NI TOUR D'IVOIRE, NI RÉSIGNÉ
À l’occasion de son premier anniversaire, l’ANPJ s’alarme de voir que les semaines et les mois passent sans qu’aucune information concrète n’ait encore été dévoilée sur la future organisation des services territoriaux de l’ex-DCPJ et des services d’investigation de l’ex-DCSP.
En dehors de la parution d’organigrammes zonaux validés lors des derniers comités de pilotage de la DGPN le 06 juillet dernier, aucune question pratique n’est tranchée sur le devenir et les missions des enquêteurs, des personnels techniques, scientifiques et administratifs. Habilitation OPJ, cycle de permanence, arrêtés, fiche de poste, affectation zonale ou départementale, compétence territoriale, compatibilité des réseaux informatiques, gestion immobilière, gestion RH, … autant d’interrogations depuis la disparition de la DCPJ et de la DCSP le 1er juillet dernier auxquelles il est inlassablement répondu que les problèmes sont identifiés et que les réflexions sont en cours...
À quatre mois de la mise en place effective de la réforme, l’ANPJ constate que rien n’est prêt et que l’équipe projet navigue toujours à vue. Alors qu’il est répété que cette réforme est préparée depuis 2020, l’improvisation est permanente dans sa mise en œuvre.
L’avenir de l’investigation au sein de Police Nationale est donc toujours aussi incertain et morose, et les récentes expériences d’« acculturation » en marge des violences urbaines illustrent tristement ce que sera demain la réorganisation des services de police basée sur une approche globale et pluridisciplinaire. Engager sur des dispositifs de maintien de l’ordre des forces telles que le RAID, la BRI ou la BAC aura été aussi néfaste que demander au Service de Police Judiciaire d’ANGERS de suspendre la traque d’un fugitif soupçonné de meurtre au profit de constatations de dégradations commises par des émeutiers.
Le mépris des spécificités et du savoir-faire de ces services aura eu dans ces deux cas des conséquences désastreuses laissant présager le pire quand cette acculturation sera généralisée. Le malaise engendré atteint toute une profession dont le moral était déjà au plus bas. Comment s’étonner de la multiplication des arrêts maladie au sein des services de voie publique, et avant eux des services d’investigation saturés des commissariats, quand à ce jour, moins de 10 % des enquêteurs de l’ex-DCPJ ont pu consulter un médecin de l’Administration.
À la fin de l’été 2022, près de 1600 rapports dénonçant les risques psycho-sociaux liés à la mise en place de cette réforme avaient pourtant été transmis.
À la veille des défis de sécurité majeurs que sont la coupe du monde de rugby et les jeux olympiques de PARIS, les démonstrations de violences de groupes criminels armés se multiplient, les policiers sont de plus en plus exposés et se sentent de moins en moins soutenus. Tandis que la Maison Police vacille, la réforme ne se concentre que sur la nomination et la prise de poste de ses dirigeants : directeurs zonaux adjoints, directeurs départementaux et interdépartementaux sans que ni leur rôle, ni leur mission ne soient encore clairement définis. Cette réforme de gouvernance, centrée sur l’unique promotion des commissaires de police est hors sujet et bien éloignée des réalités du terrain et des contraintes des métiers de l’investigation.
Alors que l’ensemble de la profession est en souffrance, cette réforme reste aujourd’hui la seule préoccupation de l’Administration. La réorganisation des services au niveau départemental n’est toujours pas tranchée et les réunions de travail s’annoncent d’ores et déjà tendues. Certains chefs de services, ex-DDSP, pressentis au poste de chef de filière police judiciaire, ne cachent pas leur volonté d’absorber les effectifs PJ pour soulager les services de Sûreté Départementale.
Les adhérents et sympathisants de l’ANPJ ne sont pas dupes. Leur répéter que cette réforme ne changera rien, qu’il n’y aura qu’une juxtaposition des services sans impacter la charge de travail des enquêteurs de l’ex-DCPJ est mensonger. Les intentions du futur DIPN d’île et Vilaine sont très claires sur le sujet. En continuant d’alimenter l’opposition insupportable entre les services traitant de la délinquance du quotidien et ceux de la délinquance spécialisée, il estime donc que les services de PJ devront prendre leur part à la première et que le temps long de l’enquête est révolu.
Penser que la PJ est dans sa tour d’ivoire à l’heure où les services
de PJ de Nîmes, Nantes ou Marseille sont étouffés par le traitement des règlements de comptes montre qu’il ne connaît manifestement rien de son fonctionnement alors qu’il devra diriger dans quelques mois ses effectifs. Ses propos honteux sont une énième illustration de la méconnaissance du métier de PJ que ces hauts fonctionnaires de Sécurité Publique méprisent maintenant publiquement.
Les enquêteurs de l’ex-DCPJ continuent ainsi d’avancer dans un climat anxiogène sans aucune garantie fiable. Le projet de doctrine d’emploi des futures filières n’est toujours pas validé. En prévoyant le renforcement du niveau 2 par le niveau 3, la dernière version allait à l’encontre des préconisations de tous ceux qui se sont élevés contre les dangers de cette réforme. Certains parquets l’ont déjà compris et l’attribution des stocks de procédure non traités en matière financière aux services de Police Judiciaire est d’ores et déjà actée.
Les mises en garde de l’ANPJ, confirmées par les missions d’information de l’Assemblée nationale et du Sénat, les audits des trois inspections et ses nombreux soutiens, ont de nouveau été mises en lumière dans le dernier rapport de la Cour des Comptes.
Le ministre de l’Intérieur a, comme à son habitude, balayé d’un revers de la main le constat une nouvelle fois partagé et sans appel sur l’inefficacité, les dangers et les dérives de cette réforme qui n’améliorera en aucun cas l’efficacité du service public, ni ne réglera les problèmes des services de l’investigation. Crise de vocation, manque d’effectif, départs anticipés à la retraite, démissions, perte de motivation et du sens de la mission... Sans de bons remèdes, la future filière Police Judiciaire souffrira des mêmes maux.
L’ANPJ a toujours défendu la complémentarité des différents services d’investigation et dénoncé les conditions de travail des enquêteurs en commissariat. Elle les assure de son soutien et constate que la sérénité, la bienveillance et l’accompagnement pourtant recommandés dans cette phase de préfiguration ne sont que de vains mots.
Avant sa prochaine assemblée générale, l’ANPJ annonce qu’elle ne baissera pas la garde face à l’amateurisme et aux dangers de cette réforme. Elle rappelle que son objectif est de rassembler les policiers de tous corps, de tous grades et de tous horizons pour protéger et promouvoir leur attachement commun à l’enquête judiciaire.
Elle appelle l’ensemble des métiers de police judiciaire à rejoindre ses rangs pour préserver et défendre l’Investigation au sein de la Police Nationale.
Cette réforme est aussi opaque et mortifère qu’il y a un an !