Les sondeurs pensent dorénavant que rien n’entravera la course de l’homme « en marche » vers l’Élysée : hors-système, au-dessus des partis, l’Emmanuel universel qui semble savoir déceler l’énergie vitale dont le peuple est traversé, celui dont chaque discours est une occasion toujours renouvelée de communier avec ses « amis », ses « semblables », peut-il faillir dans son irrésistible ascension ? Vous a-t-il échappé qu’il dépassait de cent coudées tous les autres candidats ? Et feriez-vous partie de ceux qui ne savent pas repérer la grandeur où elle se trouve ?
En réalité, il suffit d’écouter une seule fois l’un de ses discours pour comprendre qu’Emmanuel Macron n’a ni charisme, ni profondeur, sa vacuité est désespérante. L’homme en marche, pour finir, n’a peut-être pas plus d’épaisseur que l’Homme qui marche de Giacometti. Inutile de perdre son temps à examiner les lignes « naissantes » de son programme flou, je laisse le soin à d’autres de faire le tour… des trous.
Ce qui m’intéresse davantage, c’est de rappeler qu’on peut s’évertuer autant qu’on veut, à se donner la carrure d’un chef charismatique, le fait même de s’y évertuer signale déjà qu’on est dépourvu des qualités qui sont inhérentes au grand homme. Je renvoie le lecteur au livre de l’historien Patrice Gueniffey qui aborde la question de la genèse du grand homme, à travers l’étude de deux figures exemplaires, Napoléon et De Gaulle (Perrin, 2017).
Pour le cas modeste qui nous occupe ici, il faut se référer au discours que Macron a prononcé à Lyon pour repérer, dès le début du discours, une tentative désespérée du bonhomme pour transfigurer sa petite personne. D’autres usent d’hologrammes, façon Guerre des Etoiles. Lui, plus classique, convoque la littérature de la Résistance. La salle une fois chauffée et l’assurance étant donnée par le candidat qu’il s’adressait à ses « amis », celui-ci évoque une scène des Feuillets d’Hypnos du poète résistant, René Char. Il s’agit de la fameuse scène des Feuillets située au fragment 128, où René Char, qui dirige un maquis, a trouvé refuge dans un village pour se cacher des Allemands. Or ceux-ci investissent le village et torturent un jeune maçon pour l’obliger à leur livrer le chef du maquis. C’est alors, raconte Char, que de partout la marée des femmes, des enfants et des vieillards, sortant de leurs maisons, entourent les nazis, les obligeant à refluer. Entre ces êtres magnifiques d’abnégation et le chef tapi derrière les rideaux d’une maison d’où il observe la scène sans pouvoir bouger, circule un sentiment très fort et Macron cite alors la phrase qui l’intéresse plus particulièrement : « Je tenais à ces êtres par mille fils confiants dont pas un ne devait se rompre » et « J’ai aimé farouchement mes semblables cette journée-là… »
Macron a trouvé dans cette remarque la matrice même du lien puissant qui l’unit aux français, il n’hésite d’ailleurs pas à comparer immédiatement la situation du peuple Français à celle des villageois : eux, poussent les nazis, le peuple français, lui, pousse la « peur, la mauvaise colère, les passions tristes qui veulent gagner le pays ». Quant à Macron, nouveau résistant, il peut déclarer que lui aussi tient à ses amis par mille fils confiants.
D’assimilation en assimilation, les vertus du chef maquisard sont reversées au profit du candidat qui finira par s’approprier sans vergogne les propos du poète en les adressant à son public ce soir-là : « je vous aime farouchement. »
Pour qui y réfléchit deux secondes, les situations n’ont rien de comparable, il y a un abîme entre la situation de Char, cerné par les Allemands et celle de Macron, cerné…par deux candidats que les médias s’emploient à anéantir, la comparaison est ridicule. On se récrie : les déclarations de Char ont évidemment un sens tragique qu’on ne peut, en aucun cas, retrouver dans la situation de Macron. Technique de banquier après tout : Macron aura tenté une OPA sur le texte de Char. Elle signale un cynisme habituel chez ce professionnel de la finance et sans doute aussi une impuissance chez cet homme, éduqué chez des jésuites chafouins, à évaluer avec justesse et pudeur les situations humaines. OPA réussie ? Pour le « gros populas », dirait La Boétie, sans doute. Ecouter sans broncher un discours de Macron suppose déjà une bonne dose d’inculture. Pour ceux, tout de même plus critiques qu’on ne l’imagine et plus nombreux qu’on ne le croit, certes non.
Cela étant, on serait tenté de dissiper chez ces derniers un léger malaise subsistant : tout de même, un homme qui cite Char n’est-il pas meilleur qu’un Sarkozy qui n’avait même pas lu La Princesse de Clèves ? Lire Char n’est-il pas un gage d’humanité ? Je serais tenté de soutenir qu’on peut, au-delà des contextes, déceler une filiation entre le poète surréaliste et le politicien socialiste, habitué à placer l’imagination au pouvoir. Sommés que nous sommes depuis cinq ans de trouver une profondeur dans les propos les plus nuls de nos gouvernants, de prendre pour des vérités d’Evangile les mensonges que la réalité dément à l’évidence, nous devrions, dans la foulée, profiter de l’occasion pour garder quelque distance critique à l’égard des poètes surréalistes que des cohortes d’enseignants-à-la-sensibilité-de-gauche s’emploient à faire admirer aux élèves. René Char ne peut échapper à cette mise en garde. Je relève, au hasard, dans le fragment 27, cette remarque du poète, à propos d’une réflexion d’un de ses hommes :
« Léon affirme que les chiens enragés sont beaux. Je le crois. »
Exemple typique d’un propos surréaliste. C’est lapidaire, cela ne tombe pas sous le sens, mais c’est abrupt : on ne peut songer à le mettre en question. Vous êtes prié d’en trouver la raison dans la subjectivité parfois bizarre du poète. Par un tour de passe-passe, qui est aussi un véritable coup de force, on vous invite à considérer avec sérieux les propos les plus décousus. Mais chacun le sait depuis Breton et Desnos : c’est en s’abandonnant à l’automatisme qu’on a des chances de voir surgir les vérités les plus hautes !
Vous mettez ainsi en sommeil votre bon sens, vous acceptez les niaiseries sans broncher car ce serait faire preuve d’une singulière étroitesse d’esprit que de jeter le discrédit sur une démarche aussi géniale. Je m’offusquais plus haut que Macron se soit approprié le discours de Char en faisant fi du contexte : je ne suis décidément pas réceptif aux grands moments surréalistes de notre génial tribun.
C’est que je refuse qu’on m’endorme, je me méfie d’Hypnos le dieu grec du sommeil. Hypnos est le nom de code du chef de maquis qu’était René Char.
Macron serait-il le fils d’Hypnos ?