communautés au XXe siècle, le terrible conflit qui ensanglanta l’Algérie et parfois la métropole de 1954 à 1962, tout est matière, aujourd’hui, aux idées toutes faites et aux jugements réducteurs. 

    Avec ce livre, Jean Sévillia affronte cette histoire telle qu’elle fut : celle d’une déchirure dramatique où aucun camp n’a eu le monopole de l’innocence ou de la culpabilité, et où Français et Algériens ont tous perdu quelque chose, même s’ils l’ignorent ou le nient.

    Journaliste, essayiste et historien, auteur de nombreux ouvrages qui ont été des succès de librairie (Zita impératrice courage, Le Terrorisme intellectuel, Historiquement correct, Historiquement incorrect, Histoire passionnée de la France), Jean Sévillia est chroniqueur au Figaro Magazine et membre du conseil scientifique du Figaro Histoire

    Retrouvez toute l’actualité concernant Jean Sévillia sur son site :

    www.jeansevillia.com

    Contact presse : Sandie Rigolt : 06 38 92 71 58 / 01 44 49 79 71 / srigolt@editions-fayard.fr