« Les éléments structurants de notre histoire ont été bouleversés »
Le journaliste et historien Jean Sevillia fait paraître chez Perrin « Une histoire inédite de la France en 100 cartes » en collaboration avec les cartographes Jean-François Ségard et Nicolas Poussin. Il y présente une centaine de « moments » qui sont, d’après lui, des repères indispensables à la compréhension de l’histoire nationale.
C’est en historien que Jean Sevillia donne les clés de la sociologie profonde de la France contemporaine : auteur notamment de La France catholique (Michel Lafon, 2015), il fait le choix de montrer comment certains événements décisifs de l’histoire peuvent se voir dans la géographie du peuple français, et laisser des traces jusqu’à aujourd’hui.
En quoi votre histoire de France à travers les cartes est-elle inédite et diffère-t-elle de votre précédent ouvrage, Histoire passionnée de la France ?
Jean Sevillia : Mon Histoire passionnée de la France (Perrin) formait un récit complet et continu de l’histoire de la France, des origines à nos jours, évidemment sous forme synthétique. Ce nouveau livre, puisqu’il braque le projecteur sur cent séquences du passé de la France, opère des choix dans ce passé, et assume ces choix : ce sont des moments charnières, des épisodes symboliques, des événements essentiels, mais qui supposent de passer très brièvement ou même de faire l’impasse sur certains autres épisodes de notre passé. Pour autant, le choix de ces séquences a été pensé de telle manière que leur enchaînement dégage une continuité qui révèle les grands traits de l’histoire de la nation française. Le caractère inédit de cet ouvrage provient du lien entre le texte et les cartes. Il existe des atlas de l’histoire de France, mais dont les textes succincts sont des légendes de cartes plus que de vrais commentaires historiques. Il existe aussi des Histoires de France qui ne comportent que quelques cartes en illustration (c’était d’ailleurs le cas de mon Histoire passionnée de la France). Dans cette Histoire inédite de la France en 100 cartes, le texte et les cartes ont autant d’importance, et se complètent ou se répondent.
Alésia
Pourquoi écrivez-vous qu’il a existé une France avant la France, en vous appuyant sur la géographie ?
C’est évidemment une formule, car on ne peut pas parler de la France avant le XIIe ou XIIIe siècle. Mais la richesse des sites préhistoriques de France montre l’ancienneté du peuplement de notre territoire. Mais la civilisation gauloise ou plutôt gallo-romaine, la Gaule franque rassemblée par Clovis, puis l’unité du futur territoire français au sein de l’empire carolingien et l’étendue de la Francie occidentale, née du partage de l’empire carolingien, sur les trois quarts de la France actuelle, posent des bases dont héritera la France quand elle se construira sous l’égide de la dynastie capétienne. La France ne naît qu’au début du deuxième millénaire de l’ère chrétienne, mais elle ne naît pas du néant.
État bourguignon
Quels sont les éléments structurants de notre histoire ?
Ces éléments structurants sont nombreux et anciens : l’unité territoriale au moins de la France centrale ; le rôle de Paris comme centre politique (Clovis a fait de cette ville sa capitale en 508) ; le rôle de l’État, même si celui-ci a mis plusieurs siècles à s’édifier ; le rôle de la langue française comme facteur d’unité des élites politiques et culturelles, même si le français est devenu d’usage majoritaire dans la population au XIXe siècle seulement ; le fait que la France est depuis longtemps un des pays les plus peuplés d’Europe. Et bien sûr, l’ancienneté et la profondeur de l’ancrage chrétien, plus précisément catholique, chez les Français.
Jusqu’aux années 1960, 90 % de la population était baptisée au sein de l’Église catholique
En dépit du choc déchristianisateur de la Révolution française, malgré l’antichristianisme et l’anticléricalisme militant du XIXe siècle qui aboutiront à la crise de la séparation de l’Église et de l’État au début du XXe, en dépit de la laïcité d’État, la France est restée très longtemps un pays catholique. Jusqu’aux années 1960, 90% de la population était baptisée au sein de l’Église catholique. Mais tous ces éléments, une grande part d’entre eux en tous cas, ont été remis en cause, voire bouleversés, depuis cette époque. Spécifiquement la remise en cause de l’État, que ce soit par le haut, du fait de la construction européenne et de la mondialisation qui ont brouillé les bornes de la souveraineté nationale, ou par le bas, du fait de la décentralisation et de la contestation de l’autorité, phénomène culturel plus large. Ajoutons la déchristianisation galopante, phénomène historiquement majeur, puisque des croyances, des rites et des traditions qui ont cimenté pendant des siècles la société française autour de sa religion dominante sont en train de s’effacer. L’ensemble de ces évolutions provoque aujourd’hui une profonde crise d’identité nationale.
Premier Empire
« Remonter la pente, pour un pays, n’est jamais impossible. Mais il faut une volonté, et des volontaires », écrivez-vous. Pensez-vous que les catholiques ont un rôle particulier à jouer à cet égard ?
À l’évidence, puisque le service du bien commun fait partie du devoir des catholiques, et parce que le catholicisme français, à travers ses œuvres, possède une longue expérience du dévouement gratuit et désintéressé envers la société. Mais il ne faut pas être naïf : il existe des forces et des réseaux très puissants et implantés au cœur de l’État qui sont hostiles à l’Église, et à l’anthropologie qu’elle porte, comme on l’a vu avec le vote de toutes les lois sociétales depuis quarante ans et plus, et tout récemment au sujet de la bioéthique. De ce point de vue, évitons l’angélisme : les catholiques ont des combats à mener, mais là aussi il faut une volonté et des volontaires.
La libération
Jean Sevillia, Une histoire inédite de la France en 100 cartes,
Perrin, 2020, 248 p., 27 euros.