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Histoire - Page 2

  • François Furet : "la culture politique qui peut conduire à la Terreur est présente dans la révolution française dès l'été 1789"

    Pierre Chaunu-La révolution.jpg

    Avec Jacques Bainville,

    déconstruire le premier et le plus sordide

     des pseudo "mythes fondateurs" de la Révolution et du Système

     

    « Les ridicules légendes de la Bastille », les « canailles et les plus sinistres gredins de mauvaises gens, des criminels capables de tout », disait Bainville… Ridicules et tragiques légendes, oui, mais annonciatrices et créatrices de la Terreur.

    Il n'y a a jamais eu de "prise" de la Bastille, mais la perfidie d'une poignée d'émeutiers sanguinaires, brutes avinées, assassins et terroristes dans l'âme, qui, après avoir promis liberté et vie sauve aux quelques dizaines d'hommes présents dans le lieu, n'eurent rien de plus pressé que de les massacrer, de couper leurs têtes et de les promener dans les rues au bout de piques ! C'est le même geste qui a tué Hervé Cornara à Saint Quentin Fallavier le 26 juin 2015 ou le père Hamel le 26 juillet 2016 à Saint-Etienne-du-Rouvray. Ce qui légitime la question : comment peut-on à la fois organiser des hommages à leur égard et se réjouir du 14 juillet ? Il est vrai que nous ne sommes pas à quelques confusions prêt. 

    Et tout cela a commencé avec et par la pseudo "prise" de la Bastille, vocabulaire convenu employé pour masquer une horreur et une monstruosité, matrice de la Terreur, comme l'a fort bien montré l'historien François Furet qui avait pourtant commencé sa trop courte carrière… à l'extrême-gauche ! Furet écrit que, dès cet épisode du 14 juillet 89, la Terreur est en gestation, "la culture politique qui peut conduire à la Terreur est présente dans la révolution française dès l'été 1789", et la prise de la Bastille inaugure "le spectacle de sang, qui va être inséparable de tous les grands épisodes révolutionnaires"...

    Certes, c'est la Fête de la Fédération (14 juillet 1790) que l'on commémore le 14 juillet, mais l'ambigüité persiste. De nombreux journalistes et autres ignorants répètent à satiété tous les 14 juillet : c'est "la prise de la Bastille" que l'on célèbre. Une ambigüité malsaine et savamment entretenue par le Système, qui persiste à parler des "valeurs républicaines".

    Denis Tillinac a écrit : "Les valeurs républicaines, ça n'existe pas !" À sa suite Chantal Delsol, Eric Zemmour et bien d'autres, de plus en plus nombreux le répètent…

    Les seules "valeurs républicaines" que nous rapporte ce monstrueux "14 juillet 1789", c'est la Terreur, le Totalitarisme, le Génocide

    ***

    Lisons l'historien Jacques Bainville, qu'Éric Zemmour nomme "le grand Bainville"  (Journal, Tome III, note du 15 juillet 1929) :

    "Supposons qu'on apprenne ce soir qu'une bande de communistes, grossie des éléments louches de la population, a donné l'assaut à la prison de la Santé, massacré le directeur et les gardiens, délivré les détenus politiques et les autres. Supposons que cette journée reste dépourvue de sanctions, que, loin de là, on la glorifie et que les pierres de la prison emportée d'assaut soient vendues sur les places publiques comme un joyeux souvenir. Que dirait-on ? Que se passerait-il ?

    D'abord les citoyens prudents commenceraient à penser qu'il ne serait pas maladroit de mettre en sûreté leurs personnes et leurs biens. Tel fut, après 1789, le principe de l'émigration. Mais peut-être y aurait-il aujourd'hui plus de français qu'en 1789 pour accuser l'imprévoyance et la faiblesse du gouvernement et pour les sommer de résister à l'émeute.

    Aujourd'hui le sens primitif du 14 juillet devenu fête nationale est un peu oublié et l'on danse parce que c'est le seul jour de l'année où des bals sont permis dans les rues. Mais reportons-nous au 14 juillet 1789 comme si nous en lisions le récit pour la première fois. Il nous apparaîtra qu'il s'agissait d'un très grave désordre, dont l'équivalent ne saurait être toléré sans péril pour la société, qui a conduit tout droit en effet à la Terreur et au règne de la guillotine, accompagnée des assignats. Et le gouvernement qui a laissé s'accomplir sans résister ces choses déplorables serait digne des plus durs reproches.

    Nous avons connu un vieux légitimiste qui disait, en manière de paradoxe, que Louis XVI était la seule victime de la Révolution dont le sort fût justifié. Quel avait donc été le tort de Louis XVI ? Quand on lit les Mémoires de Saint-Priest, on s'aperçoit que l'erreur du gouvernement de 1789 n'a pas été d'être tyrannique (il n'était même pas autoritaire) ni d'être hésitant, ni d'être fermé aux aspirations du siècle. Son erreur, énorme et funeste, a été de ne pas croire au mal. Elle a été de ne pas croire qu'il y eût de mauvaises gens, des criminels capables de tout le jour où ils ne rencontrent plus d'obstacle.

    Saint-Priest montre Louis XVI dans toutes les circonstances, et jusqu'au 10 août, ou peu s'en faut, convaincu que tout cela s'arrangerait et que ni les émeutiers de la Bastille ni les révolutionnaires n'étaient si méchants qu'on le disait, et d'ailleurs, au moins au début, bien peu de personnes le lui disaient. A la Convention, pendant son procès, Louis XVI répondait encore poliment, comme à des juges impartiaux et intègres. D'ailleurs on peut voir dans les Mémoires de Broussilof, par le général Niessel, que Nicolas II avait sur l'espèce humaine exactement les mêmes illusions, les mêmes illusions mortelles.

    Malheur aux peuples dont les chefs ne veulent pas savoir qu'il existe des canailles et restent incrédules quand on leur dit qu'il suffit d'un jour de faiblesse pour lâcher à travers un pays ses plus sinistres gredins !"

    Cette analyse est toujours d'actualité. Puissent tous ceux qui vont défiler en hommage à ces jours de terreur, se dire que ce n'est peut-être pas aussi glorieux qu'ils l'imaginent.

    Henri Bec

  • A l’unanimité, les députés français bradent le patrimoine inaliénable de nos musées

     

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    Lugan B.JPGLe 6 octobre 2020, après avoir été présenté en Conseil des ministres et approuvé à l’unanimité par les commissions de la culture et des affaires étrangères, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité des présents (où étaient les députés du RN et ceux de la « droite de conviction » ?), le scandaleux projet de loi n°3221 sur rapport de M. Yannick Kerlogot, dérogeant au principe d’inaliénabilité du patrimoine national.

    Composée de deux articles, cette loi stipule qu’à compter de l’entrée vigueur du texte, 26 œuvres d’art provenant du trésor du grand chef esclavagiste Béhanzin, roi d’Abomey (voir à ce sujet mon livre « Esclavage, l’histoire à l’endroit ») conservés au musée du quai Branly, cesseront de faire partie des Collections nationales.

    Or, il faut savoir que ce texte a été présenté en procédure accélérée, en loi d’exception, et non en loi de portée générale, ce qui signifie qu’il ne passera qu’une seule fois devant les deux chambres. Où était donc l’urgence en ces « temps de guerre » contre le terrorisme islamiste et le Covid ?

    Cette loi qui déshonore ceux qui l’ont votée mais également ceux qui, par leur absence se sont rendus complices du vote alors qu’ils n’ignoraient pas que sa discussion allait venir en séance, concrétise une promesse unilatérale faite par Emmanuel Macron le 28 novembre 2017 quand, lors d’une visite d’Etat au Burkina Faso, il déclara : « D’ici à cinq ans, je veux que les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain à l’Afrique ».

    Allant vite en besogne, et en violation flagrante du principe d’inaliénabilité des biens inscrits aux Inventaires nationaux, le 17 novembre 2019, à Dakar, le « sabre d’el-Hadj Omar » fut remis au président sénégalais Macky Sall - d’ethnie toucouleur comme el-Hadj Omar -, par le Premier ministre français Edouard Philippe. Or, cette arme qui, soit dit en passant, n’a rien d’africain puisqu'il s’agit d’un sabre d’infanterie de l’armée française modèle 1821 forgé à Kligenthal, en Alsace, honore la mémoire d’un conquérant « sénégalais » qui mit en coupe réglée et vendit comme esclaves les ancêtres de 90% de la population de l’actuel Mali… et d’une partie de celle du Burkina Faso... Un beau geste de paix dans l’actuel contexte de jihadisme…

    Dans la foulée de sa visite au Burkina Faso, le président Macron demanda un rapport sur les « restitutions » à Felwine Sarr de l’Université de St-Louis du Sénégal et à Bénédicte Savoy, historienne de l’Art et militante engagée que la sénatrice Catherine Morin-Desailly qui fut présidente de la commission de la culture au Sénat qualifie d’ « activiste ».

    Rendu le 23 novembre 2018, le rapport proprement surréaliste tant il est caricatural  par son aveuglement idéologique et son ignorance historique, recense 46.000 (!!!) œuvres africaines qui devraient être « restituées » sur les 90.000 conservées dans les musées français ….

    Dans ce rapport, l’on peut lire que « les collections africaines conservées dans les musées occidentaux (sont) une frustration née de la colonisation (… et) une sorte de totem de cette souffrance ». Pour Bénédicte Savoy, toute œuvre d’art africaine conservée en France et plus généralement en Europe est en effet postulée être le produit d’un pillage…

    Une telle impudence a entraîné la vive réponse d’Hermann Parzingzer, président de la Fondation du patrimoine prussien qui gère de très nombreuses collections africaines et qui a qualifié le rapport « de jargon dominé par une idéologie d’expiation et de pénitence ».

    Cette présomption de « pillage » va donc contraindre les musées français à démontrer le caractère « légal » des acquisitions. Mais comment établir la traçabilité des achats, des échanges, des commandes datant parfois de plusieurs siècles, et des dons de collectionneurs, ces derniers constituant plus de 50% des collections ? 

    Alors que l’on attendait une vive réaction du Sénat, le 4 novembre 2020, ce dernier, tout en protestant, a lui aussi voté à l’unanimité (où étaient les sénateurs RN et ceux de la « droite de conviction ?), se contentant d’amender le texte en changeant simplement le mot « restitution » signifiant « rendre quelque chose que l’on possède indûment » par « retour »… Une grande marque de  « virilité » qui constitue une garantie pour l’avenir de nos musées…

    La boite de pandore ayant été imprudemment et idéologiquement ouverte par Emmanuel Macron, cinq pays africains se sont immédiatement engouffrés dans la brèche offerte par la loi, en réclamant dès à présent 13.000 objets qui sont pourtant autant de biens inaliénables du patrimoine français.

    Mais plus encore, de nuit, en catimini, quasi clandestinement, la couronne du dais de la reine Ranavalona conservée au musée de l’Armée depuis 1910 et qui n’est pas une prise de guerre, mais le don d’un particulier, a été « restituée » à Madagascar. Qui avait autorité pour autoriser une telle sortie d’un bien inaliénable inscrit aux Inventaires nationaux ? Qui a donné l’ordre de cette inadmissible spoliation ?

    Quelle association habilitée osera porter l’affaire devant les tribunaux afin que toute la lumière soit faite sur ce scandale ? D'autant plus que la convention de l’UNESCO de 1970 concernant les œuvres d’art conservées dans les musées n’est pas rétroactive. 

    Précision ne manquant pas de « sel », la couronne de la reine Ranavalona, une superbe pièce en vermeil ornée de sept fers de lance représentant les sept maisons princières et surmontée d’un aigle était conservée dans le palais d’Andafiavaratra à Antananarivo… où elle a été volée en 2011…

    La « restitution » des œuvres d’art à l’Afrique est donc un gage de pérennité… Nous l’avons d’ailleurs observé avec les manuscrits de Tombouctou détruits par les jihadistes ou avec le pillage des collections du musée de Butare au Rwanda au moment du génocide… Si toutes ces collections avaient été abritées dans des musées européens, elles existeraient encore...

    Bernard Lugan

    L'Afrique réelle

  • « Congo : les regrettables « regrets » du roi des Belges »

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    Par Bernard Lugan

    Lugan1.jpg« Le mardi 30 juin 2020, pliant à son tour sous l’air du temps, le roi des Belges a présenté « ses plus profonds regrets pour les blessures infligées lors de la période coloniale belge au Congo ».
    Des « regrets » qui n’avaient pas lieu d’être.

    Pour au moins quatre  raisons principales :

    1) En 1885 quand fut internationalement reconnu l’État indépendant du Congo (EIC), les esclavagistes zanzibarites dépeuplaient tout l’est du pays. Ayant largement franchi le fleuve Congo, ils étaient présents le long de la Lualaba, de l’Uélé, dans le bassin de la Lomami, un des affluents majeurs du Congo, et ils avaient quasiment atteint la rivière Mongala.
    Dans cette immense région, de 1890 à 1896, au péril de leur vie, de courageux belges menèrent la « campagne antiesclavagiste ». Au lieu de lassantes et injustifiables excuses, c’est tout au contraire la mémoire de ces hommes que le roi des Belges devrait célébrer.
    Parmi eux, les capitaines Francis Dhanis, Oscar Michaux, van Kerckhoven, Pierre Ponthier, Alphonse Jacques, Cyriaque Gillain, Louis Napoléon Chaltin, Nicolas Tobback et bien d’autres. Pour avoir voulu arracher les malheureux noirs aux esclavagistes musulmans venus de Zanzibar et de la péninsule arabe, Arthur Hodister et ses compagnons ainsi que le lieutenant Joseph Lippens et le sergent Henri De Bruyne furent massacrés. Les deux derniers eurent auparavant  les mains et les pieds coupés par les esclavagistes. Leurs statues vont-elles être déboulonnées ? Probablement, tant l’ethno-masochisme des Européens semble être sans limites.

    2) Dans le Congo belge les services publics fonctionnaient et des voies de communication avaient été créées à partir du néant, tant pour ce qui était de la navigation fluviale, que des voies ferrées, des aérodromes ou des ports. Quant au réseau routier, il était exceptionnellement dense, des pistes parfaitement entretenues permettant de traverser le pays d’ouest en est et du nord au sud en toutes saisons. Après l’indépendance, ces voies de communication disparurent, littéralement « mangées » par la brousse ou la forêt.

    3) La Belgique n’a pas pillé le Congo. Et pourtant, cette colonie fut une de celles dans lesquelles  les profits  furent les plus importants. Mais, à partir de 1908, les impôts payés par les consortiums et les privés furent en totalité investis sur place.  Le Congo belge pouvait donc subvenir à ses besoins, le plan de développement décennal ainsi que les investissements étant financés par les recettes locales tirées de l’impôt des grandes sociétés.

    4) Parmi toutes les puissances coloniales, la Belgique fut la seule à avoir défini un plan cohérent de développement de sa colonie en partant d’une constatation qui était que tout devait y être fait à partir du néant. En matière d’éducation, la France et la Grande Bretagne saupoudrèrent leurs colonies d’Afrique sud-saharienne tandis que la Belgique choisit de procéder par étapes et de commencer par bien développer le primaire, puis le secondaire et enfin seulement le supérieur. Mais, pour que ce plan puisse être efficace, il lui fallait encore une certaine durée.
    Or, il fut interrompu par l’indépendance alors qu’il fallait à la Belgique au moins deux décennies supplémentaires pour le mener à son terme.

    Alors, certes, il y eut une période sombre dans l’histoire de la colonisation belge, avec une politique d’exploitation fondée sur le travail forcé et dénoncée en 1899 par Joseph Conrad dans son livre « Au cœur des ténèbres ».
    Mais ce ne fut qu’une parenthèse de quelques années.
    A partir de 1908, le Congo rentra en effet dans l’Etat de droit et ses ressources ne servirent plus qu’à sa mise en valeur.Voilà pourquoi, en plus d’être  regrettables, les « regrets » du roi des Belges sont une insulte à de grandes figures belges et à l’Histoire de son pays.

    Pour plus de précisions :

    Histoire de l’Afrique des origines à nos jours

  • Histoire : cent quatre-vingt dix-neuvième anniversaire de la mort de l’empereur

    Tombeau Napoléon.jpg

    Cent quatre-vingt dix-neuvième anniversaire de la mort de l’empereur : « Sauf pour la gloire, sauf pour l’art, il eût probablement mieux valu qu’il n’eût pas existé ! » (Jacques Bainville)

    Le 5 mai 1821, sur l’île de Sainte-Hélène s’éteignait l’empereur des Français. Celui qui avait fait trembler l’Europe pendant plus d’une décennie désirait que ses cendres reposassent « sur les bords de la Seine, au milieu de ce peuple français que j'ai tant aimé ». Le vœu fut exaucé dix années plus tard lorsqu’à la tête de l’expédition La Belle Poule, le prince de Joinville, fils de Louis-Philippe, ramena de Sainte-Hélène la dépouille de l’empereur qui fut placée dans le caveau central des Invalides.

    Ainsi s’achevait l’épopée impériale, funeste sur le plan politique mais source intarissable d’inspiration sur le plan littéraire. « Ô Corse à cheveux plats ! Que ta France était belle au grand soleil de messidor ! » chantait le poète Auguste Barbier. Une France qui, à l’apogée de l’Empire en 1811, totalisait 130 départements, des Bouches de l’Elbe au Latium. De quoi faire éternellement rêver ce cher Éric Zemmour toujours fasciné par la puissance d’une nation, surtout devant le spectacle de la décomposition qu’elle offre actuellement. Mais la puissance, pourquoi faire ? pourrait-on lui répondre, paraphrasant ainsi Bernanos. En effet, la puissance est pour une nation un moyen et non une fin. Il ne sert à rien d’être puissant si c’est pour servir un destin funeste. Hitler était très puissant en 1942 et Staline en 1945. Le principe d’une nation demeure avant tout le service du bien commun et non l’appétit de puissance.

    Quant à Napoléon, il reste, malgré son génie indépassable, celui qui culbuta l’Europe à toute bride, passant sur le ventre des nations, supprima le Saint Empire Romain Germanique vieux de mille ans, prétendit libérer les peuples en les asservissant sous le joug de la Grande Armée et répandit par le fer et le sang l’idéal révolutionnaire qui devait réveiller le sentiment national tout au long du XIXe siècle et déboucher notamment sur l’unité allemande, pour le plus grand péril de l’équilibre européen. Il est enfin celui qui, sur le plan intérieur, permit à l’utopie révolutionnaire de s’enraciner durablement dans nos institutions, ce dont nous pâtissons toujours. Comme l’écrit Jacques Bainville, « sauf pour la gloire, sauf pour l’art, il eût probablement mieux valu qu’il n’eût pas existé ! »

    Benoit Dumoulin.jpgPar Benoît Dumoulin

    L'Incorrect

  • BRADER LA CULTURE POUR SOUTENIR LES HÔPITAUX ? LA VENTE DU MOBILIER NATIONAL EST UN FAUX CHOIX

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    Brigitte Macron et Emmanuel Macron en 2018

    Le mobilier national, un service du ministère de la Culture, a annoncé une vente aux enchères exceptionnelle de meubles de sa collection afin de « contribuer à l’effort de la Nation pour soutenir les hôpitaux ». Il s’agit d’une partie de ses collections qui sera cédée lors des Journées du Patrimoine, les 20 et 21 septembre, dont tous les bénéfices seront reversés à la Fondation Hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France, présidée par Brigitte Macron.

    Selon le Figaro, une commission composée de conservateurs est en train de formuler une liste d’une centaine d’objets, majoritairement des meubles Louis-Philippe et du XIXsiècle, dont Hervé Lemoine, directeur du Mobilier, assure qu’ils n’auront « ni valeur patrimoniale, ni valeur d’usage ». En plus, dit-il cette liste sera établie à l’unanimité des conservateurs, afin d’éviter le procès en « dilapidation des bijoux de famille ».

    Jusque-là, le Mobilier national, dont les origines remontent au Garde-Meuble de la Couronne, fondée au XVIIsiècle par Colbert, ministre de Louis XIV, vendait régulièrement quelques objets déclassés, sans en faire de grande publicité. Cette fois-ci, il s’agit d’un coup de comm’ qui devrait inquiéter tous les amateurs de la culture. En effet, si cette vente a lieu, elle pourrait faire jurisprudence non seulement pour la vente d’autres éléments du patrimoine et donc conduire à un morcellement progressif des collections publiques et la privatisation du monde culturel au nom de la solidarité nationale, mais aussi entraîner des détournements de biens publics ou une prise illégale d’intérêts.

    L’INALIÉNABILITÉ DES COLLECTIONS PUBLIQUES

    Alors qu’outre leur appartenance à un style et une époque, les objets destinés à la vente n’ont pas été précisés, les collections nationales sont en théorie « inaliénables, insaisissables et imprescriptibles », comme le précise même le site du ministère de la Culture. Cette inaliénabilité des biens de l’État, une « personne publique » juridiquement parlant, remonte à l’Édit de Moulin de 1566 qui prévoyait l’inaliénabilité et l’imprescriptibilité du domaine de la couronne. Jugée comme la loi fondamentale du Royaume, elle était prononcée lors du serment du sacre et avait pour but de protéger les biens de la couronne contre les ventes excessives du pouvoir royal. Un roi ne pouvait pas, par exemple, vendre son héritage pour payer les dettes du Royaume. La métaphore de M. Lemoine quant à la dilapidation des bijoux de famille est donc d’une grande justesse historique. Mais cette règle était violée lorsque les biens étaient aliénés pour nécessité de guerre, comme ce fut le cas pour le célèbre mobilier d’argent de Louis XIV, fondu pour payer la guerre de la Ligue d’Augsbourg. La Révolution a donc conduit à son abrogation ; les biens de la Nation ont ainsi pu être aliénés lorsque le Royaume est devenu la Nation. Mais le principe d’inaliénabilité a connu une résurgence au XIXsiècle, notamment sous la plume de Pierre-Joseph Proudhon, qui estime que la personne publique n’est pas propriétaire du domaine public, mais simplement gardienne. Elle ne peut donc pas vendre ces biens.[1] 

    Plus d’un siècle et demi plus tard, dans son rapport de février 2008, l’ancien directeur de cabinet du ministre des Affaires culturelles, Jacques Rigaud, fait écho à Proudhon en rappelant que l’État ne  devrait être considéré comme collectionneur, mais qu’au contraire il doit gérer et préserver le patrimoine légué par les générations précédentes pour les générations futures. Il n’est que le dépositaire de ce patrimoine qu’il doit transmettre intact et enrichi aux générations qui suivent. C’est une idée importante qui constitue la toile de fond de la notion même de patrimoine depuis la Révolution : les biens de la Nation, « trésors nationaux » et « monuments historiques » appartiennent à tous les citoyens.

    Il existe pourtant une procédure de déclassement des objets des collections nationales et biens classés mise en place par la loi Musées de France du 4 janvier 2002. Le texte soumet la possibilité de déclassement d’objets des collections d’un musée de France à l’autorisation d’une commission scientifique dont la composition et le fonctionnement sont fixés par décret et exclut de cette possibilité les objets provenant de dons et de legs, ainsi que ceux acquis avec l’aide de l’État. Dans le rapport susmentionné de M. Rigaud, ce dernier regrette pourtant que les dispositions de cette loi « n’ont […] fait l’objet jusqu’ici d’aucune application pratique ».[2]

    LES DÉCLASSEMENTS EXCEPTIONNELS ET STRATÉGIQUES

    L’histoire nous indique que la récente possibilité de déclasser et donc d’aliéner des objets de collections publiques a surtout servi d’outil diplomatique. Par exemple, l’année où la loi est entrée en vigueur, l’État a finalement répondu aux demandes de l’Afrique du Sud de restituer la dépouille mortelle de Saartjie Baartman, une femme khoïsan réduite en esclavage et exhibée en Europe pour son large postérieur où elle était surnommée « Vénus hottentote ». Les demandes de restitution de cette dépouille remontent aux années 1940 et ont fait l’objet d’une demande personnelle de Nelson Mandela en 1994. Avant 2002, les autorités du monde scientifique français avaient refusé ces demandes au nom de l’inaliénabilité du patrimoine de l’État. 

    Ce n’est pourtant qu’en octobre 2009 que la première « véritable » procédure de déclassement fut déclenchée. À cette occasion, le Louvre a déclassé par obligation cinq fragments des fresques d’un tombeau égyptien datant de la VIIIdynastie. Dispersés en 1922, le Louvre revendique les avoir « acquis de bonne foi ». Après la révélation de leur sortie illégale du territoire égyptien, l’Égypte avait fait pression sur le musée, promettant de suspendre toute collaboration archéologique avec le Louvre en attendant la restitution de ces pièces « volées ».

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    Une représentation de Saartjie Baartman, surnommée « Vénus hottentote, » sur une estampe intitulée ‘Les Curieux en extase ou les Cordons de souliers,’ 1815, gravure à l’eau-forte, coloriée ; 18,4 x 27 cm, © BNF, Paris / DR

    Depuis ce « premier » déclassement et cette restitution, la procédure continue à s’appliquer, surtout aux œuvres dont la provenance s’avère douteuse, notamment sur le plan moral – comme cela a été le cas pour les têtes Maori du Musée de Rouen puis du Musée du Quai Branly, déclassées et restituées aux descendants maoris de la Nouvelle Zélande.[3]  Plus récemment, Emmanuel Macron a proposé la restitution des œuvres africaines aux anciennes colonies françaises, une promesse nébuleuse, aux arrière-goûts stratégiques sur un plan géopolitique et qui a quand même réussi à susciter la colère des professionnels des musées pour la transgression qu’elle représente de l’inaliénabilité des collections publiques.

    Donc, bien que l’inaliénabilité des collections publiques ne soit pas inébranlable, celle-ci est, au mieux, une manière d’assurer la fonction de service public des musées et au pire, elle fait office de dernier rempart contre les demandes légitimes de restitution de biens pillés d’anciennes colonies françaises. 

    VENDRE LA CULTURE POUR PAYER LES DETTES PUBLIQUES

    Dans leur rapport très controversé, Valoriser le patrimoine culturel de la France, les économistes Françoise Benhamou et David Thesmar évoquent le « danger de malthusianisme dans la gestion des collections nationales ». Ils ajoutent que « dans un contexte de finances publiques très contraintes, les collections nationales ont du mal à s’étoffer, car les financements pour acquérir de nouvelles œuvres, pour compléter, mettre en cohérence ou enrichir certaines collections, font défaut ».[4] Alors que leur argument vise à ce que les lois concernant l’inaliénabilité des collections s’assouplissent davantage, ils sont on ne peut plus clair quant à la destination des éventuels fonds accrus par la vente des objets : « Le revenu de la vente devrait exclusivement être affecté à des acquisitions nouvelles ».[5] 

    L’un des moyens défendus par Benhamou et Thesmar pour « valoriser le patrimoine » est l’adoption d’un processus tel que le deaccessioning à l’américaine. Cette pratique permet à un musée d’art américain de céder un objet qu’il possède à une autre institution. Les objets peuvent être vendus ou échangés, mais le deaccessioning permet aussi à un musée de se débarrasser d’un objet en raison de son mauvais état. La procédure est encadrée par l’Association of Art Museum Directors (AAMD) qui contraint les établissements membres à obéir à des règles strictes. Par exemple, la ville de Detroit, en faillite avec une dette de plus de $18 milliards, envisageait en 2013 de vendre une partie des collections du musée municipal Detroit Institute of Art, sur proposition d’un fonds d’investissement pour $3 milliards. Cette vente a été freinée à la dernière minute, en partie grâce à l’AAMD, qui dans une lettre ouverte adressée à Rick Snyder, gouverneur de l’état du Michigan, a menacé de retirer l’accréditation du musée, ajoutant :

    « Une telle vente – même contre la volonté du personnel et de la direction du musée – ne serait pas en conformité avec les principes professionnels acceptés dans ce pays. Si une telle démarche s’effectue, ce serait une violation des lignes directrices d’administration des collections définies dans les Pratiques Professionnelles des Musées d’art de l’AAMD. Ce serait, par ailleurs, représenter une rupture de responsabilité de la ville de Detroit d’entretenir et protéger une ressource culturelle inestimable qui lui a été confiée pour le bénéfice du public  ».

    La collection fut épargnée, mais la ville a dû céder la gestion du musée à un organisme privé à but non lucratif, qui a privatisé la gestion de la collection municipale et a restreint davantage le budget du musée. 

    DES PARALLÈLES INQUIÉTANTS

    Tandis que la situation de la vente exceptionnelle d’objets de la collection du Mobilier national ne reflète pas encore la gravité de la situation à laquelle a été confrontée la ville de Detroit, elle laisse poindre certains parallèles qui indiquent un précédent potentiel inquiétant pour le futur des collections françaises. 

    D’abord, comme à Detroit, la vente d’une partie de la collection est proposée pour combler un déficit budgétaire longtemps présenté par les pouvoirs publics comme la faute des dépenses publiques irresponsables car trop généreuses. Dans la ville américaine où est né le fordisme, ce sont les retraites payées à une population vieillissante d’anciens syndicalistes et servants publiques qui sont devenues la cible de Wall Street. Ces derniers ont encouragé les pouvoirs locaux à accepter des prestations aux conditions abusives, réclamant la privatisation des écoles, des transports et même des services de traitement de l’eau.

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    Le site du Mobilier national dans le 13e arrondissement de Paris © Roberto Casati. 

    En France, bien avant que nous ayons été submergés par la crise actuelle du Covid-19, les hôpitaux publics ont été déjà systématiquement affaiblis, devenus objets d’une conquête financière d’une grande ampleur. L’introduction en 2004 de la tarification à l’activité (T2A) pour aider à financer le système de santé qui représentait désormais 10 % du produit intérieur brut (PIB) alors qu’il en représentait seulement 6 % trente ans plus tôt, a eu pour effet la mise en concurrence des hôpitaux publics et des cliniques commerciales. Incités à gagner des parts de marché en augmentant l’activité financièrement rentable plutôt qu’en répondant à des besoins, les établissements ont dû réduire les coûts de production, à la fois augmenter les séjours et réduire leur durée, fermer des lits (70 000 en dix ans) et contenir la masse salariale, bloquer les salaires et comprimer les effectifs. 

    La toile de contradictions qu’a tissée cette conception néolibérale de la santé a réduit l’hôpital public à une chaîne de production, créé des déserts médicaux dans les territoires ruraux et en ville, et  a permis la résurgence de maladies chroniques. Tandis que le nombre des passages aux urgences a explosé, nous avons observé le retour des épidémies infectieuses malgré plusieurs alertes ces dernières années, à l’instar de la crise de l’épidémie de bronchiolite à l’automne 2019.  

    UN CONFLIT D’INTÉRÊTS

    Maintenant que la catastrophe annoncée du Covid-19 est arrivée, le système de santé mis en danger par l’austérité est davantage estropié. Dans ce contexte, la vente des meubles du Mobilier national est présentée comme un secours, un sacrifice charitable sinon un mal nécessaire. La culture joue son rôle dans l’effort de la « Guerre » qu’Emmanuel Macron a déclarée lors de son allocution télévisée du 16 mars 2020 – mais les décisions politiques des dernières deux décennies dans une perspective de « start-up nation » du Président montrent qu’elle est tout le contraire. 

    D’ailleurs, le fait que Brigitte Macron soit la présidente de la Fondation hôpitaux de France pose des problèmes sur le plan juridique. En tant que présidente de cet organisme privé, madame Macron est ce qu’on appelle une « personne privée ». Or les époux Macron ont pris cette initiative en tant que « personnes publiques » et auraient dû théoriquement le faire pour des motifs d’intérêt général. Porter la double casquette des genres public-privé est interdit par l’article 434–12 du code pénal qui sanctionne la « prise illégale d’intérêts ». Monsieur et madame Macron, en tant que personnes publiques, sont censés surveiller et administrer la décision de la vente. En tant que « personne privée », madame Macron, destinataire des sommes a un intérêt personnel privé, monsieur Macron en tant qu’époux de celle-ci, un intérêt personnel indirect également privé. La jurisprudence concernant cette infraction est de ce point de vue inflexible.[6]

    UNE FAUSSE GÉNÉROSITÉ

    L’affaire sent l’opportunisme : le Mobilier national, qui avait été épinglé en début 2019 par un rapport de la Cour des comptes pour mauvaise gestion des fonds publics (5 millions d’euros alloués par an) aura l’occasion de faire bonne figure, en donnant l’impression de se sacrifier pour la Nation. 

    En effet, afin de policer une décision de toute évidence sujette à caution, le Mobilier national a souligné son intention de soutenir les artisans d’art qui travaillent à la fabrication, la restauration et l’entretien du mobilier, avec une enveloppe de 450 000 euros. Mais l’argent que la vente des objets pourrait apporter aux finances publiques des hôpitaux voire même à l’enrichissement des collections est bien modeste en comparaison des 38,5 milliards d’euros payés en dividendes aux actionnaires des banques et assurances, des 171,5 milliards d’euros de dividendes placées par d’autres sociétés en France en 2018 ou bien des 30 à 80 milliards d’euros annuels estimés que représente l’évasion fiscale. De plus, entre 1992 et 2018, les exonérations de cotisations patronales ont représenté 570 milliards d’euros. Nous pouvons citer encore les 84,4 milliards des crédits d’impôt sans contrepartie donnés aux entreprises par le CICE entre 2013 et 2018.

    Le capitalisme néolibéral avec sa doctrine d’austérité n’est peut-être pas directement responsable de la crise du Covid-19, pourtant ses effets néfastes sur les services publics et sur l’État social ont mis en relief de façon brutale l’inaptitude dangereuse de cette politique. Après le coronavirus, comment va-t-on préparer la prochaine crise ? Va-t-on continuer à éroder d’autres secteurs comme la culture ou l’éducation plutôt que de revendiquer un changement systémique ? Combien de trésors nationaux sommes-nous prêts à déclassifier, à qualifier exceptionnellement « sans valeur patrimoniale, ni valeur d’usage » et à vendre avant de pointer du doigt celles et ceux dont le pouvoir ne cesse de prendre le pas sur l’intérêt collectif ?

    Wilson Tarbox

     

    1. Pierre-Joseph Proudhon, Système des contradictions économiques, ou la philosophie de la misère, Paris : A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie, 1867, p. VIII.
    2. Jacques Rigaud, Réflexions sur la possibilité pour les opérateurs publics d’aliéner des œuvres de leurs collections, Rapport remis à Christine Albanel Ministre de la Culture et de la Communication, 20 février 2008, p. 34
    3. Jean-Marie Pontier, « Une restituions, d’autres suivront, Des têtes maories aux manuscrits Uigwe », AJDA, 19 juillet 2010, pp. 1419-1422
    4. Françoise Benhamou et David Thesmar, Valoriser le patrimoine culturel de la France, Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2011, p. 99.
    5. Ibid., p. 79.
    6. Cette analyse repose sur le décryptage offert par Régis de Castelnau, « Privtisation et vente de la France à la découpe : Le Mobilier national maintenant », Vu du Droit, un regard juridique sur l’actualité avec Régis de Castelnau, 1 mai 2020, [en ligne] URL : https://www.vududroit.com/2020/05/privatisation-et-vente-de-la-france-a-la-decoupe-le-mobilier-national-maintenant; consulté le 2 mai 2020.
  • JEU DE MASSACRE MÉMORIEL : ILS EN VEULENT TOUJOURS PLUS, EH BIEN, ON VA LEUR EN DONNER !

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    Les fanatiques racistes de « l’antiracisme » islamo-gauchiste, avec la masse de manœuvre des masochistes de l’aspiration à la dhimmitude et des blancs de la névrose de « la haine de soi » orchestrent frénétiquement, avec tous les relais d’une énorme complaisance médiatique, une opération de déconstruction historique.

    Ils ne manquent pas, il est vrai, de prétendre la légitimer en s’appuyant sur les monstrueuses déclarations d’Emmanuel Macron sur la « colonisation, crime contre l’humanité » !

    Pourtant, ce mouvement n’est pas à vrai dire totalement inintéressant. Car sa logique va être massacreuse pour les grands hommes de la pensée révolutionnaire. Aujourd’hui, contentons-nous ici de fournir aux gauchos des radios et de l’éducation dite nationale quelques incitations à la découverte.

    • Sur Voltaire, car celui-ci ne fut pas seulement un matérialiste, anticatholique et violemment antisémite, mais un parfait profiteur de la traite négrière.
    • Sur Marx :

    Lettre à Engels, 30 juillet 1862 : « Ce négro-juif de Lafargue, qui part heureusement à la fin de cette semaine, s’est encore débrouillé pour perdre 5000 thalers dans une spéculation malencontreuse(…). Je suis maintenant sûr, comme d’ailleurs sa forme de tête et de cheveux le prouvent, qu’il descend des nègres, de ceux qui ont suivi Moïse lors de sa fuite hors d’Égypte (à moins que sa mère ou sa grand-mère maternelle n’ait forniqué avec un nègre). Ma foi, ce mélange de type juif et germanique et de fond négroïde ne peut donner que quelque chose de bizarre. Il y a du négro aussi dans cette manière qu’il a de s’imposer aux autres ».

    Lafargue, socialiste allemand, mulâtre, avait épousé en 1868 la deuxième fille de Karl Marx, Laura. Marx en éprouva une grande rage.

    • Sur Engels, même acharnement raciste contre Lassale que son compère Marx. Message à ce dernier : « Mes félicitations à Paul, le candidat du Jardin des Plantes et des animaux. En tant que nègre, d’un degré plus proche du règne animal que nous tous, il est sans doute le représentant le plus qualifié de ce quartier ».
    • Sur Ferry, ce grand tripoteur d’affaires en Afrique du nord et au Tonkin. « Les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures ».

    Mais, bien au-delà de ces quelques extraits, ce sont des pages entières, significatives de leur racisme, que l’on peut parcourir chez les grands hommes de la gauche communiste, socialiste ou radicale.

    On voit mal comment désormais on pourra tolérer que leurs noms soient plus longtemps portés par des places ou des rues, des établissements scolaires et autres.

    Venons-en maintenant à l’esclavagisme arabo-musulman dont ne semble jamais se soucier les camarades Houria Bouteldja et Assa Traoré.

    Sans doute sur la question ne veulent-elles pas trop se pencher sur ce qu’il en a été pourtant dans leurs respectives ascendances.

    Que ne le font-elles ? Car le trafic d’esclaves, dans toute l’Afrique, n’a pas été seulement le triste fait des « négriers » européens et américains. Ces derniers ont acheté les esclaves vendus par leurs chefs de tribu. Mais cette traite-là, dite « traite occidentale », certes numériquement considérable et certes moralement abominable, n’a pas été la seule.

    La traite dite « orientale » pratiquée par les négriers arabo-musulmans à destination du monde islamique a été d’un chiffre largement supérieur (11 millions – 17 millions) et sa durée plus longue : du 7° siècle au 20° siècle.

    Elle a été aussi plus atrocement encore antihumaine et mémoricide. La castration des hommes en a été la règle. Il n’y a donc eu aucune transmission familiale et culturelle de l’africanité dans l’orient musulman.

    Enfin, il y a eu la traite « inter-africaine » telle qu’au début du 20° siècle on a pu estimer qu’il y avait encore environ 7 millions d’esclaves en Afrique occidentale française, plus de 14 millions pour l’ensemble de l’Afrique noire

    Parmi les peuples africains les plus esclavagistes, la grande tribu sahélienne des Soninkés, celle de la famille Traoré…

    On attend donc avec un grand intérêt la création de journées de mémoire de l’esclavage inter-africain en Afrique. Pour l’heure, il ne semble pas qu’il y en ait eu de programmées.

    Et la Turquie ?

    Enfin, quid de la Turquie, plus que jamais voulue continuatrice de l’empire ottoman par M. Erdogan ?

    Or, s’il y a bien un ensemble politique qui ait fonctionné sur l’esclavage, c’est celui-là.

    Istambul et les autres ports de la péninsule anatolienne n’étaient-ils pas les réceptacles de deux systèmes esclavagistes :

    • Le barbaresque, consistant principalement, jusqu’en 1830, dans la capture séculaire d’européens et notamment des femmes et jeunes filles à destination des harems de l’islam.
    • L’arabo-musulman déjà évoqué.

    Et on pourrait encore évoquer le système du devshirmé consistant à prendre un enfant sur cinq des familles des peuples chrétiens asservis. Pour en faire des janissaires.

    On attend avec intérêt de savoir si la Turquie de M. Erdogan va faire mémoire non seulement des Arméniens et autres chrétiens rescapés du génocide au prix de l’esclavage mais aussi de tout son passé d’un esclavagisme millénaire ?

    L'AGRIF

  • Livre - Notre sélection : "La compagnie des ombres"

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    Il y a des notions qui ne sauraient être exposées en quelques mots. Cet entretien, que certains estimeront un peu long devrait cependant être lu dans son intégralité par tous ceux qui ont une appétence particulière pour l'enseignement de l'histoire si malmené aujourd'hui et qui souhaitent sortir des impasses qu'une gauche idéologique referme sur la voie d'une réflexion salutaire.

    Directeur de la rédaction du Figaro Histoire, Michel de Jaeghere a publié en 2016 La Compagnie des ombres. À quoi sert l’histoire ? (Les Belles Lettres). Il a bien voulu accorder au Rouge & le Noir un entretien fleuve dans lequel il revient longuement sur l’utilité de l’Histoire et fait le point sur la légitimité du « roman national », ses limites et sa différence avec la recherche historique.

     

    R&N : Le travail des historiens a évolué vers une recherche de plus en plus rigoureuse et spécialisée. Cela a-t-il modifié notre propre rapport à l’Histoire ?

    2869.1485439310.jpgMichel De Jaeghere : L’évolution de l’Histoire vers une plus grande rigueur scientifique est, en soi, un progrès. Le problème est qu’elle a débouché sur une spécialisation qui paralyse quelque peu les chercheurs lorsqu’il s’agit de transmettre leurs connaissances au public. De passer de la recherche au récit. Ceux-ci répugnent désormais à sortir de leur sphère, de leur spécialité la plus étroite. Ils ont parfois tendance à considérer que leur savoir est tellement pointu qu’il en est devenu incommunicable. L’art de la synthèse a été parallèlement frappé d’un certain discrédit. Il apparait comme le propre de l’amateur, de l’historien du dimanche, considéré avec condescendance par des professionnels qui s’enorgueillissent du caractère technique qu’à donné à leur discipline leur maitrise des sciences auxiliaires. Jacques Bainville avait pu publier, entre deux-guerres une Histoire de France qui est restée une référence jusque dans les années 50 (c’était l’Histoire de France en livre de poche !). Sa démarche n’était pas celle d’un chercheur, d’un chartiste, mais il y développait des vues fulgurantes de clarté et de lucidité. C’est, aujourd’hui, un exercice déconsidéré (sauf quand il s’agit, comme l’Histoire mondiale de la France de Patrick Boucheron, d’une œuvre collective dont les auteurs sont de gauche, et qu’en outre, elle ne raconte justement pas l’Histoire de France), parce que l’on estime que personne n’est capable de cumuler les compétences nécessaires pour parler à la fois de Clovis, de Louis XVI et de la cinquième République. On conteste la légitimité d’un travail consistant à s’appuyer sur les travaux des chercheurs pour réaliser une synthèse qui ait un certain degré de généralité et permette de jeter sur l’Histoire un regard qui ne soit pas seulement le regard du spécialiste mais d’abord celui de l’honnête homme, qui essaie de tirer des leçons des évènements. Ce travail me parait pourtant nécessaire. C’est à lui que doit aboutir, in fine, l’Histoire, puisque son intérêt est de nous permettre d’aiguiser notre discernement, de nous aider à nous déterminer face aux incertitudes du présent. Ce travail est complémentaire de celui des chercheurs. Il y a quelque chose de vain à les opposer comme s’il s’agissait de deux démarches antagonistes.

    R&N : La ’légende’ ou l’ombre immense des grands personnages et événements du passé a-t-elle encore un rôle à jouer aujourd’hui ? Quel rôle donner au roman national dans l’enseignement de l’Histoire ?

    Michel De Jaeghere : L’enseignement de l’Histoire à l’école, au collège, au lycée pose des problèmes spécifiques. Il est évident que dans le travail des historiens, des chercheurs, de ceux qui étudient les sources, qui se livrent à leur recoupement, leur contextualisation, leur critique, pour tenter de reconstituer au plus près les évènements, la légende n’a pas sa place, si ce n’est comme objet d’étude. Il est normal et légitime que les historiens cherchent à distinguer les évènements de la trace, toujours déformée, qu’ils ont pu laisser dans la mémoire, de cerner la réalité des faits derrière les faux semblants de la légende. C’est même le coeur de leur mission. Il est tout aussi évident que l’on ne peut pas, à l’école primaire, faire découvrir notre passé aux enfants en les faisant accéder aux recherches les plus spécialisées, qui aboutissent souvent à des remises en question de vérités que ces enfants ne connaissent pas encore. C’est dans le cadre de ce premier accès au passé, de cette première initiation à l’Histoire que ce que Pierre Nora a appelé le « roman national » a été conçu par Ernest Lavisse aux lendemains de la défaite de 1870. Il s’agissait dans l’esprit de « l’instituteur national » de donner aux jeunes Français l’amour de la France, en leur présentant une histoire quelque peu téléologique, qui semblait faire de la France républicaine et de l’unité française l’aboutissement de toute notre Histoire. Ce « roman national » était, aux yeux de l’Histoire scientifique, un miroir déformant. Mais il n’en avait pas moins sa vertu puisqu’il permettait aux enfants de comprendre qui ils étaient, quel était leur passé, qui étaient leurs ancêtres, quels devoirs leur imposait l’héritage dont ils étaient les dépositaires. Pour autant, il n’avait pas vocation à être toute l’Histoire. Il ne s’agissait que d’un moment pédagogique appelé à être dépassé. Il y a un âge pour lequel la légende peut apporter un accompagnement qui parle à la sensibilité en entourant l’Histoire d’un merveilleux qui aidera à prendre conscience de la richesse et de la beauté du passé. Puis, il y a un âge pour dépasser la légende, répudier le merveilleux, et accéder, autant que possible, au réel, sans perdre de vue qu’il ne s’agit jamais que d’un état provisoire de nos connaissances, appelé lui-même à être affiné, complété ou remis en question. J’ignore à la vérité si Bayard a toujours été sans peur et sans reproche et je suis sûr qu’aucune fleur ne parsemait la barbe de Charlemagne qui, autant qu’on le sache, ne portait que la moustache. Je sais aussi que l’évolution des techniques de l’agriculture, l’apparition d’un nouveau type de soc de charrue, ont pu avoir une plus grande influence sur la vie des hommes que les exploits, vrais ou faux, de quelques-uns de nos grands hommes. Mais croit-on qu’on aura beaucoup progressé quand après avoir déconstruit tous nos mythes fondateurs, on aura rendu l’histoire aussi attrayante aux jeunes enfants que le mode d’emploi d’un motoculteur ou un tableau de statistiques sur les variations du climat ? En réduisant l’histoire des hommes à un jeu de phénomènes gouvernés par un froid matérialisme, on sera passé, en outre, à coté de vérités qui ne s’y réduisent pas.

    Prenons un exemple, dont je parle dans un chapitre de la Compagnie des ombres : le baptême de Clovis. Il s’agit d’un thème central de la mémoire catholique et nationale de la France. Le baptême de Clovis est à ses yeux l’événement fondateur de la France chrétienne. Il est tout à fait vrai que son histoire a été enrichie au fil des siècles de nombre de détails légendaires (Laurent Theis les a savamment décryptés dans son excellent Clovis). C’est à Reims, sous le règne de Louis Le Pieux qu’ont été ajoutés des épisodes comme celui de la sainte ampoule apportée par le Saint-Esprit sous la forme d’une colombe pour faire de ce baptême une sorte de sacre, alors même que le sacre n’existait pas encore du temps du roi mérovingien, mais parce que l’on souhaitait, justement, donner un illustre précédent à celui des rois Francs, par quoi Pépin le Bref et ses descendants avaient suppléé à leur absence de légitimité dynastique, sanctifié leur récent coup de force. Lorsqu’on examine le baptême de Clovis avec le regard d’un historien (ce que je m’efforce de faire dans ce chapitre de mon livre), on s’aperçoit cependant que les détails surajoutés ont certes été inventés, mais qu’ils correspondent, en même temps, à une vérité profonde dans la mesure où ils sont venus souligner le caractère fondateur de ce baptême pour la France chrétienne. Contrairement à ce qu’ont cru des générations de petits écoliers, la France n’est pas devenue chrétienne par le baptême de Clovis puisque la Gaule avait été christianisée sous l’empire romain et que lorsque Clovis a été baptisé, celle-ci était déjà très majoritairement chrétienne (notamment depuis la prédication de Saint Martin au IVe siècle). La France n’existait pas alors, au surplus, comme telle ; la Gaule serait, au cours des siècles suivants démembrée entre des royaumes concurrents, et il faudrait attendre au moins sept cents ans (si l’on prend comme point de référence le règne de Philippe Auguste et Bouvines) ou près d’un millénaire (si l’on préfère attendre l’épopée de Jeanne d’Arc) avant que sa population prenne conscience de former une seule nation. Il n’en reste pas moins vrai que ce baptême a marqué ce moment où, au contraire des autres peuplades barbares, qui avaient adopté l’hérésie arienne, les Francs, peuple païen, choisirent avec Clovis, sous l’influence de l’épiscopat (lui-même issu de l’aristocratie gallo-romaine tardive, avec des personnalités telles que Saint Rémi, Sidoine Apollinaire, Avit de Vienne) la foi catholique, qui était la foi des élites sociales et culturelles en même temps que celle de l’immense majorité de la population. Et que ce choix eut pour l’avenir une influence considérable puisque d’une part, il consacra l’alliance des Francs avec l’Église, avec un épiscopat formé de lettrés qui assureraient, autant qu’ils le pourraient, la transmission de la civilisation gréco-latine dans les ténèbres des siècles obscurs ; que, d’autre part, il procura aux Francs des appuis qui leur permirent de rassembler sous leur autorité tous les peuples de la Gaule (c’est l’alliance des Mérovingiens avec l’Église qui légitima ainsi la guerre de conquête du royaume wisigoth arien, qui dominait au sud de la Loire, en faisant de cette guerre une guerre de libération pour des populations qui avaient souvent été opprimées dans leur foi par les rois barbares) ; qu’enfin et peut-être surtout, le catholicisme qui leur serait désormais commun déboucherait sur des mariages mixtes entre gallo-romains et Francs et assurerait, par-là, la fusion de la population en un seul peuple, qui se considèrerait tout uniment comme Franc, alors même que les guerriers d’origine germanique n’en représentaient probablement pas plus de 10 % . C’est la raison pour laquelle on peut véritablement dire, avec le regard de l’historien, que le baptême de Clovis marque bien la naissance de la France chrétienne, quand même il fallut attendre longs siècles pour qu’il développe toutes ses conséquences. Racontée dans toute sa complexité, cette histoire serait inassimilable par de jeunes enfants. Écartée au profit d’une dissertation sur la condition paysanne, qui était après tout celle de 90 % de la population, elle laisserait dans l’ombre une dimension essentielle de la destinée du peuple français. Le roman national en faisait, en revanche, connaître les grandes lignes, assimiler la signification d’ensemble. Il n’interdisait nullement, plus tard, de déconstruire les éléments surajoutés par la légende.

    R&N : Parler de « roman national » n’est-il pas en réalité devenu dépréciatif, particulièrement dans la bouche de certains journalistes ou hommes politiques, dans ce sens ou cela sous-entendrait qu’il est finalement une invention, une fiction du passé, que l’on peut sélectionner ou réécrire au gré des idéologies ?

    Michel De Jaeghere : Il y a effectivement un risque puisque dans “roman”, il y a mention d’un genre littéraire qui repose sur l’invention. Et il est bien vrai qu’il y avait dans l’histoire conçue par Ernest Lavisse une part de reformatage du passé sous la forme d’un grand roman historique. Mais si le roman a ses limites, il a aussi sa vérité. D’une certaine manière, le cardinal de Richelieu des Trois mousquetaires a une existence autonome, qui dans nos esprits de Français est probablement plus prégnante que le Richelieu de l’Histoire, dans la mesure où il fait partie de l’imaginaire national. La littérature est porteuse de certaines vérités que l’histoire scientifique n’est peut-être pas capable de nous transmettre. Encore une fois, le « roman national » prenait certes des libertés avec la vérité comptable, mais il lui arrivait aussi d’exprimer des réalités essentielles. On peut certes raconter l’épopée de Jeanne d’Arc en écrivant un traité sur la condition paysanne, la religiosité populaire, les techniques de siège et les procédures judiciaires de l’Inquisition, plutôt qu’en lisant l’Alouette. Il est probable qu’on passera à côté de certaines dimensions de l’évènement.

    La question se pose maintenant de savoir s’il faut continuer à utiliser ce concept, s’il faut le défendre, dans la mesure où les intellectuels de gauche sont parvenus à le frapper de discrédit et où il est devenu sous leur plume une arme de guerre pour disqualifier finalement tout récit historique qui ferait quelque place à l’action des grands hommes, à la liberté humaine, à la dimension spirituelle de l’homme comme une fiction approximative, étrangère au véritable esprit scientifique : celui qui ne veut voir dans l’histoire que le jeu de forces matérielles, de facteurs économiques et, en définitive (même s’ils ne l’avouent pas ouvertement), un produit de la lutte des classes.

    R&N : N’est-ce pas le patriotisme qui est en réalité visé par cette critique du roman national ?

    Michel De Jaeghere : Il y a certes l’idée que l’école n’a pas à former, comme le souhaitait Lavisse, des patriotes prêts à faire s’il le faut le sacrifice de leur vie à leur patrie (la boucherie de 1914 a définitivement disqualifié cet idéal aux yeux des censeurs de tout nationalisme) mais bien plutôt des individualistes acquis à la philosophie des droits de l’Homme et au relativisme. Mais il faut reconnaitre que la gauche intellectuelle est parvenue, au-delà, à déconsidérer le terme même de roman national en faisant de lui un miroir inversé de ce qu’a pu être l’historiquement correct de Jean Sévillia. De même que Jean Sévillia a montré qu’une partie de l’historiographie de gauche (telle au moins qu’elle était reprise par la vulgate médiatique) était marquée par les préjugés de ses auteurs, qui les avait amenés à déformer l’histoire pour la faire correspondre à leurs présupposés idéologiques, les adversaires du roman national sont parvenus à accréditer l’idée qu’il incarnait au fond l’historiquement correct de droite. Or, aucun historien de droite n’a jamais prétendu en réalité que le « roman national » était le tout de l’Histoire. Le roman national a été un moment de l’histoire de la pédagogie française. Aucun historien contemporain (sauf peut-être des conteurs comme Lorant Deutsh ou des essayistes comme Dimitri Casali, mais leurs livres n’ont aucune prétention scientifique) ne se donne comme objectif d’écrire ou de participer à l’écriture du « roman national » (Pierre Nora s’est contenté d’en étudier, dans ses Lieux de mémoire, les thèmes constitutifs). En revanche nombre de personnes pensent que le roman national a sa légitimé à l’école primaire (pas à l’université, bien sûr) parce qu’il y a un moment dans le développement de la sensibilité où le merveilleux peut jouer un rôle positif.

    Parmi les catastrophes pédagogiques de ces dernières décennies, figure en bonne place l’idée que l’on peut, que l’on doit s’adresser aux élèves du primaire comme s’ils étaient à l’université. Je n’ai aucune objection à l’histoire thématique, à la longue période, à l’histoire économique et à celle des mentalités telles que les a réhabilitées l’école des Annales. Le récit chronologique n’est pas le dernier mot de l’Histoire. Mais il en est la base. Lorsque les élèves arrivent à l’université, la chronologie est sensée être acquise et peut dès lors être dépassée. Dans ce cadre, l’histoire thématique et l’histoire sociale répondent à des objectifs tout à fait légitimes pour la transmission et le progrès des connaissances. En revanche, au CP, au cours élémentaire, cette histoire thématique ou sociale est source de confusion parce que le cadre chronologique n’a pas encore été assimilé. Lorsque l’on dit cela, on est considéré non seulement comme un réactionnaire, mais comme un ignorant qui voudrait s’en tenir au récit chronologique en toute circonstance. Il s’agit là d’une caricature.

    R&N : Le Monde dénonçait récemment le retour de « l’histoire identitaire » comme « conception mémorielle et nationaliste de l’histoire ». Êtes-vous d’accord avec une telle analyse ? Cette vision de l’Histoire est-elle réellement « aujourd’hui majoritaire dans la plupart des médias » ?

    Michel De Jaeghere : J’ai lu ce prône, cette leçon d’histoire donnée par un historien dont j’ai oublié le nom et dont l’ampleur de l’œuvre ne m’avait pas jusqu’à ce jour écrasé et qui, sur une page entière du Monde, a expliqué à ses lecteurs, et à moi-même puisque j’étais cité comme l’un de ses représentants, à quel point cette histoire était condamnable.

    Toute histoire nationale n’est pas forcément nationaliste, mais s’agissant de mon livre, où je parle aussi bien de l’antiquité gréco-romaine, que de l’histoire juive, des Incas, de la guerre du Golfe, de la Chine, l’imputation me semble porter à faux. Au-delà, l’article pointait cependant chez les auteurs mis en cause (dont parmi d’autres Jean Sévillia) une conception “mémorielle” de l’histoire. L’accusation revenait à dire que les historiens qui étaient ainsi confraternellement dénoncés faisaient plus place à la mémoire qu’à l’histoire. Autant dire : à une relecture subjective qui choisit les faits pour réécrire l’histoire de manière qui soit conforme à ses préjugés. S’agissant de mon propre livre, je ne me sens pas non plus visé puisque je n’ai pas écrit un livre d’Histoire mais un livre de réflexion sur l’Histoire. Mais de manière plus générale, j’observe que cette personne s’est abstenue de donner, chez les auteurs qu’il met en cause, le moindre exemple permettant d’étayer sa dénonciation. Il me semble donc que du seul point de vue de la méthode, elle tombe elle-même sous le coup de sa propre critique.

    L’idée se répand, de fait, à gauche, qu’une histoire réactionnaire dominerait en France dans les médias : ce n’est pas le cas par exemple du Monde, le grand journal d’information du soir, le grand journal de référence, qui, que je sache, n’est pas entre les mains des historiens de droite puisque l’on n’y rend que très exceptionnellement compte des œuvres des historiens qui ne font pas partie de la chapelle, qui ne sont pas dans la ligne, même pour en dire du mal. Des auteurs qui ne sont pas particulièrement engagés politiquement, mais qui ont le tort de n’être pas à gauche, n’ont parfois jamais bénéficié de la moindre recension, même critique, dans Le Monde alors qu’ils ont écrit des livres par dizaines, obtenu une audience auprès du public, été consacrés à l’occasion par des prix. Ce sont des livres qui, aux yeux du Monde, n’existent pas. Nous sommes en présence d’un petit monde qui vit en circuit fermé et, aux yeux duquel, comme chez Molière, « nul n’aura de l’esprit hors nous et nos amis », les autres n’existent pas — ou en tout cas, ils ne devraient pas exister. Or avec cet article, nous sommes devant le spectacle intéressant d’une gauche qui se rend compte qu’en dépit du blackout qu’elle a elle-même organisé sur l’œuvre de ceux qu’elle considère comme des adversaires, cette œuvre a tout de même un certain impact, une certaine résonance dans le grand public parce qu’elle est intéressante et agréable à lire, parce qu’elle propose — quelle horreur ! — des histoires, des personnages, des récits. On comprend que la gauche s’en indigne. Elle n’en traite pas comme d’une œuvre à critiquer, mais comme d’un phénomène (détail significatif : aucune indication ne donne, à la fin de cet article, comme c’est l’usage, les références des livres critiqués : ils ne sont cités que comme objet d’étude, comme symptômes d’une dérive inquiétante et l’on n’imagine pas, au Monde, qu’un lecteur du journal pourrait avoir l’idée saugrenue de les lire ou seulement de les consulter !) Cet article est en quelque sorte un aveu de reconnaissance de la fin de la toute puissance de l’hégémonie intellectuelle de la gauche sur l’Histoire. Elle y dénonce une hégémonie imaginaire parce qu’elle constate, avec effarement, la fin de la sienne.

    R&N : Loin de vous arrêter à l’Histoire de France, votre ouvrage remonte justement jusqu’à l’Égypte ancienne et s’étend sur d’autres continents. Ces histoires si lointaines dans le temps et dans l’espace ont donc quelque chose à nous apprendre ?

    Michel De Jaeghere : Je n’ai pas écrit un manuel d’histoire à destination des enfants des écoles, mais un livre assez personnel où nombre de chapitres très intéressants de l’histoire ne figurent pas. J’y ai évoqué des épisodes qui m’ont personnellement marqué ; qui m’ont permis de développer ma réflexion, ma sensibilité et que j’ai souhaité donner en exemple pour montrer ce que peut nous apprendre l’histoire. Je n’ai pas voulu écrire un livre théorique sur l’utilité de l’histoire ; j’ai voulu en faire la démonstration concrète. Ce n’est ni le programme que je propose pour l’école primaire ou secondaire, ni une histoire universelle, c’est une sélection, un florilège d’épisodes de l’histoire qui ont nourri ma vie et dont je propose à mes lecteurs de partager la méditation.

    J’ai essayé de réhabiliter dans ce livre une disposition d’esprit que je crois en recul voire en voie de disparition : je voulais renouer avec l’idée, qui nous vient de Cicéron, que l’histoire est maîtresse de vie : que son objet n’est pas de nous faire accumuler des connaissances inutiles mais de mettre à notre disposition un certain nombre de faits, d’évènements, de personnages qui puissent nous servir d’exemples et de modèles, desquels nous puissions tirer des leçons qui nous soient utiles parce que nous partageons avec eux la condition humaine, parce qu’il y a entre eux et nous quelque chose de commun qui nous rend leurs expériences précieuses ; que c’est l’intérêt même de la discipline à laquelle les hasards de la vie m’ont fait consacrer l’essentiel de mon temps.

    J’ai eu le sentiment, peut-être de façon exagérée, que la spécialisation dont nous parlions il y a quelques instants a débouché du côté de la recherche, du côté des universitaires, sur une histoire de plus en plus précise, de plus en plus fine mais de plus en plus limitée dans son champ de vision. Qu’au fur et à mesure que les spécialistes accumulaient avec de plus en plus de précision des connaissances dans des domaines de plus en plus étroits, partiels, ils devenaient de plus en plus méfiants envers toute idée de généralisation, toute analogie, toute leçon à tirer d’une histoire connue dans ses détails mais dont l’économie d’ensemble leur semblait désormais trop complexe pour devenir matière à réflexion. Il s’agit là d’un phénomène naturel. Lorsque vous regardez une foule de loin, vous voyez des silhouettes, des personnes qui se ressemblent par leur aspect et leur comportement. Si vous examinez au contraire une infime partie du corps de chacun d’entre eux au microscope, vous allez vous rendre compte de la multitude de leurs différences, vous aurez le sentiment que ces individus ont peu de choses en commun. Il me semble que nous assistons en Histoire à un phénomène de cet ordre. La spécialisation a débouché sur un profond scepticisme de nombre d’historiens à l’idée que l’histoire puisse nous être utile parce qu’elle serait porteuse de vérités éternelles. Ils se sont peu à peu, je le crains, convaincus que les hommes du passé tels qu’ils étaient parvenus à les reconstituer (avec, encore une fois, une précision dont je ne méconnais pas les mérites) nous étaient tellement étrangers, qu’ils étaient tellement différents par les mœurs, par les coutumes, par les pensées, par le mode de vie, qu’il était vain d’essayer de faire entre eux et nous le moindre lien ; de se demander si leurs expériences pouvaient être une nourriture pour nos âmes, si leur modèle pouvait nous servir d’exemple, si la réflexion sur leurs malheurs pouvait nous tenir lieu d’avertissement.

    Nous nous retrouvons donc avec ce paradoxe d’une histoire qui est de plus en plus précise, de plus en plus scientifique, mais qui s’est proclamée elle-même inutile, qui nous dit qu’elle n’a aucune leçon à nous donner. Mais alors pourquoi la pratique-t-on ? Serait-elle vouée à n’être qu’un pur divertissement, une distraction ? S’il ne s’agit que de nous distraire, la technique moderne nous en offre de nombreuses autres occasions, beaucoup plus accessibles, plus faciles, plus spectaculaires. Il me semble donc que ces très estimables savants sont en train de scier avec beaucoup de méthode la branche sur laquelle ils sont assis, d’assassiner leur propre discipline. Ils continuent à la pratiquer en mettant au jour des connaissances de plus en plus précises, de plus en plus fouillées et en proclamant que ces connaissances ne doivent en aucun cas être utiles. Qu’elles ne servent à rien. Certains affectent en outre d’écrire dans un sabir de plus en plus incompréhensible avec un souci de moins en moins évident de diffuser leurs connaissances. C’est un phénomène d’auto-admiration, un monde où l’on écrit pour ses pairs, pour leur faire part de la découverte d’une nouvelle donnée qui remet en question ce que l’on croyait à la génération précédente (idéalement : ce qu’on croyait sur la foi des recherche d’un maître appartenant à une chapelle universitaire concurrente, sur laquelle on prend ainsi une revanche). Tel est certes l’un des objectifs de l’Histoire, celui du chercheur : remettre en question ce qui était cru auparavant par la découverte de nouveaux documents, l’analyse plus fine ou plus serrée des sources. C’est évidemment nécessaire, mais ce n’est qu’un moyen ou une technique. Le but de l’histoire n’est pas l’accumulation de connaissances inutiles, son but est d’offrir ces connaissances à la méditation de nos contemporains. Quelle est l’utilité de la mémoire individuelle ? De nous faire bénéficier de notre propre expérience, et d’en enrichir notre esprit pour guider nos comportements. Pourquoi l’enfant ne met-il plus la main dans le feu ? Parce qu’un jour, il s’est brûlé et qu’il a le souvenir que c’était douloureux. Il en va de même pour l’histoire, qui est l’expérience des peuples. Sans doute est-elle pour une part, toujours différente du présent. Mais il y a aussi en elle des permanences qui sont sources d’enseignement. De la même façon que l’expérience des individus est la source de leurs jugements moraux dans la suite de leur existence, de même, l’Histoire est-elle pour les peuples une école de discernement.

    R&N : Ce désintérêt pour les exempla ne vient-il pas aussi justement d’une sorte de refus de juger ; de juger par exemple la valeur des différentes civilisations ? Vous évoquez dans votre livre la conquête arabe comme le déferlement des “cavaliers de l’Apocalypse”, dénoncez l’incamania avec une vision assez noire des peuples d’Amérique du Sud avant leur évangélisation. N’êtes vous pas en train de faire ce qu’il est, pour la gauche, interdit de faire, c’est-à-dire de juger les civilisations ?

    Michel De Jaeghere : Mon livre, j’y insiste, n’est pas un livre d’Histoire, mais un livre de réflexion sur ce que l’Histoire a à nous dire. Parmi les leçons qu’elle nous donne, l’une d’elles est, à mes yeux, qu’il existe à l’évidence une hiérarchie entre les civilisations, dans la mesure où certaines contribuent, par leurs institutions, leur système éducatif, leur religion, leur modèle social ou économique, leurs arts, à aider l’homme à accomplir sa nature, à tendre au beau, au vrai au bien, tandis que d’autres les en éloignent en l’entraînant à la bestialité et à la violence. Je pense cependant qu’il faut, là-encore, distinguer deux temps dans la démarche historique. Il y a d’abord le temps de l’établissement des faits, où il est nécessaire d’étudier le passé avec la plus grande objectivité possible (sans perdre de vue cependant que celle-ci est sans doute un idéal inaccessible, et que le plus honnête et le plus sourcilleux des chercheurs restera marqué par une subjectivité qui se manifestera dans le choix et la hiérarchisation des données qu’il étudie). Une fois les faits établis (ou en tout cas approchés le mieux possible : comment parler de certitude en Histoire, s’agissant d’épisodes dont nous sommes séparés par des siècles, et dont nous n’avons que des témoignages partiaux, partiels, lacunaires, provenant de témoins qui n’avaient ni le même mode de vie, la même langue, les mêmes mœurs, les mêmes références, les mêmes idéaux que nous, quand nous ignorons souvent toute une part des vies de ceux que nous fréquentons quotidiennement, quand deux témoins d’un même évènement auront, deux jours plus tard, du mal à accorder leurs versions ? L’historien doit garder cela en permanence en tête pour rester modeste quant à la pertinence de ses conclusions) il y a second temps où rien n’interdit, à mes yeux, de poser un jugement moral sur les évènements. Si l’on exclut la possibilité d’un tel jugement (l’établissement d’une hiérarchie entre les civilisations, par exemple), encore une fois, à quoi sert l’histoire ? La neutralité est nécessaire dans l’établissement des faits. Mais elle n’est qu’un moyen, et, partant, un moment. Dans un procès, le juge d’instruction instruit normalement à charge et à décharge. C’est la démarche du chercheur. Mais vient ensuite la juridiction qui porte le jugement. Ce que j’ai souhaité faire, dans mon livre, c’est m’appuyer sur mes lectures, et donc, sur le travail des chercheurs qui ont écrit les livres que j’ai lus depuis environ quarante ans, pour passer à la deuxième phase, et donc porter des jugements. Ce que Jean Sévillia a très justement dénoncé comme l’« historiquement correct » consiste en fait à procéder à une inversion des phases : à commencer par rendre d’abord un jugement, pour ensuite instruire seulement à charge, ou au contraire à décharge, en cherchant à mettre en évidence les faits qui correspondent à un verdict rendu d’avance. Je refuse cependant l’idée que ces dérives ne puissent être combattues que par une histoire qui se contente de mettre les faits sur la table, et s’interdise, au nom d’une objectivité largement illusoire, de porter sur eux la moindre appréciation. J’ai voulu réhabiliter l’idée que l’histoire sert au contraire à nous aider à choisir entre l’utile et l’inutile, l’efficace et l’inefficace, le bien et le mal, le vrai et le faux, le beau et le laid. C’est par là qu’elle peut contribuer à notre accomplissement.

    R&N : Vous évoquez la propension occidentale à déprécier notre passé en contestant qu’elle procède, comme on le dit souvent, de la haine de soi. Vous donnez notamment en exemple l’incamania qui est désormais le fait, en Amérique latine, non seulement des Indiens mais des descendants des colons espagnols…

    Michel De Jaeghere : Il me semble en effet que tout ce qui nous est étranger est désormais susceptible d’être magnifié (voyez l’emblématique Musée des arts premiers), jusqu’aux sanguinaires civilisations précolombiennes, qui associaient à une tyrannie totalitaire une religion qui faisait en permanence couler le sang des captifs sur les autels. Tout ce qui nous vient de nos pères fait en revanche l’objet de criminalisation et finalement de repentance. On prétend effectivement souvent que ce réflexe relèverait chez les Occidentaux de la haine de soi. Or il suffit d’observer le comportement des élites qui sont, depuis la fin des années soixante, en situation d’hégémonie culturelle, pour voir qu’elles ne se haïssent nullement, qu’au contraire, elles s’adorent ; que leur idéal est un individualisme absolu, qui fait de l’accomplissement de leurs désirs, de l’accumulation des biens de consommation, de l’abolition de toute limite à leur soif de plaisirs immédiats, le but même de leur existence. Il y a en revanche chez elles une haine profonde de l’idée d’héritage, une haine de l’idée que l’homme soit (pour reprendre la belle expression de Jean Madiran) un « débiteur insolvable » de ceux qui l’ont précédé et qui lui ont remis en dépôt, avec la civilisation, un trésor qui ne lui appartient pas, mais qu’il lui revient d’enrichir et de transmettre. Cette conception des choses, qui fait de nous des sujets de devoirs (dont nos droits ne sont que les conséquences, les reflets) en même temps que les maillons d’une chaîne, les protagonistes d’une aventure qui nous dépasse, est tellement opposée à l’hédonisme contemporain qu’il lui est nécessaire pour la disqualifier, de discréditer tout ce qui nous vient de nos pères, en répétant ad nauseam que ceux dont nous sommes issus n’ont été qu’une collection de bandits, de criminels et d’incapables avec lesquels nous n’avons, heureusement, rien de commun.

    R&N : Pourquoi cette insistance particulière sur le thème du déclin (ou de la décadence) des civilisations, thème présent dans nombre de chapitres mais aussi dans votre ouvrage précédent : Les Derniers jours. La fin de l’Empire romain d’Occident (Belles Lettres) ? L’histoire nous indique-t-elle quels sont les invariants qui permettent à une civilisation de durer ?

    Michel De Jaeghere : Parce qu’il n’y a guère de question plus intéressante que celle de comprendre pourquoi, comment vivent, prospèrent et meurent les civilisations !

    Je n’ai étudié en détail qu’un seul cas : celui de l’empire romain d’Occident. Je n’ai donc pas compétence pour tirer une conclusion générale susceptible de s’appliquer à toutes les civilisations. Étant parti à la recherche des causes (comment une civilisation aussi éclatante que la civilisation gréco-romaine avait-elle pu s’effondrer brutalement ?), je suis arrivé à la conclusion qu’on pouvait dégager un ensemble de causes internes et de causes externes, mais qu’il était vain de tenter de réduire les faits à une cause unique : que nous étions bien plutôt en présence d’une dynamique mortifère où les causes s’étaient enchainées les unes aux autres dans un processus que j’ai tenté de mettre en évidence.

    Dans ce processus, l’un des facteurs qui m’a paru le plus frappant est le caractère irréaliste, pour une civilisation, d’avoir l’ambition de perdurer dans la prospérité au milieu d’une zone de chaos, de misère et d’anarchie. De telles situations ne se prolongent que tant que les populations vivant dans ces périphéries anarchiques sont peu nombreuses, lointaines, et qu’elles ignorent tout de la zone de civilisation. Lorsqu’elles en apprennent l’existence, ces populations sont naturellement amenées à tenter de venir partager le bien-être qui y règne. Elles sont invinciblement attirées par elles. Le malheur est qu’il arrive que le résultat soit qu’elles apportent avec elles le chaos et la barbarie qu’elles tentaient de fuir : qu’elles détruisent, par leur intrusion, cela même qu’elles étaient venu chercher, condamnant à la misère les pays qu’elles ont envahis, elles-mêmes, et jusqu’à ceux de leurs congénères qui ne les ont pas suivies dans leur migration, et qui cessent, du fait de l’effondrement de la civilisation dominante, de bénéficier des échanges qui faisaient pénétrer un peu de prospérité dans les périphéries. C’est ce qui s’est passé avec l’empire romain d’Occident, dont la chute a fait retourner certains peuples au niveau de vie qu’ils avaient connu pendant la préhistoire.

    L’histoire de Rome a tous les ingrédients d’une tragédie, parce que Rome a forgé elle-même les instruments de sa perte. C’était bien sûr une illusion de penser qu’elle pourrait exercer une domination universelle. Je ne suis pas mondialiste et je pense qu’un État doit être nécessairement limité pour continuer à correspondre à la mesure humaine, pour rester capable d’entretenir, entre ses citoyens, une certaine solidarité, pour permettre l’accord, au moins tacite, des gouvernants et des gouvernés. Il était donc nécessaire que Rome mette un jour un terme à l’expansion qui l’avait condamnée, semble-t-il, à mener une guerre de conquête perpétuelle. Pour autant, la décision d’arrêter, au IIe siècle, la conquête de l’immense forêt germanique pour jouir désormais sans contrepartie des avantages de la paix romaine, s’est révélée catastrophique à long terme (mais les Romains avaient-ils vraiment le choix ? Avaient-ils les moyens matériels et humains d’aller plus loin ? De coloniser le vaste Barbaricum pour y faire naître une civilisation urbaine ?), parce qu’elle a maintenu une zone d’anarchie à la périphérie de l’Empire. Rome a renoncé à coloniser la Germanie, et s’est contentée d’entretenir, avec ses tribus, des liens commerciaux et militaires, en faisant des échanges d’or contre des matières premières (les fourrures, l’ambre), et en engageant leurs guerriers comme mercenaires. Elle a substitué à la colonisation qui aurait fait des Germains des sujets et des partenaires, un jour des citoyens, une mondialisation qui leur faisait entrevoir la lumière de la civilisation sans être réchauffés par elle. C’était enclencher le fatal engrenage d’où ont procédé les grandes invasions, contre lesquelles l’Empire a dû mener, pendant près de trois siècles, une épuisante guerre défensive. Laisser le Barbaricum dans le chaos et la misère, tout en entretenant, avec lui des relations, en lui fournissant des subsides, c’était s’exposer en effet à ce que les plus entreprenants ou les plus agressifs de ses chefs se dotent des moyens nécessaires pour engager, le jour venu, contre Rome, l’offensive. « Les sociétés en dissolution, écrit Fustel de Coulanges, sont toujours un dangereux voisinage. Si faibles qu’elles soient, elles ont toujours la capacité de nuire. Incapables de rien fonder chez elle, elles peuvent détruire ce qui est à leur portée. Il n’est pas d’empire, si fortement constitué qu’il soit, qui puisse vivre en sûreté à côté d’elles. Entre civilisés et barbares, la lutte n’est pas égale. Les nations civilisées appliquent neuf dixièmes de leurs forces à la paix et au travail ; les barbares appliquent à la guerre tous leurs bras et toute leur âme. Il peut donc arriver que des sociétés très fortes soient matériellement vaincues par des sociétés très faibles. » (L’invasion germanique). Il est significatif que ce ne soit pas de la confrontation avec l’empire Parthe devenu l’empire Perse, le grand ennemi de Rome tout au long de l’histoire romaine, qu’ait procédé sa chute, mais de ces obscures tribus qui n’avaient d’autre consistance que celle qu’elles avaient reçue de Rome lorsque celle-ci avait aidé leurs chefs à constituer des bandes guerrières pour les utiliser comme auxiliaires. Si l’empire universel est une utopie, je pense cependant qu’une frontière ne peut être solidement tracée que devant le désert, ou devant une autre frontière, face à un autre État, une autre civilisation, un autre empire. Avec eux, on a toujours la possibilité de faire la guerre, mais aussi de négocier, de faire la paix, d’enregistrer des avancées ou des reculs. Face à l’anarchie, rien n’est possible : comme dans le Désert des Tartares, on a simplement une immense frontière à défendre, face à un ennemi qui peut venir de partout, n’importe quand ; avec lequel on ne peut pas négocier — parce qu’il n’y a chez lui ni chef stable, ni respect des traités, ni conscience claire des rapports de forces ; qu’on ne peut même pas vaincre définitivement, puisqu’il est toujours susceptible de renaître sous une autre forme.

    Gabriel Martinez-Gros montre, dans un livre publié à peu près en même temps que le mien, Brève Histoire des empires : Comment ils surgissent, comment ils s’effondrent (Seuil, 2014, 215 p.), qu’Ibn Kaldhun était arrivé à peu près à la même conclusion au XIVe siècle sans connaitre l’histoire de la fin de l’empire romain d’Occident. Il y était parvenu en étudiant les différents califats et principautés du monde musulman, et en mettant en évidence l’opposition entre nomades et sédentaires. Il montre que pour créer la prospérité et la paix chez les sédentaires, il avait fallu que l’État s’assure le monopole de la violence en désarmant ses sujets. Mais qu’en même temps, pour les défendre face aux menaces extérieures, il lui fallait constituer des armées. On les avait donc recrutées à la périphérie parmi les tribus nomades combatives et belliqueuses, à qui l’on avait confié la mission de garde-frontières. Mais il arrivait inévitablement un moment où ces tribus voulaient profiter de cette prospérité en faisant, contre les sédentaires, usage du monopole des armes qui leur avait été concédé imprudemment. Il y a un parallèle flagrant avec la fin de l’Empire romain, qui avait vu les empereurs du Ve siècle finir par confier aux barbares eux-mêmes leur défense.

    Un autre parallèle vient inévitablement à l’esprit, même s’il est, évidemment, imparfait et partiel (comme tout parallèle historique) : c’est celui que l’on peut tracer avec le grand ébranlement de peuples dont notre siècle est désormais le théâtre. La situation est très différente puisque d’un côté, l’invasion que subit l’Occident est, pour l’essentiel, pacifique, et que, d’un autre, elle met en jeu des foules infiniment plus grandes que du temps des invasions germaniques. Le parallèle tient à ceci que nous avons choisi, nous aussi, de jouir de la prospérité en choisissant de décoloniser l’Afrique. La colonisation souffrait de toutes sortes de tares et suscitait nombre d’injustices, mais elle était tout de même animée, in fine, par un idéal en même temps que par un calcul. Le calcul était celui d’obtenir, pour la puissance coloniale, un surcroît de richesse et de pouvoir. Mais l’idéal était en même temps de créer la prospérité par le courage et le sacrifice dans des pays restés à l’écart du développement. Or les Occidentaux se sont rendu compte que ce système leur coûtait en réalité très cher, et ils ont choisi le repli sur eux-mêmes, pour jouir dans la tranquillité et la bonne conscience de leur prospérité matérielle, en abandonnant les peuples sous-développés à l’anarchie. Ceux-ci se rappellent aujourd’hui à notre bon souvenir.

    Appréciations de la presse :

    La rigueur des faits s'allie à l'élégance de la formulation. La netteté de la pensée se conjugue avec le souci de la nuance. Cet ouvrage est un plaisir de lecture et un réconfort.
    Le Figaro magazine - 23/09/2016

    C'est dans ce grand livre que Michel De Jaeghere a fait courir sa plume. Une pointe fine, ferme et sensible, qui domine sa mélancolie par la grâce de quelques notes de musique, la force de l'admiration...c'est pour mieux poursuivre la méditation entamée dans son maître ouvrage : celle du temps qui passe, des pierres qui s'érodent, des hommes qui meurent et des enfants qui naissent. 
    Le Figaro Histoire - 01/10/2016

    Voici une Histoire méditative dont la lecture, agréable et aisée, s'avère aussi émouvante qu'enrichissante.
    Atlantico - 18/11/2016

    Passionnant (...) On retrouve la même étincelante intelligence, la même profondeur de vue... la qualité d'une plume où l'érudition et l'analyse se marient idéalement avec le souffle, l'ampleur et même l'émotion.
    Valeurs actuelles - 20/10/2016

    Tout à la fois revigorant et insolite (...). Il faut lire cet essai stimulant.
    Le Figaro littéraire - 27/10/2016

    Une étude magistrale consacrée a la fin de l'Empire romain d'Occident.
    la Nouvelle revue d'histoire - 30/01/2017

    En survolant quatre mille ans d'histoire de sa plume altière, Michel De Jaeghere n'a pas la prétention de nous livrer un abécédaire pour briller en ville, mais nous offre au contraire une leçon de modestie. Le vertige qui saisit à la lecture de ces pages est un vaccin contre l'ingratitude (...).
    Le Figaro - 20/10/2016

    Michel De Jaeghere par Mathieu Bock-Côté : un historien méditatif vu du Québec
    FigaroVox

    Michel De Jaeghere est directeur du Figaro Histoire. Il a publié aux Belles Lettres Le Menteur magnifique, Chateaubriand en Grèce, Les Derniers Jours, la fin de l’empire romain d’Occident et La Compagnie des Ombres, à quoi sert l’Histoire ?

  • Après deux ans de travaux, les fresques de la nef de Saint-Germain-des-Prés ont été dévoilées

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    Depuis plusieurs années, la paroisse Saint-Germain-des-Prés a les yeux rivés sur les voutes de son église. Après plusieurs mois d’un long chantier, elle vient d'inaugurer la restauration des peintures de la nef. Et le résultat est époustouflant ! Cette rénovation, qui correspond à une troisième tranche de travaux après celle du chœur et du transept, vient compléter un chantier qui avait commencé en 2015. L’intégralité des peintures de la nef a été dépoussiérée et décrassée, permettant aujourd’hui de s’imaginer la splendeur que l’église pouvait revêtir au XIXe siècle, époque où ont été réalisées les fresques. Celles-ci ont en effet été exécutées par Hippolyte Flandrin et Alexandre Denuelle entre 1842 et 1864.

    Fondée au VIe siècle, l’église de Saint-Germain-des-Prés est l’une des plus anciennes paroisses de la capitale. Très endommagée durant la Révolution française et tout au long du XIXe siècle, elle a failli être détruite avant d’être sauvée in extremis et restaurée par l’un des plus célèbres architectes de l’époque, Victor Baltard. C’est à cette même période que de nouveaux décors ont été commandés afin de donner un nouveau souffle à la paroisse.

    À l'heure où la France s'enfonce dans de dangereuses perspectives et où la Grande Coalition des démolisseurs  consolide ses positions, il nous a paru opportun de reposer un instant nos esprits dans la (re)découverte de nos chefs-d'œuvre

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    1- La nef autrefois encrassée, dévoile désormais une voute bleu vif constellée d’étoiles

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    2- A la croisée du transept, les quatre anges, Saints Michel, Raphaël et Uriel ont retrouvé leur éclat

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    3- Outre le plafond de la nef, toutes les peintures murales ont également été restaurées et ont ainsi retrouvé leur couleur d’origine

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    4- Sur chaque paroi du sanctuaire, Hippolyte Flandrin a peint une scène de la vie du Christ. Alexandre Denuelle a, quant à lui, réalisé les peintures purement décoratives

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    5- Ce tableau illustre l’épisode du buisson ardent relaté dans l’Ancien testament

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    6- A droite, on reconnait la Vierge Marie et les apôtres assistant à l’ascension du Christ

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    7- Un aperçu de la voute et des parois avant le chantier de restauration

  • Livre. Notre sélection : le génocide voilé

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    Le 10 mai dernier était consacré à la commémoration de l’esclavage en France, il eut été opportun de rappeler aux ethnomasochistes de tout poil, que la traite négrière n’est pas uniquement le fait des blancs (et des juifs) d’Europe vers les États-Unis. En effet, « les Arabes ont razzié l’Afrique subsaharienne pendant treize siècles sans interruption. La plupart des millions d’hommes qu’ils ont déportés ont disparu du fait des traitements inhumains ».

    Le génocide voilé, une enquête du chercheur Tidiane N’Diaye, éclaire un drame passé à peu près inaperçu : la traite des Noirs d’Afrique par le monde arabo-musulman. Cette traite a concerné dix-sept millions de victimes tuées, castrées ou asservies, pendant plus de treize siècles sans interruption. Les razziés étaient contraints de traverser le désert à pied pour rejoindre le Maghreb, l’Égypte ou la péninsule Arabique via Zanzibar, par bateaux… Pourtant, cette traite négrière a été minimisée, contrairement à la traite occidentale vers l’Amérique. Pourquoi ? Parce que seule la conversion à l’islam permettait d’échapper à l’esclavage. De nos jours, la majeure partie de l’Afrique est devenue musulmane. Un livre polémique et courageux selon Joachim Véliocas.

    Ecoutez l'émission du 5 mai 2017 vec Tidiane N’Diaye qui présente son livre « Le génocide voilé » :  ICI

    Source : Observatoire de l’islamisation

  • Algérie : quelques rappels historiques à ceux qui exigent repentance

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    « L’école est le lieu de l’assimilation qui est le contraire de la guerre des mémoires et de la repentance… » (Henri Guaino).

     

    Il aura suffi de quelques matchs de « balle au pied » gagnés par l’Algérie, dans le cadre d’un « Championnat d’Afrique du Nord » dont on se fout comme d’une guigne, pour que certaines de nos villes subissent des débordements, des bagarres, des corridas urbaines, des saccages, des pillages, de la part de ressortissants algériens qui n’auraient assurément pas osé faire ça chez eux.
    Et aussitôt, quelques pisse-copies – toujours de gauche – nous ont expliqué que c’était tout à fait compréhensible : les Algériens ont « une revanche à prendre » puisque nous les avons occupés illégalement en 1830, puis, durant 132 ans, nous avons pillé leur pays et détruit leur culture.

    Quand les choses vont mal chez nous, rien ne vaut un coup de repentance  pour culpabiliser le « Souchien » (que ceux d’en face appellent « Sous chien »).
    Je vais donc, une fois de plus, rappeler quelques vérités historiques à ces ignares.

    Rappelons, tout d’abord, que jusqu’à l’arrivée des Français en 1830, l’Algérie en tant que telle n’existait pas et que le nom d’« Algérie » n’existait pas non plus ; il a été inventé, si je puis dire, par une circulaire du ministère de la Guerre, en date du 14 octobre 1839 :
    « Le pays occupé par les Français sera, à l’avenir, désigné sous le nom d’Algérie. Les dénominations d’ancienne régence d’Alger et de possessions françaises dans le nord de l’Afrique cesseront d’être employées dans le cadre des correspondances officielles… »
    La région, avant l’arrivée des Français, c’est une province en totale déshérence politique, en faillite aussi bien humaine que sociale. C’est un vulgaire repaire de pirates qui paie un tribut au sultan de Constantinople. Les relations entre l’Europe et ce coin d’Afrique du Nord ont été, depuis la nuit des temps, des plus tumultueuses.
    Au début du XVIe siècle, un corsaire établi à Alger, Khayr al-Din, dit « Barberousse », a fait allégeance au sultan de Constantinople. Puis les Turcs ont administré la régence d’Alger à laquelle ils ont imposé la présence de leurs garnisons et le paiement d’un tribut annuel par les chefs arabes.

    En 1541, excédé par le développement de la piraterie et par les razzias de chrétiens vendus comme esclaves (ou rendus contre rançon), Charles Quint débarquait avec 20 000 hommes à proximité d’Alger. Cette expédition fut un échec mais l’histoire a retenu qu’un seigneur espagnol, Ponce de Balaguer, dit « Savignac », planta sa dague sur la lourde porte « Bab Azoun » qui fermait la citadelle d’Alger et s’écria : « Nous reviendrons ! ». Cette promesse par bravade sera tenue par les Français en 1830. Mais nous n’en sommes pas là, pas encore…

    Peu après, les Espagnols s’installent à Oran, qu’ils conserveront jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.
    Entre-temps, les Marseillais (et les Génois) se sont fait attribuer le monopole du commerce avec la régence d’Alger. Dès 1553, le privilège concédé aux Marseillais a été étendu à « toute la côte de Barbarie » (sic). Cette convention, renouvelée par le sultan en 1582, assurait aux Français la possession de quatre établissements : Bône, La Calle, le Bastion de France et le Cap Rose. Moyennant le paiement d’un tribut de 1 500 écus d’or, on leur garantissait une tranquillité… très relative.
    Les deys d’Alger, en dépit des traités signés, qu’ils n’ont jamais respectés, encourageaient la piraterie – la guerre de course – fort lucrative et qui entraînait peu de représailles.

    En 1664, Colbert chargea le duc de Beaufort d’occuper une partie des côtes algériennes, sans grand résultat. En 1683, Duquesne vint bombarder Alger. En guise de réponse, les Algériens attachèrent le père Le Vacher, qui faisait fonction de consul de France, à la bouche d’un canon et ouvrirent le feu… En 1690, des envoyés du dey viennent à Versailles pour rassurer le Roi Louis XIV : les choses semblent s’arranger mais à Alger, les Barbaresques continuent à rançonner les navires européens. Pendant tout le XVIIIe siècle, Français, Anglais et Hollandais vinrent bombarder, toujours sans la moindre efficacité, les côtes algériennes.
    En 1767, ce fut le tour des Vénitiens, suivis des Danois en 1770 et 1772. En 1774, l’Espagne envoya 20 000 hommes. Cette expédition n’eut pas plus de résultat que celle de Charles Quint.

    Finalement, la Hollande, le Portugal, le Royaume de Naples, la Suède, le Danemark et même les États- Unis, payèrent tous les deux ans un tribut au dey d’Alger pour assurer à leurs navires une relative immunité. L’Angleterre et la Hollande fournissant au dey des armes et des munitions (1).
    En 1790, il fut question de renouveler le traité de paix (non respecté par Alger) conclu cent ans auparavant avec Louis XIV. À cette occasion le comte de Kercy, consul de France, écrira :
    « Les temps ne sont pas éloignés où la France élèvera enfin la voix et, au lieu de se soumettre aux demandes du dey, osera elle-même en faire ».

    En 1801, enfin, un nouveau traité de paix était conclu entre Alger et Paris. Il stipulait la liberté du commerce et la suppression de l’esclavage. Il n’eut pas plus d’effet que les précédents. Quelques mois plus tard, la piraterie recommençait avec la capture de deux bricks français.
    Bonaparte se fâcha et envoya une division navale devant Alger avec une lettre pour le dey :
    « J’ai détruit l’empire des Mameluks parce qu’après avoir outragé le pavillon français, ils osaient demander de l’argent… Craignez le même sort… Si vous refusez de me donner satisfaction, je débarquerai 80 000 hommes sur vos côtes et je détruirai votre régence. Ma résolution est immuable ».

    Le dey adopta un profil bas mais, dès 1807, les relations se gâtent à nouveau entre Alger et la France. Dans un courrier, Napoléon informe les Russes, devenus ses alliés, qu’il est « décidé à en finir avec les Barbaresques ». Il charge un officier du génie, le commandant Boutin, d’étudier les possibilités d’un débarquement. C’est Boutin qui proposera la baie de Sidi-Ferruch, à une trentaine de kilomètres à l’ouest d’Alger.

    La piraterie en Méditerranée est évoquée par les États européens, à Londres en 1816, puis à Aix-la-Chapelle en 1818 et les bombardements reprennent. En 1816, Lord Exmouth, à la tête d’une escadre anglaise, coule la plupart des navires algériens et envoie 34 000 boulets de canon sur la ville.
    Le dey ruse encore : il relâche aussitôt 1 200 captifs chrétiens et promet d’abolir la guerre de course. Cette promesse, comme les précédentes, ne sera pas tenue.

    Deux ans plus tard, les Algériens se saisissent de deux navires battant pavillon pontifical (2), puis ils arraisonnent deux navires français. Le roi Charles X, furieux, décide d’intervenir.
    Le 29 octobre 1826 la frégate La Galatée apporte un ultimatum au dey, qui, une nouvelle fois, fait semblant de s’amender… mais la piraterie continue.
    On a écrit que la conquête (en juillet 1830) avait été décidée à la suite d’un malencontreux coup d’éventail donné à un consul affairiste en… 1827.

    C’est absolument faux ! Les auteurs sérieux disent tous qu’il fallait saisir un prétexte pour faire cesser les actes de piraterie. La décision de conquérir Alger résulte, en fait, d’une imbrication de motifs politiques : la relance de la piraterie, en 1821, qui demande des tributs aux États européens et impose le droit de visite des bateaux. Puis le pillage et la confiscation de notre comptoir de la Calle…

    Les buts définis par le ministre Polignac sont d’ailleurs très clairs : « Destruction de l’esclavage, de la piraterie et des tributs… sécurité de navigation… rendre le rivage de cette mer à la production, à la civilisation, au commerce, à la libre fréquentation de toutes les nations… ».
    C’est on ne peut plus normal ! Et c’est parfaitement louable !

    Si l’Algérie est devenue un pays prospère – du moins jusqu’à son indépendance – elle le doit à la France. Et si les Franco-Algériens – ces « Français de papiers » qui ne manquent pas une occasion de se dire plus algériens que français – pensent le contraire, qu’ils retournent vivre en Algérie.
    S’ils préfèrent la Chorba (c’est leur droit après tout !), qu’ils aillent la manger chez eux et qu’ils arrêtent de cracher dans NOTRE soupe !

    Éric de Verdelhan

    1)- Pendant sa lutte contre les Français, Abd el-Kader bénéficiera d’un approvisionnement important en fusils et munitions de l’Angleterre. Les historiens n’en parlent jamais, pourquoi ?
    2)- Le « Sant’Antonio » et le « San Francesco de Paolo ». Le dey s’était pourtant engagé à respecter les navires du pape.

  • Bernard Lugan : "Emmanuel Macron a désigné les vrais responsables de la colonisation"

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    Que pourrait avoir voulu dire Emmanuel Macron en parlant du colonialisme comme d’une « faute de la République » ?

    Le 21 décembre 2019, à Abidjan, en dénonçant le « colonialisme « faute de la République » et non de la France (à moins que, pour lui, France=République), Emmanuel Macron a désigné les vrais responsables de la colonisation, ce « péché » qui sert aujourd’hui à désarmer la résistance au « grand remplacement ».

     

    État de la question :

    1) Dans les années 1880-1890, l’idée coloniale fut portée par la gauche républicaine alors que la droite monarchiste et nationaliste majoritaire dans le pays s’y opposait [1][1].

    2) Les chefs de cette gauche républicaine étaient profondément imprégnés par les idées de la révolution de 1789. Pour eux, la France républicaine, « patrie des Lumières » se devait, en les colonisant, de faire connaître aux peuples qui l’ignoraient encore le message universaliste dont elle était porteuse. La dimension économique était initialement secondaire dans leur esprit car, à l’époque, l’on ignorait que l’Afrique encore très largement inexplorée pouvait receler des richesses. Et quand Jules Ferry parlait du futur Empire comme d’une « bonne affaire », ce n’était qu’un souhait (voir à ce sujet les travaux de Jacques Marseille).

    3) Dans la réflexion de la gauche républicaine, la dimension idéologique et morale de la colonisation a tenu une part considérable et même fondatrice. L’on trouve ainsi chez Jules Ferry la notion de « colonisation émancipatrice », idée qui fut parfaitement résumée en 1931 lors du congrès de la Ligue des droits de l’Homme qui se tint à Vichy, quand Albert Bayet, son président, déclara que la colonisation française était légitime puisqu’elle était porteuse du message des « grands ancêtres de 1789 ». Dans ces conditions ajouta-t-il, en colonisant, c’est-à-dire en faisant :

    « (…) connaître aux peuples les droits de l’homme, ce n’est pas une besogne d’impérialisme, c’est une tâche de fraternité »

    4) La gauche républicaine coloniale utilisa à l’époque des arguments qui, aujourd’hui, conduiraient directement leurs auteurs devant les tribunaux. Dans son célèbre discours du 28 juillet 1885, Jules Ferry déclara ainsi :« Il faut dire ouvertement qu’en effet, les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures ; mais parce qu’il y a aussi un devoir. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures »

    Le 9 juillet 1925, l’icône socialiste Léon Blum affirma devant les députés :« Nous admettons le droit et même le devoir des races supérieures d'attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture et de les appeler aux progrès réalisés grâce aux efforts de la science et de l'industrie. »

    Les bonnes consciences humanistes peuvent cependant être rassurées puisque Jules Ferry avait pris le soin de préciser que :« La race supérieure ne conquiert pas pour le plaisir, dans le dessein d’exploiter le faible, mais bien de le civiliser et de l’élever jusqu’à elle ».        

    5) La maçonnerie à laquelle appartenaient la plupart des dirigeants républicains voyait dans la colonisation le moyen de mondialiser les idées de 1789. En 1931, toujours à Vichy, lors du congrès annuel de la Ligue des droits de l’homme dont j’ai parlé plus haut et dont le thème était la question coloniale, Albert Bayet déclara :

     « La colonisation est légitime quand le peuple qui colonise apporte avec lui un trésor d’idées et de sentiments qui enrichira d’autres peuples (…) la France moderne, héritière du XVIIIe siècle et de la Révolution, représente dans le monde un idéal qui a sa valeur propre et qu’elle peut et doit répandre dans l’univers (…) Le pays qui a proclamé les droits de l’homme (…) qui a fait l’enseignement laïque, le pays qui, devant les nations, est le grand champion de la liberté a (…) la mission de répandre où il peut les idées qui ont fait sa propre grandeur ».

     6) Alors que toute la philosophie qui animait ses membres reposait sur le contrat social, la colonisation républicaine s’ancra sur une sorte de racisme philanthropique établissant une hiérarchie entre les « races » et les civilisations. Au nom de sa supériorité philosophique postulée, la république française avait en effet un devoir, celui d’un aîné devant guider, grâce à la colonisation, ses cadets ultra-marins non encore parvenus à « l’éclairage des Lumières ».

    7) Pour ces hommes de gauche, la conquête coloniale n’était brutale qu’en apparence puisqu’il s’agissait in fine d’une « mission civilisatrice ». D’ailleurs, la république égalisatrice n’avait-t-elle pas fait de même en transformant les Bretons, les Occitans, les Corses et les Basques en Français, c’est-à-dire en porteurs du message émancipateur universaliste ? La gauche républicaine coloniale se devait donc de combattre tous les particularismes et tous les enracinements car il s’agissait d’autant de freins à l’universalisme. Coloniser était donc un devoir révolutionnaire et républicain. D’autant que la colonisation allait permettre de briser les chaînes des peuples tenus en sujétion par les « tyrans » qui les gouvernaient. La colonisation républicaine fut donc d’abord le moyen d’exporter la révolution de 1789 à travers le monde.

       Jusque dans les années 1890, la position de la droite monarchiste, nationaliste et identitaire fut claire : l’expansion coloniale était une chimère détournant les Français de la « ligne bleue des Vosges » et les aventures coloniales étaient donc considérées à la fois comme une trahison et un ralliement aux idées républicaines. Le 11 décembre 1884, devant le Sénat, le duc de Broglie, sénateur monarchiste, déclara ainsi :

     « (…) Les colonies affaiblissent la patrie qui les fonde. Bien loin de la fortifier, elles lui soutirent son sang et ses forces. »

     Cet anticolonialisme de droite fut bien représenté par Paul Déroulède et par Maurice Barrès. Pour Déroulède, le mirage colonial était un piège dangereux tendu par les ennemis de la France. Dans une formule particulièrement parlante, il opposa ainsi la chimère de « la plus grande France », c'est-à-dire l’Empire colonial, qui menaçait de faire oublier aux Français le « relèvement de la vraie France ».

    En dehors des milieux d’affaires « orléanistes » qui, à travers les Loges, avaient adhéré à la pensée de Jules Ferry, la « droite » fut anticoloniale quand la « gauche », à l’exception notable des radicaux de Clemenceau, soutenait massivement l’expansion ultramarine.

     Et pourtant, quelques années plus tard, à quelques très rares exceptions, monarchistes, nationalistes et catholiques se rallièrent à la vision coloniale définie par la gauche républicaine, donc aux principes philosophiques qu’ils combattaient depuis 1789… La fusion fut effective en 1890 quand, par le « toast d’Alger », le cardinal Lavigerie demanda le ralliement des catholiques à la République. La boucle révolutionnaire fut alors bouclée. Les Lumières l’avaient emporté sur la Tradition.

    Par « devoir patriotique », la droite militaire et missionnaire partit alors conquérir les « terres de soleil et de sommeil ». Elle s’y fit tuer avec courage et abnégation, en ne voyant pas que son sang versé permettait la réalisation des idéaux philosophiques de ses ennemis de toujours… Ces derniers demeurèrent quant à eux confortablement en France, attendant de chevaucher ultérieurement les chimères idéologiques de l’anticolonialisme au nom duquel ils dénonceront et combattront férocement et implacablement une droite suiviste devenue coloniale quand eux ne l’étaient plus…

     En parlant de « faute de la République » et non de faute de la France, le président Macron a donc (involontairement ?), mis la gauche républicaine face à ses responsabilités historiques. Car, et nous venons de le voir, ce furent des républicains, des hommes de gauche, des laïcs et des maçons, qui lancèrent la France dans l’entreprise coloniale qui l’épuisa, la ruina et la divisa.

    Leurs héritiers qui dirigent aujourd’hui la France politique, judiciaire, médiatique et « morale » ont curieusement oublié cette filiation. Plus encore, ayant adhéré à une nouvelle idéologie universaliste, celle du « village-terre » et de l’antiracisme, ils font réciter ad nauseam aux Français le credo de l’accueil de « l’autre » afin d’achever de diluer les derniers enracinements dans l’universel. Et ils le font au prétexte de la réparation de la « faute » coloniale commise hier par leurs maîtres à penser …


    [1] Je développe cette idée dans mon livre « Mythes et manipulations de l’histoire africaine »

  • Librairie "Le Chameau malin" : deux nouveaux ouvrages

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    Très bel ouvrage sur la vie sociale à Béziers entre 1850 et la Grande guerre.

    Il concerne tout autant les personnes de la société bitteroise généralement fortunées,

    que les artistes photographes grâce auxquels nous pouvons encore mettre un visage sur un nom,

    souvent prestigieux.


    Cette galerie de portraits permet de recenser les ateliers photographiques

    dont certains comme Reynouls connurent une pérennité de plusieurs décennies.


    On découvrira également avec ravissement les clichés réalisés par Louis Paul, cet artiste

    complet, cheville ouvrière du Béziers 1900, souvent dans le cadre familial ou amical,

    autre aspect de l'art photographique de cette seconde moitié du XIXe siécle.

    Format 16X 24 -papier bouffant - 426 pages

    Prix public 18 €

     

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    L'ouvrage déroule le fil de l'histoire de cette cité industrielle et ouvrière sur près de trois siècles. Tout d'abord depuis sa création, ensuite ses agrandissements sucessifs, lors de périodes fastes où 700 ouvriers s'activent, puis enfin l'industrialisation, la concurrence, les difficultés et la fermeture en 1954.

    Manufacture Royale, Impériale, entreprise familiale et capitaliste, le passé de ce microcosme reste inscrit dans cet ensemble architectural original.

    Format 16 X 24 - papier couché - 375 pages
    Prix public 35 €

     

    Ces deux ouvrages sont disponibles

    à la librairie Le Chameau Malin 9 rue Montmorency 34500 Béziers.

    Vous pouvez également les commander en laissant vos coordonnées à l'adresse 

    lechameaumalin@gmail.com Au prix du livre s'ajouteront les frais de port.

  • "Le procès de Simon de Monfort" - Rétrospective

    Le procès de Simon de Montfort-2.jpgIl y a 10 ans, le 23 juillet 2009, des avocats et magistrats du Tribunal de grande instance de Béziers interprétaient en l'église de la Madeleine, devant une salle comble, une pièce écrite et mise en scène par l'historien biterrois Robert Cavalié, "Le procès de Simon de Monfort", à l'occasion du 800ème anniversaire des événements liés à la Croisade contre les Albigeois.

    Pièce originale qui traitait, non pas du sac de Béziers en 1209, dont on connait un des moments tragiques situé précisément à l'église de la Madeleine, mais des usurpations de terres commises par Simon de Monfort, pour les juristes un procès civil et non pénal.

    Quelques jours auparavant le journal "L'Hérault de l'économie et des affaires" avait demandé à Henri Bec, qui pour l'occasion tenait le rôle du Procureur du Roi, une note sur cette partie de l'histoire de France qui a si profondément marqué notre Midi.

    C'est ce texte que nous reproduisons.

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  • Le 14 juillet 1789 ne fut pas un jour de gloire

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    Il est de bon ton de fêter chaque année, la date du 14 juillet, considérée comme fondatrice de notre République. L’État montre sa puissance en organisant un important défilé militaire, les collectivités locales, même les plus petites, y vont de leurs concerts, bals et autres feux d’artifice pour glorifier l’événement. Il s’agit bien d’un jour de célébration, visant à démontrer la communion des citoyens aux « valeurs de la République ».

    On a peu à peu instillé dans la tête des Français que la fête du 14 juillet célébrait l’anniversaire de la prise de la Bastille le 14 juillet 1789. Il n’en est rien. La commémoration du 14 juillet, qui fut votée par les sénateurs le 6 juillet 1880, n’a pas fait, loin de là, l’unanimité au début des discussions. Beaucoup estimaient qu’elle commémorait un épisode trop violent et sanglant pour symboliser l’Unité de la Nation. La date fut cependant conservée quand il fut expliqué que c’était en réalité la date du 14 juillet 1790 qui était célébrée, c’est-à-dire la fête de la Fédération au cours de laquelle se succédèrent procession militaire, messe célébrée par Talleyrand, serment du Roi à la Constitution et serment de La Fayette au Roi, avec adoption de la nouvelle devise : « La Nation, la Loi, le Roi ». Les organisateurs avaient voulu donner à cette fête le sentiment d’unité nationale après les massacres de l’année précédente. Ces bonnes intentions ne durèrent pas très longtemps…

    Mais revenons à cette date du 14 juillet 1789, prise de la Bastille, symbole déclaré de la fin de « l’absolutisme royal ». Elle est infiniment importante puisqu’elle semble symboliser le commencement de l’installation de la République. La vérité historique est autrement plus sombre.

    Dès le printemps 1789, la terreur commence à se développer un peu partout en France : assassinats incontrôlés, maisons et châteaux pillés ou brûlés, fonctionnaires royaux malmenés, cela dans presque toutes les régions de notre pays. Les États généraux, réunis à Versailles, soufflent sur les braises de la révolution qui a démarré. Le 14 juillet, Camille Desmoulins commence à haranguer les promeneurs du jardin des Tuileries. L’attroupement grossit peu à peu, et lorsque la foule lui semble suffisamment nombreuse, Desmoulins la dirige vers les Invalides pour l’armer, avec des armes volées en masse, jusqu’à la Bastille. La forteresse avait les moyens de résister, mais son gouverneur, fort de la parole des émeutiers accordant la vie sauve à ses défenseurs comme à ses quelques prisonniers, ouvre les portes de la bâtisse : tous les occupants sont sauvagement massacrés, et la tête du malheureux gouverneur promené sur une pique dans un Paris survolté.

    Ce funeste jour de violence marque un tournant décisif dans le processus révolutionnaire. En effet, jusqu’à ce jour, la terreur en était à ses premiers balbutiements, actes d'excités plus ou moins isolés. Le 14 juillet, la violence la plus sauvage prend un tour officiel. Les dirigeants des émeutiers, directement liés aux députés révolutionnaires de Versailles, donnent un signal puissant à la France tout entière : désormais, rien ne va arrêter le processus, long et tragique cortège de violences et de massacres. De grands serviteurs du royaume sont assassinés, à Paris et en province, dès que le massacre de la Bastille est connu et glorifié.

    La mise en place de la Terreur officielle date bien de ce jour, et sera poursuivie par les épouvantables tragédies des années suivantes ; pour aboutir finalement à un Empire autoritaire et guerrier auprès duquel « l’absolutisme royal » apparaît comme un conte sympathique pour enfants sages.

    Commémorer le 14 juillet pose donc question, tant sur le plan historique que sur les plans philosophique et moral. La vérité historique, remplacée désormais par un romantisme insipide et mensonger, impose pour le moins, de relever que cette sombre journée du 14 juillet 1789 ne fut pas un jour de gloire.

    Henri Bec

  • Sant Andiu a retrouvé Saint Aphrodise

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    Une cérémonie était organisée par la confrérie et les Amis de Saint-Aphrodise le jeudi 21 mars dernier pour le retour du tableau.

    C’est de "manière solennelle et significative" que le grand maître de la confrérie Sant-Andiù de la Galinière, Jean Chabrat, et le président des Amis de Saint-Aphrodise, Jacques Nougaret, avaient décidé de célébrer le retour en la basilique, du tableau restauré d’un des saints titulaires, avec Aphrodise et Guiraud, de Béziers. C’est d’ailleurs dans ces murs qu’il a été enterré au Moyen Âge.

    Un laboureur généreux

    Andiù était un laboureur du domaine de La Galinière, route de Murviel. Il possédait ses bœufs et travaillait pour un seigneur. Très généreux, il donnait à boire le vin de son barralet aux passants. Ce petit tonneau était très particulier. Il ne se vidait jamais et son vin était un véritable nectar. Andiù avait bonne réputation dans le voisinage.

    Mais, quelques jaloux sont allés voir le seigneur pour lui rapporter que le laboureur lui volait son vin pour le distribuer aux manants qui passaient.

    Pour le confondre, le noble homme décide de se déguiser en paysan et il va voir Andiù. En arrivant à sa hauteur, il lui demande à boire.

    Son laboureur s’exécute et se joint à lui pour déguster une coupe. Le seigneur s’aperçoit alors que ce n’est pas son vin qui sort de ce Barralet. Il est bien meilleur que le sien, certainement d’origine divine. Les deux hommes boivent de trop et s’endorment. Pendant ce temps, l’histoire dit que ce sont les anges qui font travailler les bœufs. Une image que l’on retrouve d’ailleurs dans le tableau. Au réveil, le propriétaire reconnaît que ses soupçons n’étaient pas fondés et ils deviennent amis.

    Saint-Nazaire ou Saint-Aphrodise

    Arrive le jour du décès d’Andiù. Un conflit éclate entre les chapitres de Saint-Nazaire et de Saint-Aphrodise. Chacun veut récupérer la dépouille du saint homme. Il est alors décidé d’atteler les bœufs, de poser son corps sur la charrette et de voir la direction qu’ils vont prendre. Les bêtes ont choisi d’aller vers Saint-Aphrodise.

    Messe chantée

    Le tableau, à l’origine, était dans la basilique Saint-Aphrodise. Il est daté du XVIIIe siècle de peintre inconnu.

    En 1992, la partie romane de l’édifice a été fermée parce qu’elle nécessitait de gros travaux de mise en sécurité. Quelque temps après, la confrérie a fait déplacer le tableau dans l’église de La Madeleine pour garder le mémorial. Depuis, il a été restauré et a repris son emplacement originel, grâce à la volonté de la confrérie et des Amis de Saint-Aphrodise.

    La cérémonie, était présidée par l’archiprêtre Bernard Boissezon, en présence du père Jean-François Guisset, chapelain de la confrérie. Henri Barthès, président de la Société Archéologique de Béziers tenait les grandes orgues au cours de la messe chantée

    À l'issue Sant Andiù a ouvert son barralet pour déguster les vins de Béziers, accompagnés des fameuses coques.

    Un confrérie créée en 1140

    La confrérie de Sant-Andiù a été créée en 1140. Elle était d’abord consacrée aux laboureurs avant de devenir bachique. Au-dessus de l’autel qui lui est consacré dans la basilique, on retrouve les symboles du travail de la terre avec une houe, une faucille, une charrue, un épi de blé…

    Dissoute pendant la Révolution française, la confrérie a été réactivée en 1968. Des recherches sont en cours pour savoir si ce n’était pas plutôt en 1920. Quoi qu’il en soit, elle est toujours dynamique aujourd’hui et perpétue l’amour du vin de son saint patron.

  • Livre. Notre sélection : Les Guerres d'Afrique de Bernard Lugan

     

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    Alors que nos héros de l’actualité récente reposent en paix, il peut ne pas être inutile de s’interroger sur la tectonique profonde de la région sahélienne, avec laquelle la France partage un peu de son histoire.

    C’est ce que fait Bernard Lugan, avec son érudition coutumière en matière d’histoire africaine, en remontant aux premiers empires de la région, s’attardant sur l’islamisation ou sur les tensions ethniques, livrant ainsi, page après page, toutes les clés de lecture nécessaires à la compréhension de la difficile situation à laquelle les décideurs de l’opération Barkhane – hier Serval – se trouvent aujourd’hui confrontés. Et si c’est la situation malienne qui a déclenché Serval, ce sont bien la complexité et l’interdépendance des pays du « G5 Sahel » qui ont justifié l’avènement de Barkhane, du nom de ce vent désertique qui se joue des frontières et des projets humains – et peut tout balayer dans un caprice du destin.

    Bernard Lugan, familier du monde militaire, n’est guère rancunier envers les chefsLugan1.jpg pusillanimes qui l’ont écarté de Saint-Cyr et de l’École de guerre, parce qu’il y disait la vérité. Il livre, en effet, à ceux qui s’engagent en terre africaine (mais pas seulement) un véritable trésor, le panorama clair et brillant d’une situation dangereuse et inconfortable qui, ici comme en Europe, met en jeu des dynamiques intemporelles, pour qui sait lire au-delà de l’immédiateté.

    Un livre à conseiller sans réserve, pour comprendre ce qui est en jeu, et pourquoi, dans ce désert qui, depuis longtemps déjà, absorbe le sang français dans la solitude des sables.

  • le 5 septembre 1914 : Charles Péguy, écrivain français, meurt au combat, à Villeroy.

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    Né le 7 janvier 1873 à Orléans, Péguy est un écrivain français. Il a aussi écrit sous les noms de Pierre Deloire et Pierre Baudouin. Également essayiste et poète, il est un artiste engagé. D'abord socialiste, anticlérical et dreyfusard, il finit par se convertir et devenir militant catholique, conservateur et royaliste. Lieutenant de réserve, il combat dès le début de la Première Guerre mondiale et meurt au début de la bataille de la Marne, le 5 septembre 1914, alors que sa femme est enceinte. Extrait d'Eve, œuvre écrite en 1913 :

    « Vous nous voyez debout parmi les nations.

    Nous battrons-nous toujours pour la terre charnelle.

    Ne déposerons-nous sur la table éternelle

    Que des cœurs pleins de guerre et de séditions.

     

    Vous nous voyez marcher parmi les nations.

    Nous battrons-nous toujours pour quatre coins de terre.

    Ne mettrons-nous jamais sur la table de guerre

    Que des cœurs pleins de morgue et de rébellions.

        

    Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle,

    Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre.

    Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de terre.

    Heureux ceux qui sont morts d'une mort solennelle.

       

    Heureux ceux qui sont morts dans les grandes batailles,

    Couchés dessus le sol à la face de Dieu.

    Heureux ceux qui sont morts sur un dernier haut lieu,

    Parmi tout l'appareil des grandes funérailles.

       

    Heureux ceux qui sont morts pour des cités charnelles.

    Car elles sont le corps de la cité de Dieu.

    Heureux ceux qui sont morts pour leur âtre et leur feu,

    Et les pauvres honneurs des maisons paternelles.

       

    Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés

    Dans la première argile et la première terre.

    Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre.

    Heureux les épis murs et les blés moissonnés.

       

    Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés

    Dans la première terre et l'argile plastique.

    Heureux ceux qui sont morts dans une guerre antique.

    Heureux les vases purs, et les rois couronnés.

       

    Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés

    Dans ce premier terreau nourri de leur dépouille,

    Dans ce premier caveau, dans la tourbe et la houille.

    Heureux les grands vaincus, les rois désabusés.

       

    Heureux les grands vainqueurs. Paix aux hommes de guerre.

    Qu'ils soient ensevelis dans un dernier silence.

    Que Dieu mette avec eux dans la juste balance

    Un peu de ce terreau d'ordure et de poussière.

       

    Que Dieu mette avec eux dans le juste plateau

    Ce qu'ils ont tant aimé, quelques grammes de terre.

    Un peu de cette vigne, un peu de ce coteau,

    Un peu de ce ravin sauvage et solitaire.

       

    Mère voici vos fils qui se sont tant battus.

    Qu'ils ne soient pas pesés comme on pèse un esprit.

    Qu'ils soient plutôt jugés comme on juge un proscrit

    Qui rentre en se cachant par des chemins perdus.

       

    Mère voici vos fils et leur immense armée.

    Qu'ils ne soient pas jugés sur leur seule misère.

    Que Dieu mette avec eux un peu de cette terre

    Qui les a tant perdus et qu'ils ont tant aimée. »

       

    Charles Péguy, Eve (1913)

  • « Non, Monsieur Macron, notre époque n'a rien à voir avec les années 30 »

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    FIGAROVOX/TRIBUNE -

    Dans les propos rapportés par Ouest-France, le Président Macron se lance dans des comparaisons historiques pour le moins problématiques: «je suis frappé par la ressemblance entre le moment que nous vivons et celui de l'entre-deux-guerres». Tout y est: «la lèpre nationaliste», «la souveraineté européenne (sic) bousculée par des puissances extérieures», «la crise économique». Et dans un élan de prophétie, véritable représentation mécaniste de l'Histoire avec son «H» majuscule grandiloquent, Emmanuel Macron nous révèle sa vision: «on voit presque méthodiquement se réarticuler tout ce qui a rythmé la vie de l'Europe de l'après Première Guerre mondiale à la crise de 1929». L'histoire, éternelle répétition du même? Emmanuel Macron, président-historien après le président-philosophe? Les permanences et les continuités de l'histoire ne sont pas des répétitions, Monsieur le Président, et les ruptures ne sont en général comprises et analysées qu'une fois survenues. Non l'histoire n'a pas le hoquet, car l'histoire n'est pas une réalité tangible qui s'opère sous nos yeux comme des bactéries visibles sous la loupe du microscope. L'histoire est modeste, elle n'est qu'une écriture, un récit humain qui se modifie sans cesse, se réécrit au fil du temps qui passe. L'histoire n'est pas un point fixe, établie une fois pour toutes. En revanche, on le sait, elle est fort utile pour servir les idéologies, servir la politique politicienne, pour jouer le «sachant» qui éclaire les ténèbres du présent en se donnant des airs de prophète d'un futur, si possible apocalyptique, sauf à suivre la marche du sauveur.

    Comparer l'Europe de 2018 à celle des années 1930 répond à cette inflation inquiétante de la récupération politicienne de l'histoire nationale et européenne, inflation qui s'accentue depuis bientôt vingt ans à mesure que nous produisons des générations d'amnésiques sortis frais émoulus avec un baccalauréat mais ignorants de leur histoire. Il faut faire un détour par l'histoire scolaire actuelle pour comprendre comment de tels propos peuvent être entendus par l'opinion en dépit de leur non-véracité. En effet, elle alimente les élèves en simplismes manichéens depuis plus de trois décennies, depuis que l'histoire postmoderne (donc postnationale) a mis la main sur l'organisation des programmes officiels. Au lieu de transmettre des connaissances simplifiées qui rendent la complexité du passé intelligible pour des élèves âgés de dix à dix-sept ans, on a réduit l'histoire scolaire à une histoire finaliste. Le passé n'est plus qu'un perpétuel combat entre des gentils et des méchants. Ce simplisme autorise tous les anachronismes. Or la simplification n'est pas le simplisme ; la vulgarisation n'est pas la platitude du binaire. L'histoire scolaire qui avait forgé, pendant près d'un siècle, chez des générations de Français - autochtones ou venus d'ailleurs - le sentiment d'appartenance nationale, aussi appelé patriotisme, s'appuyait certes sur des simplifications historiques non exemptes d'une part de mythes, mais elle ne versait pas dans les simplismes actuels où l'idéologie postmoderne affleure sous chaque thématique, où l'histoire nationale n'est plus qu'une histoire criminelle. La France a une histoire nationale. Les mémoires des groupes composant notre nation qui n'est pas fondée sur l'homogénéité ethno-religieuse, ont toujours existé mais jusqu'aux années 1990 elles n'avaient pas été valorisées au point de supplanter l'histoire nationale. En glorifiant les revendications mémorielles, souvent réinventions du passé, contre l'histoire commune, le projet poursuivi est bien la destruction de l'attachement à la nation, à cet héritage forgé par l'histoire et porté par des mœurs et des coutumes communes.

    Ni de Gaulle, ni Mitterrand n'auraient osé une comparaison aussi manichéenne, simpliste, que celle opérée par Emmanuel Macron. Et pour cause, les deux seuls «vrais» Présidents d'après-guerre avaient une vision, car ils étaient d'abord «enracinés» par une ample culture littéraire et historique - la composition de la bibliothèque de François Mitterrand en est l'illustration frappante - et ensuite parce qu'ils avaient connu l'entre-deux-guerres et la guerre. Cela fait toute la différence. Cela explique leur hauteur de vue, eux qui étaient passés par cette épreuve de la guerre, qu'ils connaissaient la complexité de cet avant-guerre, qu'ils ne réduisaient pas cette période à des caricatures binaires. L'un comme l'autre ont vu monter les périls, ils ont eux-mêmes fait des choix politiques qui ne suivaient pas toujours la ligne droite que les politiques actuels ont réinventée pour trier dans cette époque troublée les bons des méchants, pour juger les hommes du passé au regard du confort dans lequel est plongée notre Europe pacifiée, abrutie par la société de consommation.

    Personne ne viendrait nier que Staline, Hitler et Mussolini étaient des dirigeants néfastes pour leurs peuples et pour la paix du monde, que les idéologies portées par les deux premiers en particulier ont conduit à des ravages d'une ampleur inédite en Europe et au-delà et que nous sommes encore héritiers des ravages moraux qu'ils ont constitués pour l'humanité. Néanmoins oser les comparer à Orban, Salvini et pourquoi pas Morawiecki en Pologne et Kurz en Autriche, est non seulement une absurdité historique, mais une opération politique profondément anti-européenne qui attise les colères. Anti-européenne car celui qui aggrave les tensions entre partenaires européens en insultant les peuples qui ont élu les dirigeants précités, c'est le président français. Cette montée en tension n'est pas imputable au seul Emmanuel Macron, elle est à l'œuvre depuis que les progressistes autoproclamés ont décidé que l'Europe se ferait contre les peuples, c'est-à-dire depuis le non au référendum sur la Constitution européenne en 2005 qui ne fut pas respecté. Le mépris du «non», pourtant majoritaire, par les présidents Chirac, Sarkozy, Hollande et Macron est fondamental pour comprendre la défiance des Français à qui on dénie toute forme d'intelligence politique quand ils ne votent pas comme on le leur prescrit. Cette atteinte profonde au contrat civique fondateur de la démocratie n'est pas le fait des partis «lépreux» que je sache.

    Plus grave, l'énormité historique suivante: l'Europe de l'entre-deux-guerres n'est évidemment pas lisible en termes politiques comme l'Union européenne des 28. Elle était composée d'États-nations souverains qui n'obéissaient pas à une entité supranationale comme c'est notre cas. En outre, aujourd'hui, l'hégémonie mondiale de l'idéologie capitaliste ultralibérale est telle qu'aucun modèle n'émerge pour s'opposer sérieusement à elle, alors que dans l'Europe d'entre-deux-guerres, des idéologies concurrentes puissantes avaient pris forme parmi les peuples (communisme, fascisme, nazisme) et se sont cristallisées politiquement dans trois pays, la Russie, l'Italie puis l'Allemagne. Autre différence et non des moindres s'agissant de menaces pour la paix : l'URSS et le IIIe Reich avaient des ambitions d'expansion territoriale, sinon d'hégémonie planétaire, et il s'agissait de nations hyper militarisées. En quoi les «lépreux» Orban et Salvini - pour ne retenir qu'eux - ont-ils une quelconque ambition belliqueuse de cette nature ? Ils souhaitent simplement se concentrer sur leurs intérêts strictement nationaux, protéger leurs frontières de flux migratoires incontrôlés par l'Europe de Schengen, refuser la société multiculturelle dont ils observent les échecs en France, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Belgique. C'est un choix de souveraineté politique, leurs citoyens les ont élus pour cette politique et peuvent se dédire aux prochaines élections puisque ni Orban ni Salvini pour l'heure n'ont remplacé la démocratie par l'autocratie.

    Autre aspect de cet absurde raccourci comparatif: dans les trois cas, URSS, Italie fasciste, Allemagne nazie, la prise du pouvoir n'a rien eu de démocratique à la différence des gouvernements italiens, autrichiens ou hongrois vilipendés par Emmanuel Macron. La Russie est devenue l'URSS à la suite de la révolution bolchévique qui fut pour le moins un coup de force, venue d'une minorité politique extrémiste, favorisé par le contexte tragique des défaites militaires russes, la Russie de Nicolas II étant membre de la Triple entente. Staline prit le pouvoir après la mort de Lénine en 1924 après avoir éliminé tous ses concurrents, tout aussi violents politiquement et antidémocrates que lui, mais probablement moins malades mentalement que le Petit père des peuples. Mussolini accéda au pouvoir après une forme d'itinérance au demeurant ratée, la marche sur Rome d'octobre 1922. Cette démonstration de force maquillée a posteriori par le Duce en coup d'État, aura suffi à vaincre une démocratie italienne sans boussole, minée par les conflits internes, qui s'effondrera d'elle-même laissant Mussolini instaurer sa dictature fasciste, qui servira en partie de modèle à Hitler.

    Ce dernier n'a pas été élu démocratiquement, contrairement à la doxa qui sert le discours sentencieux actuel envers les citoyens-électeurs, à grand renfort de «retour des heures sombres» et d'entrisme par les Forces du Mal au sein de notre vertueuse machine démocratique. En effet, dans l'Allemagne de la jeune République de Weimar, née de l'effondrement du Reich en 1918, l'assemblée était élue à la proportionnelle intégrale et jusqu'aux élections de 1932 le NSDAP, le Parti des Travailleurs allemands Socialiste et National, ne dépasse pas les 20 %. Hitler échoue également à l'élection présidentielle de 1932 qui voit la réélection d'Hindenburg. Cette campagne aidera en effet le NSDAP à engranger des voix aux législatives suivantes puisque le parti dépasse les 30 % des suffrages, pour autant il n'est pas majoritaire. La majorité était composée par une coalition de centre-gauche qui n'échappa pas aux luttes intestines largement alimentées par la gauche (SPD et KPD), et empêchera la nomination d'un gouvernement d'union nationale qui aurait peut-être pu réduire la puissance montante du NSDAP. C'est l'incapacité des forces politiques démocratiques (cet adjectif est-il seulement admissible pour le KPD…) à s'entendre pour gouverner ensemble qui explique aussi qu'Hindenburg dût se résoudre à nommer Hitler. Il était après tout le chef du parti qui avait obtenu, seul, 33 % des voix aux législatives, mais les démocrates, en se coalisant durablement, pouvaient faire obstacle à sa nomination au poste de Chancelier. C'est leur faiblesse qui fit sa force, et non pas un imaginaire raz-de-marée électoral laissant penser que le peuple allemand aspirait unanimement à suivre Hitler dans les années 1930.

    Quant à réduire la montée des totalitarismes dans l'entre-deux-guerres à une conséquence de la crise de 1929 comme le laisse croire le président Macron, c'est encore ne voir l'histoire par le petit bout de la lorgnette. Ce genre de raccourci ne sert à faire comprendre ni le passé, ni le présent, il sert à manipuler l'opinion pour une politique à venir décidée sans le consulter. La crise de 1929 a montré pour la première fois à l'échelle mondiale, où conduisaient le capitalisme financier et sa spéculation sans limite, les prises de bénéfices indignes des gros opérateurs financiers en plein cœur d'une crise sans précédent, son culte de l'argent-roi et déjà l'économie ouverte à tous les vents mauvais. La critique de ce capitalisme amoral, contraire aux intérêts des peuples souverains, destructeur de la nature, asservi aux machines et transformant l'homme lui-même en machine, fut étouffée pendant des décennies par les délires des théoriciens de la lutte prolétarienne. Ils ne firent qu'alimenter la puissance capitaliste qui conduira à la multiplication des crises économiques jusqu'à celle de 2008 dont aucun dirigeant n'a réellement tiré la moindre analyse qui se transformerait en action politique. Au contraire, comme dans une course vers l'abyme on alimente plus que jamais la destruction de tout ce que l'humanité a forgé en plus de cinq mille ans d'histoire. L'homme atomisé machine à consommer est le produit de cette crise, on l'endort en lui promettant comme seul horizon de bonheur «plus de pouvoir d'achat». Emmanuel Macron est l'homme de ce système: la société ouverte, inclusive, du village global, des flux sans contrôle de marchandises et des hommes - catégories bientôt synonymes. Et pourtant il ose accuser dans ces propos les «grands intérêts financiers qui dépassent parfois la place des États». On peut être stupéfait quand cela est dit par le fondé de pouvoir de la Commission de Bruxelles! Mais c'est habile pour convaincre une opinion publique rendue amnésique qu'on la protège des petits Hitler à nos portes, elle qu'on a rendue aveugle aux conséquences de l'irréparable. Cet irréparable est né quand l'économie industrielle au XIXe siècle prit le pas sur la politique au nom du Progrès, quand le capitalisme financier décréta la mise à mort des nations européennes seules capables de circonscrire sa dangerosité tant pour l'humanité que les écosystèmes. Cet irréparable est né quand des experts-comptables au service d'une oligarchie financière mondiale prirent la place des hommes d'État soucieux de défendre les intérêts de leur nation et de protéger leurs citoyens, tous leurs citoyens.

    Barbara Lefebvre, enseignante et essayiste, est l'auteur de Génération j'ai le droit, (éd. Albin Michel 2018).

  • Zemour à Béziers le 5 novembre : une excellente analyse du blog "Lafautearousseau"

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    Charles Mauras et Stephen Miller, l'Américain

     

    On a beau avoir voulu étouffer la pensée de Maurras sous des reproches d'infamie, avoir cru s'en être débarrassés en le réputant coupable d'une vilaine affaire de trahison à quoi personne n'a pu croire, sa pensée, comme une source dont on voudrait arrêter de force le jaillissement, ne cesse de se répandre, d'exercer, comme jadis, son influence sur les esprits les plus lucides, les mieux informés, les plus agiles et, finalement  les plus influents du moment parmi ceux qui refusent la perspective d'un dépérissement français définitif.   

    Il arrive même que l'impact des idées maurrassiennes atteigne les plus hautes sphères de l'appareil d'État, le sommet des rouages de la République, comme cela fut le cas sous la présidence de Nicolas Sarkozy, lorsque Patrick buisson fut son principal conseiller, en tout cas le plus écouté. En vain, mais la filiation maurrassienne de Patrick Buisson, pour qui l'a lu et a lu Maurras, est des plus évidentes. On sait que même Outre-Atlantique, de grands lecteurs de Maurras, Steeve Banon, Steffen Miller, ont entouré le président Trump, écrit ses discours ...

    Ce n'est pas un hasard si ces penseurs ou ces praticiens de la chose politique prennent les doctrines de Maurras pour l'une de leurs références. Ces gens-là ne sont pas issus des vieilles fidélités maurrassiennes qui, de toute façon, ont déjà quitté ou sont en train de quitter la scène du monde. C'est parce que ces doctrines sont une des clefs de lecture du monde actuel tel qu'il est réellement et non pas fantasmé. L'une des plus fécondes, des plus efficaces pour comprendre nombre de situations et de phénomènes contemporains.

    Zemour-Buisson-Villiers.jpgDe sorte que se reconnaître héritiers de la pensée de Maurras, comme nous-mêmes, ce n'est pas se raccrocher au passé, à une pensée d'un temps stupidement dit révolu, c'est parler de l'actualité. Et dans l'actualité.

    Les trois auteurs de livres politiques de très loin les plus lus, ceux qui font les plus grands tirages, les succès les plus spectaculaires, sont aujourd'hui Philippe de Villiers, Patrick Buisson et Éric Zemmour. Tous trois - quoique très différemment - pétris de culture et d'influences maurrassiennes et bainvilliennes. A en faire frémir d'horreur Raphaël Glucksmann et susciter ses larmes faciles. Lacrimae rerum .. ?

    Éric Zemmour, dans ses textes aussi bien que dans les innombrables débats auxquels il est invité parce qu'il est gage d'audience, ne cesse de se référer à l'Action française, au grand Bainville, à Maurras, reprenant ses analyses, ses expressions, implicitement ou explicitement. Il a même le courage de le défendre jusque dans ses aspects les plus contestés. Courage intellectuel et compétence historique qui manquent à beaucoup et jusque dans les rangs de l'Action française stricto sensu.

    Dans Destin français,  cette présence « Action Française » a aussi ému Laurent Joffrin qui s'est offert le luxe (il est né dedans, dit-on) de publier dans Libération, le 16 octobre, un article intitulé Charles Zemmour et Eric Maurras, reprenant ainsi une formule qu'il doit trouver spirituelle puisqu'il l'avait déjà utilisée en février de cette année. De cet article, la dernière phrase dit tout : « le livre s'appelle Destin français. Il y avait un meilleur titre : Action française. » Une obsession, décidément. Mais oui, pourtant, action française c'est très bien.  

    En somme, si nous parlions moins ou pas du tout de Maurras, comme on nous y invite parfois, nous finirions par être les seuls ... Qu'y gagerions-Livres Zemour.jpgnous ? Ni la bienveillance de nos adversaires, ni celle des médias, ni la considération de quiconque. Pas même la nôtre propre.

    Ignorer Maurras, ce pourrait être, après tout, une tactique. On aura compris que ce n'est pas celle que nous retenons.  

  • « Charles Zemmour - Eric Maurras » et ... Laurent Joffrin. Y a pas photo !

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    Entre Maurras et Joffrin, la différence est entre

    un maître de la pensée et un comique-troupier

    Libération étant plutôt en perdition - à vendre au premier milliardaire de passage - on est plus habitué à voir Laurent Joffrin sur les plateaux de télévision qu'à le lire dans son journal. Il y donne toujours l'impression de se payer la tête de son voisin, prend l'air supérieur, goguenard, dispensateur de leçons, définisseur du Bien et du Mal, distribue les bons et les mauvais points avec une autorité détachée des choses mineures et parle la langue de bois universelle des bobos friqués de la gauche fraternelle.  

    Nous ne commenterons pas cet article, archétype de polémique langagière et de mauvaise foi. Il faut le lire pour se faire une idée de la chose. Le lecteur appréciera, rectifiera !

    Lafautearousseau

     

    Charles Zemmour et Eric Maurras

     

    Le livre du polémiste favori de l’extrême droite se présente comme une contre-histoire. Il ressuscite en fait un récit nationaliste et autoritaire, remplaçant la haine des Juifs par la dénonciation de l’islam. 

    Cette fois la pensée de droite a franchi la ligne rouge. On le pressentait depuis que l’obsession de l’identité - que certains, hélas, encouragent à l’extrême gauche - a conduit au procès oblique de « l’idéologie des droits humains ». Avec Zemmour c’est chose faite. Son Destin Français, dernier opus du publiciste favori de l’extrême-droite, ne livre qu’un seul message : les libertés publiques sont désormais un obstacle au salut de la nation. Une phrase résume le livre (p. 191) : « Ignorant les leçons du passé et oubliant les vertus de son histoire, la France saborde son État au nom des droits de l’homme et l’unité de son peuple au nom de l’universalisme. » La liberté : voilà l’ennemie.

    Après une introduction personnelle, plutôt bien troussée, Zemmour livre un essai chronologique, de Clovis à nos jours. Le livre se présente comme une contre-histoire qui dégonfle les mythes officiels - ce qui se conçoit. Il déterre en fait l’histoire monarchiste nationaliste telle qu’elle fut diffusée par Maurras, Bainville et quelques autres entre les deux guerres. Une histoire cursive, soigneusement écrite, mais une histoire à œillères, outrageusement partisane.

    Pour Zemmour, l’histoire de France commence avec Clovis. Choix significatif. Bien sûr, le roi franc a étendu par la guerre son petit fief de Belgique à un territoire qui évoque l’actuel hexagone, il a choisi Paris pour capitale et, surtout, il s’est converti au christianisme. Pour le reste, le choix est arbitraire : Clovis n’a rien de français (il s’appelle Chlodowig et parle une langue à consonance germanique) et n’a aucunement l’idée d’un pays qui pourrait s’appeler la France. A sa mort, son royaume se désunit et il faut attendre deux siècles pour que Charles Martel reconstitue une entité hexagonale, elle-même englobée dans l’empire de Charlemagne - Karl der Grosse pour les Allemands, qui le revendiquent tout autant - puis de nouveau divisée après le traité de Verdun de 843. A vrai dire, les historiens s’accordent pour dater de Bouvines, ou de la guerre de Cent Ans, l’apparition d’un royaume qui annonce la future France, avec un début de sentiment patriotique. Le choix de Clovis n’a qu’une seule origine : la volonté de célébrer « les racines chrétiennes » du pays.

    « Pour moi, l'histoire de France commence avec Clovis choisi comme roi de France par la tribu des Francs qui donnèrent leur nom à la France...» 

    Charles de Gaulle, 1965

    Tout est à l’avenant : on met en scène un peuple catholique par nature patriote, opposé à des élites cosmopolites. Jeanne d’Arc mobilise le camp armagnac, plus conservateur, contre les Bourguignons alliés aux Anglais, pourtant tout aussi « français » que leurs adversaires. Louis XIII et Richelieu ont cent fois raison de réprimer les protestants, accusés de séparatisme ; Catherine de Médicis tente la réconciliation pendant les guerres de religion, mais bascule du côté des catholiques avec la Saint-Barthélémy que Zemmour justifie à mots couverts pour approuver ensuite l’instauration de l’absolutisme - éloge ému de Bossuet -, régime régressif qui a pour seul mérite d’unifier la future nation. Louis XIV, autre héros zemmourien, expulse les protestants, œuvre pie. Il a pourtant ruiné son peuple et mené des guerres incessantes et vaines. Pas un mot sur le Code noir et l’essor de l’esclavage organisé par Colbert au nom du Roi-Soleil.

    Louis XIV, des guerres incessantes et vaines ?

    Relire Louis Bertrand ! Et tous les historiens honnêtes … Le Roussillon, l’Artois, la Franche-Comté, l’Alsace … et surtout un prince français sur le trône d’Espagne. Louis XIV a reconnu avoir trop aimé la guerre mais les guerres qu'il a menées n'ont pas été « vaines » ...

    Les Lumières inoculent à la vieille France l’illusion universaliste qui corrompt l’identité française. Le chapitre sur Voltaire (qui avait certes des défauts) n’est qu’une démolition systématique ressuscitant le vieux réquisitoire réactionnaire contre le philosophe et son « hideux sourire ». Robespierre bénéficie d’un éloge paradoxal pour avoir incarné une République impérieuse et nationale. Sans craindre la contradiction, Zemmour porte aux nues l’insurrection vendéenne (classique de la littérature monarchiste) alors qu’elle fut massacrée sans retenue sous l’égide du même Robespierre. Bonaparte est célébré pour avoir mis fin à la Révolution et étendu sur l’Europe une tyrannie dont Zemmour passe sous silence les tares les plus évidentes. Les Anglais puis les Américains sont fustigés comme agents de la mondialisation sans âme. Le Front populaire disparaît, comme sont effacées du récit les conquêtes du mouvement ouvrier. Pétain est réévalué (réhabilité ?) parce qu’il a opposé aux Allemands son « bouclier » complémentaire du « glaive » de la France libre, vieille thèse maréchaliste qui revient à jeter aux orties le travail des historiens contemporains. La théorie du « bouclier » s’effondre d’elle-même quand on remarque que Pétain a poursuivi la collaboration jusqu’au bout pour finir à Sigmaringen après avoir prêté la main à la déportation des Juifs. Drôle de bouclier…

    Pétain a été emmené de force par les Allemands à Sigmaringen. Il y était prisonnier ...

    Bref, Zemmour ressuscite la vieille histoire maurrassienne, autoritaire, traditionaliste et antisémite, se contentant de remplacer la haine des Juifs par la dénonciation de l’islam. Le livre s’appelle Destin français. Il y avait un meilleur titre : « Action française ».